130 ans de la CGT : Appel à briser l’omerta des discriminations internes
par Alain Marshal
vendredi 13 juin 2025
À l’heure où l’un des principaux syndicats de France s’apprête à célébrer son 130e anniversaire, une question s’impose : la lutte contre les violences, le racisme et l’islamophobie y est-elle prise au sérieux, ou n’est-elle qu’un slogan électoraliste sans lendemain ? Après un petit florilège sur ces enjeux et l'omerta qui règne au sein de la CGT, cet article lance un appel à une action symbolique le 13 juin à Montreuil.
« Ah c'était compliqué ! Quelques exemples, sur le racisme, qui sont pas piqués des vers ! [...] Je rentre dans la salle où il y avait des grévistes de la CGT [...] quand je suis entré il y en a un qui dit “Tiens, il y a un Arabe qui arrive, on va pouvoir le pendre haut et court au mât du drapeau de l'entreprise.” [...] En dehors du terme “bicot”, pour les repas, on te servait un steak de chameau. Le steak de chameau, c'est pour les bicots. »
Jean-François Ben Yahia, responsable des retraités de la CGT Energie 34, en réponse à la question « Est-ce que tu as toujours trouvé ta place dans la CGT ? »
« J'ai un peu la peau blindée, moi, de ce côté-là. A l'intérieur de la CGT, j'entends des mots quelquefois, “Oui, il y a beaucoup d'immigrés”, voilà. »
Alain (né Ahmed) Harimza, responsable des retraités de la CGT Energie 34, réponse à la question « En tant que militant CGT, as-tu connu le racisme ? »
« Quand j’ai parlé au dirigeant de la fédération de la CGT des transports, il m’a accusé de mentir. Ils m’ont laissé tomber, sauf l’antenne locale qui m’a quand même aidé pour les frais d’avocat. J’ai eu beau leur écrire, mais rien. Trente ans que tu es à la CGT et le jour où t’es dans la merde, on t’accuse de mentir et on te laisse tomber. »
Abdelatif MENASRI, licencié pour avoir dénoncé des propos racistes au sein de son entreprise
« C’est sa première campagne de com’ en solo et Michel, maintenant que Pierre a pris sa retraite, compte s’y investir à fond. Thématique : l’antiracisme, partie intégrante de l’ADN de la CGT. Même si, au jour le jour, la beauferie ambiante, le rejet des militants migrants à la marge de la Confédération, me prouvent le contraire. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre des horreurs dans les couloirs de la rue de Paris [siège de la CGT à Montreuil].
Au seuil de mon bureau, je surprends un élu en vue de la fédération du spectacle, très proche de Philippe Martinez, adopter un accent “africain” devenu célèbre grâce à un sketch ouvertement raciste de Michel Leeb. C’est sa manière à lui de rendre hommage à mes origines africaines. Il paraît étonné que je lui fasse part de mon agacement. […]
Autrement plus grave : l’éjection du cortège de la CGT, le 1er mai 2018, du responsable de la communication de la fédération des services publics. D’origine maghrébine, il a été traîné de force hors du carré de tête, aux avant-postes du défilé, par le service d’ordre de la CGT. Il a eu beau rappeler sa fonction de cadre de la CGT, les nervis ne lui ont laissé aucune chance, le violentant, allant jusqu’à lui arracher sa montre. Pour de nombreux membres de la CGT, il pourrait s’agir d’une agression raciste. Apprenant cet incident gravissime, le secrétaire général de la fédération de la fonction publique, Baptiste, s’est alors fendu d’une missive adressée au bureau de la Confédération pour demander à juste titre des sanctions contre les responsables de cette agression. Le courrier de Baptiste est resté lettre morte...
Ce racisme au quotidien va de pair avec un fraternalisme dénoncé en son temps par Aimé Césaire, dans sa lettre à Maurice Thorez. Ainsi, les camarades prennent dans leurs bras le personnel de nettoyage subsaharien, s’inquiètent de la santé de leur famille, des notes de leurs bambins à l’école, mais semblent incapables de laisser derrière eux les chiottes à peu près propres, laissant à leurs “camarades” maliens le soin de récurer leur merde de privilégiés. “Car il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès”, écrivait Aimé Césaire en 1956 à Maurice Thorez. Pas mieux pour la CGT.
Michel est malgré tout super enthousiaste. Et il ne se voile pas la face : “Si la CGT est antiraciste, il n’en va pas de même pour les militants”, a-t-il l’habitude de répéter. Il nous réunit dans son bureau au mois d’avril 2017 pour que nous planchions sur cette campagne. Elle doit être organisée en partenariat avec le collectif antiraciste de la CGT. À mon grand étonnement, ce collectif ne comporte aucun membre racisé de la CGT : que des blancs ! Pleins de bonne volonté, certes, mais absolument pas touchés de plein fouet par le racisme. Imagine-t-on le collectif LGBT conduit par des hétéros, ou encore le collectif pour la parité hommes-femmes dirigé par des hommes ? Non, et dans les faits, ce n’est pas le cas. […]
Pour ce qui est des contenus, Michel compte faire témoigner des militants victimes du racisme qu’ils ont vécu au sein de leur syndicat. Belle idée, mais c’est sans compter sur l’omerta qui règne dans l’orga’. Au final, nous ne débusquons que deux militants qui acceptent de témoigner, pas plus, pas moins. Un peu léger pour organiser une campagne. […]
L’antiracisme politique est vomi par la CGT. Dans les couloirs de la Confédération, la notion même de racisé est vouée aux gémonies.
Après cette première réunion, je discute avec des collègues de ce nouveau courant issu des études décoloniales, l’antiracisme politique. Mes “camarades” ont été gagnés par la propagande gouvernementale et considèrent Sihame Assbague ou encore Fania Michel comme des racistes anti-blancs. Je suis surpris de constater que Claire, qui se targue d’être diplômée en ethnologie et laisse traîner nonchalamment sur son bureau un ou deux gros volumes de sociologie, ignore tout du concept de blanchité. »
Extraits du chapitre « L'antiracisme à la papa » de l'ouvrage Au royaume de la CGT : La résistible ascension de Philippe Martinez (2020) de Jean-Bernard Gervais, ex-conseiller en communication de la CGT. Les deux témoignages mentionnés sont vraisemblablement les deux premiers de cette compilation.
Comme celle-ci, toutes les vidéos de la campagne de lutte contre le racisme et les idées d'extrême droite diffusée par la CGT en 2019 sont non répertoriées sur la chaine Youtube de la CGT, ce qui garantit qu'elle n'y auront aucune visibilité, car elles n'apparaissent pas sur les résultats de recherche, et seuls ceux qui ont déjà le lien peuvent la visualiser. Une manière de perpétuer l'omerta ?
« Parmi ces militants désabusés par un système de sélection et de promotion dans la hiérarchie syndicale qui privilégie exclusivement la cooptation, le Noir apparaît comme le laissé pour compte du principe de l’égalité des chances dans l’accès aux postes de responsabilité au sein de notre syndicat en raison de sa couleur de peau.
Or si on peut choisir son syndicat, on ne choisit pas sa couleur de peau. Le fait d’être Noir n’est pas un choix. Autrement dit, ce qui menace à terme la CGT ce n’est pas un hypothétique communautarisme noir qui relève du pur fantasme mais le communautarisme blanc qui s’accapare de tous les leviers du pouvoir syndical.
Le Noir de la CGT porte ainsi en lui les germes de bien de maux cachés qui le confine d’emblée dans un statut de “nègre de service” au grand plaisir des potentats. [...] De toute évidence, cette synarchie plus préoccupée à défendre sa rente de situation et ses prébendes qu’à assumer les responsabilités de sa charge n’a rien à redouter. Elle bénéficie pour des actes discriminatoires qu’elle génère à profusion d’une impunité qui semble avoir un statut quasi-juridique, notamment le droit de conduire au bûcher tous ceux qui osent lever le tabou du racisme et de la discrimination raciale. »
« Il y a un problème noir à la CGT », Lettre ouverte de Laurent Gabaroum, syndicaliste à Renault, à Bernard Thibault, Secrétaire général de la CGT.
Affaire Salah L., exclu de la CGT pour avoir dénoncé des discriminations internes et critiqué les positions de la Confédération sur Gaza après le 7 octobre
(cliquer sur les liens hypertexte pour écouter les propos enregistrés des « camarades » de Salah)
« Quand tu m’as dit là-haut “Fred, pourquoi est-ce que je suis mis à l’écart du Bureau”, je t’ai dit “Il y a trop d’écart de valeurs”. D’accord ? C’est ça que je t’ai dit. On a un conflit de valeurs entre ce que tu portes, et ce que nous on porte. Et ça, je vais te le démontrer. Tu vois, sur la
Palestine... »
« Salah ne se reconnaît pas dans les valeurs du syndicat »
Frédéric C., Secrétaire académique de la CGT Educ' 63, et Mérovée D., élu à la Commission Exécutive, justifiant l'éviction de Salah L. (échanges retranscrits ici et ici)
« Pour toi, le Hamas, c’est un groupe armé, militaire ? Ce sont pas des gens qui sont là pour tuer n’importe qui, c’est pas des terroristes ? [...] Ta religion n’a rien à faire à la CGT [...] J’en ai rien à foutre de ta religion. »
François-Xavier D., élu au Bureau de la CGT Educ' 63, à son camarade et collègue Salah L., qu'il calomniait en assimilant sa religion avec l'extrémisme, en écho direct avec l'amalgame crapuleux de la Macronie entre soutien à la Palestine et apologie du terrorisme (voir De “terroriste” à “mécréant” : à la CGT, l'intimidation et la calomnie comme méthodes).
« Mais on n’en a rien à foutre de tes convictions religieuses, mais tu m’emmerdes avec tes convictions religieuses, je m’en fous moi de tes convictions religieuses. [...] Je pense qu’on est immunisés contre l’islamophobie. »
Marie Ch., co-secrétaire de la CGT Educ’ 63 (retranscrit ici)
« Je peux pas travailler avec un camarade qui m’insulte. [...] C’est ce que tu cherches en vrai, c’est ce que tu cherches : tu aimes bien foutre ta merde. En vrai t’es un fouteur de merde ! Ferme ta gueule ! [...] Va te faire foutre ! Va te faire foutre !🖕 🖕 🖕 »
Sophie B., co-secrétaire de la CGT Educ’ 63 (retranscrit ici)
Marie-Catherine C., co-secrétaire de la CGT Educ’ 63 (retranscrit ici)
Frédéric C., Secrétaire académique de la CGT Educ' 63, qui effectuait une dernière tentative de forcer Salah à démissionner et à se mettre en retrait du syndicat (retranscrit ici) ; durant la première tentative 3 mois plus tôt, Frédéric avait menacé Salah d'agression physique à 9 contre 1, ce qu'on entend clairement ici.
« La défense de Salah L., qui a été rendue publique par Salah L. lui-même, repose uniquement sur une contextualisation politique et relationnelle de la situation. »
Extrait du verdict de l'UNSEN-CGT dans la procédure d'appel de Salah L., assimilant la dénonciation des violences, discriminations et d'une calomnie collective islamophobe qui le mettait en danger personnellement et professionnellement à une simple « contextualisation politique et relationnelle de la situation », et considérant que les enregistrements clandestins de Salah, qui constituaient une précaution salutaire et amplement justifiée par les faits, constituaient la seule faute grave et injustifiable (voir le détail du verdict et de l'audience d'appel dans l'article Quand la CGT Educ’action banalise les idées d’extrême droite).
« La CGT est ouverte à tous les salariés […] quels que soient leur statut social et professionnel, leur nationalité, leurs opinions politiques, philosophiques et religieuses. Elle agit pour une société démocratique, libérée de l’exploitation capitaliste et des autres formes d’exploitation et de domination, contre les discriminations de toutes sortes, le racisme, la xénophobie et toutes les exclusions. […] La démocratie syndicale assure à chaque salarié la garantie qu’il peut, à l’intérieur du syndicat, défendre librement son point de vue sur toutes les questions intéressant la vie et le développement de l’organisation. »
Préambule des Statuts de la CGT
Selon ce sondage sur le vote aux élections européennes 2024 par proximité syndicale, 24% de ceux qui s’identifient à la CGT ont voté pour la liste Rassemblement National (et 1% pour Reconquête), soit autant que pour la liste LFI (25%). Il paraît difficile de relativiser de telles données, surtout après la mobilisation historique de la Confédération aux dernières élections législatives, où le chiffre du vote RN pour les sympathisants de la CGT serait de 19% : si les idées et pratiques de l’extrême droite (et de la Macronie, qui les a largement reprises à son compte) sont combattues sérieusement, elles doivent l’être avant tout à l’intérieur de l’organisation. Dans un entretien avec Assa Traoré « pour une convergence des luttes syndicale et antiraciste », Sophie Binet reconnaissait elle-même que le syndicat n’était « pas au niveau sur le racisme » et qu’il existait « un problème d’islamophobie », tout en se disant choquée de la défiance des habitants des quartiers vis-à-vis des syndicats. Mais cette défiance s’explique notamment par l’expérience répétée de logiques discriminatoires jusqu’au sein de la CGT, ou les thématiques antiracistes, pour beaucoup, sont seulement instrumentalisées à des fins éminemment intéressées. Le fait que Sophie Binet, ancien personnel de l’éducation nationale, ait soutenu l’ignoble traque des collégiennes et lycéennes musulmanes qui porteraient l’abaya, suscitant l’indignation de nombreux militants, dont la section des journalistes de Mediapart, avant de rétropédaler, en est un symptôme révélateur.
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Appel à une action de sensibilisation contre les discriminations intra-syndicales
Par Alain Marshal, nom de plume de Salah L.
Depuis plus d’un an, j’ai tenté d’alerter la Confédération CGT sur mon exclusion arbitraire de la CGT Educ'action 63 et sur les discriminations que j'y ai subies à cause de mes différences, et de ma dénonciation des positions de la Confédération sur la Palestine suite au 7 octobre. Tant mes courriers internes que mes appels publics sont restés lettre morte, comme si la Confédération considérait que ce qui se passe au sein de ses Fédérations n'était pas de son ressort.
Pour ma part, je considère que cette affaire engage toute la CGT, dans la mesure où ses Statuts et ses valeurs proclamées sont bafoués, son image dégradée, et l’un de ses anciens élus et syndiqués – en l’occurrence moi-même – mis en danger pour le reste de sa carrière en raison de calomnies à caractère islamophobe portées collectivement par mes anciens « camarades » : leurs accusations infamantes ont amalgamé de manière honteuse mon identité arabo-musulmane à l’extrémisme, comme le fait le pouvoir macroniste en assimilant tout soutien à la cause palestinienne à de l'apologie du terrorisme. Sophie Binet elle-même a dénoncé cette répression d'Etat contre les militants pro-palestiniens, et a dénoncé le racisme et l'islamophobie systémiques, mais comment croire que ces déclarations sont sincères lorsque la CGT semble tolérer de tels procédés en interne ?
C’est pourquoi j’en appelle à toutes celles et ceux qui, comme moi, estiment que la lutte contre les discriminations doit avant tout commencer au sein de nos propres structures, sans quoi les discours d'ouverture et de tolérance ne relèvent que de l'instrumentalisation. Je vous invite à participer à une action de sensibilisation contre les discriminations intra-syndicales, le 13 juin à Montreuil, à l’occasion des célébrations des 130 ans de la CGT, auxquelles je serai présent.
Nous y distribuerons des tracts reprenant le texte de la pétition appelant à ma réintégration (qui a plus de 15 000 signataires) aux abords du siège de la CGT et de la mairie de Montreuil, où plusieurs événements et festivités sont organisés par la CGT tout au long de la journée et de la soirée (à destination de 500 Secrétaires Généraux, de 500 jeunes syndiqués et du grand public). Ce sera un geste simple, ressemblant en tous points aux actions militantes que je menais lorsque j’étais encore membre actif du syndicat : interpeller les responsables sur des enjeux majeurs, et sensibiliser le public à ces questions essentielles.
Si vous êtes en mesure de participer à cette action (des solutions de logement pourront être proposées en région parisienne du 12 au 14 juin), merci de me le faire savoir dès que possible par email : alainmarshal2@gmail.com
Vous pouvez également nous soutenir de plusieurs manières :
- En diffusant largement l’affaire autour de vous, en particulier la pétition – afin d'atteindre les 20 000 signatures – ainsi que l’action de soutien du 13 juin auprès de quiconque est susceptible d'y participer et/ou de lui donner un écho.
- En contribuant financièrement via ce lien pour nous aider à couvrir les frais déjà engagés et ceux à venir.
- En nous transmettant vos témoignages sur les violences et discriminations au sein de la CGT.
Merci pour votre soutien !
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Lettre de soutien de Norman Finkelstein à Salah, pro-palestinien exclu de la CGT
Ce message de soutien de Norman Finkelstein, fils de survivants d'Auschwitz et du ghetto de Varsovie et autorité mondiale sur la question israélo-palestinienne, a été adressé par courriel aux membres de la Commission exécutive confédérale de la CGT le 29 janvier 2025. Il est resté lettre morte. Les notes entre crochets et liens hypertexte ne faisaient pas partie du courrier du Professeur Finkelstein, dont l'original en anglais est accessible sur ce lien.
Pour plus d’informations sur le litige m'opposant à la CGT Educ'action 63 et à l'UNSEN-CGT, lire Lettre ouverte à Sophie Binet : la CGT doit se purger des idées d’extrême droite et la Pétition pour ma réintégration, dont Norman Finkelstein est l'un des signataires. L'appel que j'ai initié pour Gaza et qui a conduit à mon expulsion de la CGT peut être lu et signé ici : La CGT doit apporter un soutien sans ambiguïtés au peuple palestinien.
Lettre de soutien à Salah L.
Je m’appelle Norman G. Finkelstein. J’enseigne les sciences politiques [aux Etats-Unis] et je suis l’auteur de plusieurs livres.
Je connais Salah L. depuis de nombreuses années. Il a été à la fois un correspondant régulier et le traducteur de documents importants. Il fait preuve de rigueur dans son raisonnement et d’indépendance dans ses conclusions. Bien que nous soyons en désaccord sur de nombreux sujets, je l’ai toujours trouvé respectueux de mes opinions et stimulant dans ses arguments.
Il va de soi qu’une organisation démocratique telle qu’un syndicat requiert une unité d’action. Mais il est tout aussi évident que la pensée stagne en l’absence d’une opposition vigoureuse, et que le désaccord ne devrait jamais être un tabou, car, comme l’a dit Jean-Paul Sartre, la vérité est toujours un « objet d'indéfinie approximation ».
Le défi consiste à trouver le juste équilibre entre l’unité d’action et l’indépendance d’opinion. Pendant la guerre du Vietnam, certains des dissidents les plus courageux, comme Philip et Daniel Berrigan, s’opposaient fermement à l’avortement. Les catholiques engagés dans la théologie de la libération ont joué un rôle important pendant les guerres de l’ère Reagan en Amérique centrale, tout en s’opposant à l’homosexualité et à l’avortement. Beaucoup n’étaient pas d’accord avec eux, mais personne n’a jamais suggéré qu’ils devaient être exclus du mouvement [anti-impérialiste].
Je tiens également à souligner qu’après avoir examiné l’ensemble des documents du dossier, je ne comprends pas très bien pourquoi Salah a été exclu du syndicat. Salah semble croire que son véritable « péché » est d’avoir exprimé son soutien pour les écoles confessionnelles et de s’être opposé à la position officielle du syndicat concernant les événements du 7 octobre 2023. Je voudrais faire remarquer que même un laïc aussi convaincu que John Stuart Mill ne s’opposait pas à l’existence des écoles confessionnelles, pour autant qu’elles respectent un haut niveau d’exigence académique. Dans mon propre pays, les écoles confessionnelles (que nous appelons ici écoles « paroissiales ») jouent un rôle important dans l’éducation civique : les écoles musulmanes, les écoles juives, etc., font partie intégrante de notre paysage. Deuxièmement, je pense qu’il est beaucoup trop tôt pour porter des jugements définitifs, qu’ils soient factuels ou moraux, sur les événements du 7 octobre. Par exemple, si sanglantes qu’aient pu être les révoltes d’esclaves dans les Caraïbes et en Amérique du Nord, et si indignée qu’ait été l’opinion blanche majoritaire à l'époque, l’histoire a été bien plus clémente envers les insurgés. À l’heure actuelle, je crois que même si le syndicat a bien sûr le droit d’adopter une position officielle, il doit accepter l’expression de vues dissidentes au sein de l’organisation.
Je le répète : il n’est pas aisé de trouver le bon compromis dans l'arbitrage de ces questions. Mais je suis convaincu que si toutes les parties font preuve de bonne foi, un équilibre peut être trouvé pour inclure une personne d’un courage moral et d’une intégrité aussi exemplaires que Salah.
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