La Côte sauvage guérandaise

par C’est Nabum
vendredi 14 juillet 2023

 

Fallait-il la dompter ainsi ?

 

Depuis toute éternité - si cette formule a quelque valeur en ce qui concerne l'Océan et ses variations au fils des temps-, la côte sauvage de la presqu'île Guérandaise se dressait face à une mer que Raymond Devos aurait qualifiée de démontée. Le mugissement des vagues se fracassant sur les rochers atteste bien de la sauvagerie des lieux. Gare à qui s'y aventurait ou pire encore, malheur pour qui son bateau venait s'y déchirer.

Les anciens ne s'y trompèrent pas, dressant des menhirs et des dolmens pour prévenir du danger ou bien encore se concilier les puissances obscures, les forces telluriques et les êtres mystérieux peuplant la côte. Ils avaient grand respect pour cette force indomptable qu'ils affrontaient uniquement pour y quérir leur subsistance et tenter l'aventure d'un ailleurs.

Jamais un celte (ou un breton raisonnable) n'aurait songé à poser sa demeure le long de ce ruban découpé de granit exposé à l'assaut conjugué des vagues, du vent, du sable. Leurs maisons étaient à l'intérieur des terres, à suffisamment de distance pour se préserver un peu des colères de la mer. Il est vrai qu'il n'y avait pas encore de promoteurs immobiliers ni de touristes pour réclamer une vue sur cette vaste étendue colérique.

Puis, le béton se mit en tête de dompter, d'apprivoiser, de plier à sa guise les puissances maritimes. Double vitrage pour ne pas entendre mugir la colère des dieux, isolation pour échapper aux tempêtes si fréquentes et murs de fondation qui s'imaginent plus solides que le granit. La vue imprenable était prise d'assaut et l'Océan domestiqué pour le plus grand plaisir de quelques privilégiés.

Sur les flots, les loisirs vinrent se mêler de poursuivre cet asservissement de la grande étendue d'eau. Elle devint un terrain de jeu, une belle occasion de se mesurer à elle avec la garantie que des sauveteurs viendront tirer d'un mauvais pas ceux qui dépasseront les limites. Ils se jouaient du vent et des vagues et avaient alors le bon goût de ne pas user de ces maudits moteurs.

Puis, les chevaliers des mers enfourchèrent des monstres bruyants pour asservir les flots, pour montrer leur toute puissance et leur mépris de la nature bonne tout juste à servir d'exaltation pour ego surdimensionné. La côte sauvage se couvrait du vrombissement de leurs moteurs dans le mépris absolu de la magnificence des paysages.

Nous pensions avoir atteint le sommet de la fatuité des humains. Il y avait pire à venir dans cette volonté toujours plus affirmée de nier la nature, de l'exploiter, de la plier à la volonté d'une espèce désireuse d'imposer sa loi au reste de la Planète. La côte sauvage n'échappa pas à cette vaste entreprise de destruction et de désolation.

Des éoliennes par centaines viennent barrer l'horizon, attestant ainsi la supériorité des humains sur toute la création. Barrière indigne, écran de pales perdues dans la brume, mur de la honte et de la suffisance, le panorama se déchire dans la ronde de ces effroyables hélices. La côte sauvage a dû se plier à la crise énergétique, au désir d'hégémonie d'un homo de moins en moins sapiens et toujours plus « énergiphage ».

Faudra-t-il éternellement se satisfaire de ce massacre de toute chose ? J'ai éprouvé une vision d'horreur, un cauchemar tout autant qu'un blasphème pour dame nature et cet écrin jadis si majestueux. Désormais, pour la survie de notre espèce, le maintien de son délirant rythme de vie, tout doit passer sur les fourches caudines de ce que des technocrates cupides et ambitieux nomment le progrès. C'est à se désespérer de la suite …

À contre-vent.


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