Dans le Vieux Carré, système-D pour les rescapés
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lundi 5 septembre 2005
LA NOUVELLE-ORLEANS (AP)
Système-D à la Nouvelle-Orléans. En l’absence d’information et d’aide extérieure, des rescapés, riches et pauvres, unis dans leur refus d’évacuer, se sont constitués en groupes organisés dans le Vieux Carré, ce si célèbre Quartier français de la ville, formant des sortes de « tribus » pour se répartir les tâches.
Dans une ville encore totalement désorganisée, ces survivants essaient de recréer un semblant d’organisation. Pendant que les uns descendent à la rivière pour faire la lessive, les autres restent derrière pour protéger les biens. Dans un bar, un serveur fait des points de suture à un homme blessé à l’oreille lors d’un cambriolage, comme s’il avait fait cela toute sa vie.
Alors que la pourriture et les maladies se répandent dans la ville recouverte de boue, autre chose parvient à germer sur ce champ de ruines : le sentiment d’humanité.
« Certaines personnes sont devenues des animaux. Nous, nous sommes devenus plus civilisés », constate, sans plus de fierté que ça, Vasilioas Tryphonas, en sirotant une bière chaude dans un bar de Bourbon Street, le Johnny White’s Sports Bar, en plein « French Quarter » (Vieux Carré ou Quartier français).
Si des centaines de milliers de survivants ont préféré fuir cette cité construite sous le niveau de la mer avant même l’arrivée de l’ouragan, de nombreux habitants ont refusé de quitter le Vieux Carré. Bâti sur la partie la plus haute de la ville et équipé -chose rarissime aux Etats-Unis- de lignes électriques souterraines, ce quartier est considéré par ses riverains comme l’endroit finalement le plus sûr.
Katrina a bien arraché des plaques d’ardoise des toits et fait s’écrouler des maisons déjà branlantes du Quartier français. Mais, globalement, l’ouragan a laissé intactes les vieilles bâtisses des 18e et 19e siècles avec leurs fameux balcons en fer forgé.
Du coup, même privés d’eau et d’électricité, la plupart des habitants ont préféré leur « vieux » carré aux conditions sordides et à l’odeur de la mort régnant au Superdome et au Centre de congrès, transformés en centres d’hébergement pour les sinistrés.
Lassés d’attendre la venue hypothétique de camions chargés d’eau et de nourriture, les survivants se sont tournés les uns vers les autres pour s’entraider.
Le bar Johnny White’s est connu dans le quartier pour rester ouvert 24 heures sur 24, même pendant les ouragans. Les portes n’ont même pas de serrures. Et, depuis Katrina, il est devenu bien plus qu’un bar. En plus des bières chaudes et des points de suture, les serveurs distribuent des rations alimentaires récupérées auprès de l’armée et des bouteilles d’eau à ceux qui s’activent pour maintenir un semblant d’activité économique dans le quartier.
« C’est notre centre communautaire », se félicite Marcie Ramsey, 33 ans, passée du rang de serveuse à celui de responsable par intérim après le passage de Katrina.
Pour certains, le bar est également devenu un hôpital. Vasilioas Tryphonas, l’homme aux points de suture, restaure en temps normal des immeubles dans le Vieux Carré. Samedi, il avait quitté brièvement le quartier : il s’est fait agresser, et frapper à la tête avec un panneau en bois par un inconnu qui lui a volé ses cinq derniers dollars. Il s’est fait soigner par un client devenu par la force des choses serveur et... médecin.
A quelques blocs de là, une dizaine de personnes vivant dans trois maisons se sont regroupées pour se partager le travail. Un groupe descend au Mississippi pour puiser de l’eau, un autre fait la cuisine, un autre la vaisselle. « Nous sommes la tribu des 12 », plaisante une vieille dame de 76 ans, Carolyn Krack, assise sur le trottoir avec une tasse de café, un paquet de cigarettes et une boîte de pralines.
Mais, dimanche, la tribu des 12 est devenue la tribu des huit. Des gardes nationaux sont arrivés et leur ont donné une heure pour rassembler leurs effets, s’ils voulaient partir. Quatre membres de la tribu ont finalement accepté, plutôt résignés et amers. « C’est déchirant de quitter la ville que j’aime », soupire Mark Rowland. « Ça n’aurait pas dû se passer comme ça. » AP