La Cène, fin d’une « hérésie judiciaire »

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mercredi 15 novembre 2006

Au printemps 2005, l’association Croyances et libertés, relais des évêques de France, a engagé une procédure judiciaire pour obtenir le retrait de la publicité inspirée de La Cène de Léonard de Vinci, réalisée par l’agence Air Paris pour les stylistes Marithé et François Girbaud.

La condamnation avait été rapidement prononcée, comme le permettait la procédure en référé : le Tribunal de grande instance de Paris, en mars 2005, puis la Cour d’appel, en avril 2005, contre l’avis du Parquet, ont fait retirer l’affiche, et prévu une astreinte de cent mille euros par jour à compter du troisième jour en cas de non-respect de la décision. Quels étaient les opinions ? La plainte de l’association catholique dénonçait « l’injure visant un groupe de personnes en raison de leur appartenance à une religion déterminée, en l’occurrence le catholicisme », fait « gravement injure aux sentiments religieux et à la foi des catholiques ». La Cour d’appel a motivé sa condamnation en estimant qu’il est « fait gravement injure aux sentiments religieux et à la foi des catholiques » et que cette « représentation outrageante d’un thème sacré détourné par une publicité commerciale » était de nature à provoquer « un trouble manifestement illicite ». L’image constituait ainsi perçue une « composition parodique injurieuse » et « l’injure ainsi faite aux catholiques apparaît disproportionnée au but mercantile recherché ». L’avocat de l’association, Me Thierry Massis, avait condensé l’expression de la révolte morale : les créateurs utilisaient « une scène sacrée à des fins mercantiles », avec des poses « lascives et des plus suggestives ».

A l’automne 2006, la Cour de cassation voit l’image tout autrement : « La seule parodie de la forme donnée à la représentation de la Cène, qui n’avait pas pour objectif d’outrager les fidèles de confession catholique, ni de les atteindre dans leur considération en raison de leur obédience, ne constitue pas l’injure, attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse », en conséquence de quoi il n’y a nul lieu d’interdire, la Cour de cassation vient d’annuler la décision de Justice précédente. Les choix des publicitaires relèvent, est-il noté, de la liberté d’expression, la campagne n’avait pas pour « objectif » un quelconque outrage, « ne constitue pas une injure et une attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes ». L’avocat de l’agence publicitaire est fondé à penser qu’il n’y a « rien d’outrageant pour la religion catholique ; il s’agit d’une volonté de traduire la nouvelle place de la femme dans la société, qui correspond à l’évolution des mœurs. »

Dans ce que maître Eolas a qualifié sur son blog « d’hérésie judiciaire », est-on sûr que cette invasion de femmes dans le tableau n’ait pas pesé, lors de la condamnation, dans l’esprit de ceux qui percevaient une outrageante lascivité ? Le choix de l’inversion des genres masculin et féminin a conduit à ne représenter qu’un homme, en lieu et place de Marie-Madeleine, Jésus et les apôtres étant des femmes qui portent les vêtements des stylistes. La comparaison entre les deux représentations permet de revoir le travail des publicitaires. Dans une apesanteur -la table n’a pas de pieds, les personnages ne reposent sur aucun siège-, des symboles -une colombe, une juxtaposition de trois jambes comme allusion à la Trinité- sont placés discrètement. Il s’en dégage une atmosphère éthérée, très différente des choix d’Andy Warhol qui avait représenté les convives sous forme de motos...


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