Suicides en prison, quel rapport ?
par Francesco Piccinini
vendredi 3 avril 2009
Le docteur Louis Albrand est très remonté. Président de la commission sur la prévention du suicide en milieu carcéral, il considère que son rapport a été « modifié » par l’administration pénitentiaire. Depuis le début de l’année 2009, on déplore environ un mort par jours dans les prisons françaises.
« Ce rapport est modifié, ce n’est pas le rapport de la commission Albrand ». Hier, sur France info, le Dr Albrand a déclaré qu’il ne rendra pas son rapport définitif et qu’il n’assistera pas au déjeuner de travail prévu. Car selon lui il ne s’agit pas le texte présenté officiellement hier ne correspond pas aux conclusions de texte préparatoire remis en décembre 2008.
« Aucune des recommandations de mon pré-rapport n’ont été mises oeuvre après trois mois », estime-t-il. Il est temps maintenant que les politiques prennent leur responsabilité et s’engagent, estime-t-il.
L’administration pénitentiaire, avec laquelle les relations ont été distantes pendant la durée de son enquête, aurait édulcoré sa vingtaine de propositions, histoire de ne pas remettre en cause la surpopulation carcérale -62700 détenus pour 51000 places aujourd’hui - qui selon lui est « venue aggraver les conditions de détention et contrarier les mesures de prévention ».
Elles portent essentiellement sur la formation. Il s’agit pour M. Albrand d’améliorer ce volet. Deux tiers du personnel pénitentiaire doivent en bénéficier ainsi que les travailleurs sociaux, le personnel médical et même les codétenus.
Il regrette notamment que « certaines préconisations, comme la durée du mitard, ne se retrouvent » plus dans le rapport final. L’Observatoire International des Prisons (OIP) rapporte qu’en France, depuis le 1er janvier 2009, sur les 38 suicides recensés dans les prisons, « huit d’entre eux sont survenus au quartier disciplinaire, soit une proportion de 21 % ». L’OIP exige « la constitution d’une commission d’enquête indépendante placée sous l’égide du contrôleur général des lieux de privation de liberté ».
Sur son site, l’organisation constate une hausse de 31% des suicides de prisonniers en 2009 par rapport à l’an passé. Elle rappelle que l’année 2008 s’est terminée avec une augmentation de 20 % des suicides (115) par rapport à l’année 2007 (96).
Le psychiatre Jean-Louis Terra avait produit il y a cinq ans un rapport qui avait permis une baisse notable du taux de suicide (de 21 pour 10 000 détenus en 2002 à 17 en 2008). Aujourd’hui encore, la France est en Europe, un des pays les moins bien classés dans ce domaine.
Le Dr Albrand préconise, afin de détecter le risque suicidaire, d’associer les proches du détenu ainsi que d’autres acteurs du monde pénitentiaire comme les aumôniers ou les enseignants. Il est indispensable que la prison transforme positivement les relations entre le personnel et les familles.
De son côté la chancellerie estime que cette polémique est ridicule. Quant au syndicat CGT-pénitentiaire il s’insurge dans un communiqué : « Il est ici question de vies humaines et non de l’image d’une administration ou de données statistiques. La vie des personnes détenues doit faire l’objet de toutes les attentions ».