Israël et Iran ou le Génie sorti de la bouteille
par Renaud Bouchard
samedi 14 juin 2025
Ramesh Takuri
ihttps://www.un.org/fr/chronicle/article/si-vous-voulez-la-paix-des-morts-preparez-vous-la-guerre-nucleaire
Cécité ou clairvoyance stratégiquei ?
Le dimanche 7 juin 1981, jour anniversaire de la guerre des Six Jours, huit avions F16 frappés de l’étoile de David survolent à très basse altitude, pour ne pas être repérés, les déserts d’Arabie Saoudite puis de l’ouest de l’Irak, pour aller bombarder une centrale atomique irakienne en cours de construction , près de Bagdad.ii
En 36 secondes, avec « l'Opération Operaiii », « Osirak » est anéantie.
Le refus de M. Begin, alors Premier ministre, d'une menace nucléaire susceptible d'anéantir Israël n'a rien de nouveau, avec toutefois une nuance de taille que le nouvel adversaire, la nouvelle menace, est désormais représentée par l'Iran.
On rappellera qu'une autre opération intitulée « Orchard » fut aussi menée en Syrie le 06 septembre 2007 dans des circonstances identiques, conduisant à la destruction d'un réacteur alors soupçonné de pouvoir produire du plutonium à usage militaire.iv
Le bref rappel de ces interventions militaires majeures vient confirmer une politique de prévention qui vient brusquement de connaître d'autres développements plus que préoccupants avec la guerre ouverte opposant désormais Israël et la RI d'Iran.
Comme l'explique l'analyste et expert Scott Ritter, dans un article traduit par Bruno Bertez, Israël a attaqué l’Iran, prétextant le désarmement du programme nucléaire iranien. Mais cette attaque ne vise pas (que) l’enrichissement de l'uranium.
Elle vise un changement de régime. Et il ne peut y avoir qu’un seul vainqueur.
/Ou deux perdants, à tout le moins...
L'ennui est qu'agissant de la sorte, il se pourrait bien qu'Israël soit entré dans une toute autre dimension géostratégique en libérant le Génie de sa bouteille, un Génie qui, à l'image de celui figurant dans ces diverses versions du chef-d'oeuvre cinématographique intitulé Le Voleur de Bagdad, est un personnage dangereux, malfaisant et incontrôlable.v
Ne serions-nous pas en train d'assister à la mise en place effective d'une version Proche-Orientale du fameux "Piège de Thucidyde"vi en référence à La Guerre du Péloponnèse, ouvrage dans lequel Thucydide exposait, il y a deux mille cinq cents ans, la manière dont prit forme le conflit entre Athènes et Sparte ? « Ce fut l’ascension d’Athènes et la peur que celle-ci instilla à Sparte qui rendirent la guerre inévitable. » De ce schéma opposant un gardien du statu quo (menacé de paranoïa) et un perturbateur ambitieux (tenté par l’hubris), Israël et Iran pourraient bien en poursant le curseur plus avant, déclencher un cataclysme dont personne ne sortira indemne.
Téhéran sous attaque israélienne, 13 juin 2025
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a annoncé le lancement de l’opération « Courage du Lion », dont l’objectif annoncé est de détruire les infrastructures d’enrichissement et d’armement nucléaires de l’Iran.
Netanyahou et ses hauts gradés ont indiqué que cette opération durerait plusieurs semaines.
Un élément clé de la frappe semblait viser à décapiter les hauts responsables iraniens, tant de l’armée que de l’industrie militaire, liés au programme nucléaire iranien. Israël a affirmé détenir de nouveaux renseignements indiquant que l’Iran se préparait à se doter d’une capacité d’armement nucléaire. Ces renseignements, selon Israël, auraient motivé la décision de frapper sans plus attendre, alors même que les États-Unis étaient engagés dans des négociations avec l’Iran sur la manière d’apaiser les inquiétudes concernant son potentiel d’armement nucléaire tout en permettant la poursuite des opérations d’enrichissement d’uranium.
Plus de détails sur les cibles précises de cette première vague d’attaques israéliennes seront sans doute bientôt disponibles.
Les premiers rapports suggèrent qu’outre les frappes de décapitation, Israël a frappé des installations de défense aérienne et de communication, des installations d’enrichissement nucléaire à Natanz et Firdos, des installations de production de missiles balistiques à Parchin, une base d’opérations de missiles balistiques à Piranshahr et d’autres installations de nature similaire.
L’Iran est son propre pire ennemi
Ces derniers mois, l’Iran s’est positionné comme un État au seuil de l’accession à l’arme nucléaire.
/Note RB : la réalité est que l'Iran a déjà franchi le seuil nucléaire depuis longtemps, ses capacités scientifiques et technologiques en la matière venant compléter une réelle maîtrise de ses capacités en matière ballistique).
Si l’Iran a parfaitement le droit, en tant que signataire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), de posséder la capacité d’enrichir de l’uranium dans le cadre d’un programme nucléaire pacifique supervisé par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), il n’a aucun droit légal de se doter d’armes nucléaires tant qu’il reste signataire du TNP.
L’accumulation par l’Iran d’uranium enrichi à 60 %, pour laquelle il n’y avait aucun objectif légitime lié à ses activités nucléaires déclarées, était un acte délibéré de l’Iran visant à se positionner à un cycle d’enrichissement de l’uranium enrichi à environ 92 %, utilisable dans une arme à fission.
Centrifugeuses iraniennes IR-6
L’Iran a également installé des cascades de centrifugeuses IR-6 de pointe, bien plus efficaces pour l’enrichissement de l’uranium, dans son usine souterraine de Firdos. Ces cascades permettraient de convertir l’uranium enrichi à 60 % iranien en uranium de qualité militaire en quelques jours, fournissant ainsi à l’Iran des matières fissiles suffisantes pour fabriquer trois à cinq armes nucléaires.
Au cours de la dernière décennie, l’industrie militaire iranienne a maîtrisé toutes les technologies nécessaires à la production d’une ogive dotée d’une électronique avancée et d’autres propriétés thermosensibles, capable de résister à la chaleur d’une rentrée hypersonique. Ces caractéristiques de conception sont essentielles à toute capacité viable de vecteur d’armes nucléaires : produire un dispositif de fission ne suffit pas ; il faut pouvoir le lancer sur la cible visée.
La seule chose qui a retenu l’Iran était la décision officielle prise par les dirigeants iraniens selon laquelle les armes nucléaires étaient interdites en vertu de la jurisprudence islamique existante, à savoir une fatwa, ou un décret, émis par le Guide suprême de l’Iran, l’Ayatollah Khamenei, qui jugeait les armes nucléaires incompatibles avec les principes de la République islamique d’Iran.
Mais l’Iran a rendu cette position de principe vaine ces derniers mois, car les déclarations de hauts responsables irakiens, de conseillers et de politiciens ont clairement indiqué que cette fatwa interdisant les armes nucléaires pourrait être annulée si la République islamique devait être confrontée à une menace existentielle de la part d’un Israël doté de l’arme nucléaire.
En bref, l’Iran s’est positionné comme un État sur le point de se doter de l’arme nucléaire.
Et cela ne pourra jamais perdurer, une réalité que les frappes israéliennes en cours ont clairement soulignée.
Et ensuite ?
Le génie de l’escalade est malheureusement sorti de la bouteille.
L’Iran se trouve désormais dans une situation où il faut l’utiliser ou le perdre, où la capacité nucléaire qu’il a acquise devra soit être rapidement convertie en une capacité nucléaire viable, soit être diminuée et/ou éliminée par l’attrition continue des frappes israéliennes.
Après avoir promis de se retirer du TNP si ses installations nucléaires étaient attaquées, l’Iran n’a d’autre choix que de mettre sa menace à exécution.
Ne pas le faire serait perçu comme un acte de capitulation de la part du régime iranien, ce qui pourrait servir de prédicat à un changement de régime.
La question est donc de savoir si les attaques israéliennes ont atteint le niveau de destruction requis pour empêcher l’Iran d’acquérir rapidement l’arme nucléaire.
L’essentiel pour Israël, à ce stade, est de provoquer l’Iran à se retirer du TNP et à entamer le processus d’acquisition de capacités nucléaires. Cet acte iranien incitera les États-Unis, qui ont pris leurs distances avec les premières frappes aériennes israéliennes, et l’Europe, dont les principales nations (la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne) ont affirmé que l’Iran ne serait jamais autorisé à posséder l’arme nucléaire, à s’impliquer dans les frappes militaires contre l’Iran.
Pour ce faire, Israël doit retarder la démarche iranienne vers la fabrication de la bombe. Cela ne se fera pas en détruisant les installations d’enrichissement profondément enfouies – une tâche qui dépasse les capacités conventionnelles d’Israël et des États-Unis – mais plutôt en tuant des hauts dirigeants et des cadres supérieurs de l’armée et de l’industrie militaire iraniennes, et en détruisant les infrastructures critiques utilisées par l’Iran pour fabriquer les différents composants indispensables à la fabrication d’une arme nucléaire et de ses vecteurs de missiles balistiques.
La combinaison de telles attaques aurait logiquement pour but de semer le chaos et l’incertitude au sein d’un programme d’armement nucléaire iranien qui, en raison du climat politique qui régnait avant les attaques israéliennes, n’avait pas encore abouti à une entité viable et formelle. Si Israël avait attendu une semaine de plus, les Iraniens auraient probablement pu rassembler les éléments disparates de leur programme d’armement nucléaire de base en une structure formelle, dotée de résilience, de redondance et de fiabilité.
Il semble qu’Israël ait ciblé et tué de nombreux hauts responsables iraniens qui auraient été au cœur des efforts concertés nécessaires à la concrétisation d’un programme d’armement nucléaire. L’Iran devra se ressaisir d’un point de vue technique, même si ses dirigeants jettent les bases politiques nécessaires à la mise en place officielle d’un programme d’armement nucléaire.
Si Israël obtient les résultats escomptés de sa frappe contre l’Iran, ce regroupement prendra du temps, et le temps ne joue pas en faveur de l’Iran.
L’Iran a promis des représailles massives contre Israël et toute nation qui soutiendrait une attaque israélienne contre l’infrastructure nucléaire iranienne.
Tirs de missiles iraniens, True Promise 2, 2 octobre 2024
Si l’Iran ne parvient pas à lancer une telle attaque, quelle qu’en soit la raison (manque de capacité, manque de volonté politique, ou les deux), cela crée une fenêtre d’opportunité pour que la diplomatie montre sa tête hideuse et impose un cessez-le-feu qui verrouille les gains israéliens tout en ouvrant l’Iran aux inspections internationales de ses infrastructures d’enrichissement nucléaire et de production de missiles balistiques – en bref, une énorme victoire israélienne et une défaite iranienne dévastatrice.
Si l’Iran souhaite finaliser un programme d’armes nucléaires, il invitera alors les États-Unis et l’Europe à y participer.
Et c’était peut-être l’objectif d’Israël depuis le début.
/Note RB. Il existe un fossé profond entre Rêve et Réalité.
De plus, alors que le président Trump et le secrétaire d’État Marco Rubio ont tenté de se distancer de cet acte d’agression militaire israélienne, certains éléments au sein de l’administration Trump et du Congrès américain (le sénateur Lyndsey Graham par exemple) soutiennent ouvertement les actions israéliennes contre l’Iran.
En réalité, les États-Unis ont accordé à Israël l’autorisation tacite de frapper l’Iran, à la fois pour contribuer à façonner la réalité géopolitique nécessaire pour juger l’action israélienne raisonnable (unir les pays arabes du Golfe face à une agression iranienne perçue et obtenir du Conseil des gouverneurs de l’AIEA l’adoption d’une résolution accusant l’Iran de violer ses obligations de garanties au titre du TNP), et pour gagner du temps pour qu’Israël peaufine sa stratégie d’attaques en engageant l’Iran dans des négociations nucléaires. Ces négociations, présentées comme légitimes, n’étaient en réalité qu’une tentative des États-Unis de provoquer un comportement iranien surveillé par les services de renseignement américains, européens et de l’OTAN, afin de générer des cibles à frapper par Israël.
Changement de régime, pas désarmement
Les rapports actuels suggèrent que l’Iran pourrait déclarer la guerre à Israël.
Une telle déclaration transformerait ce conflit en une lutte existentielle entre une nation, Israël, qui a été vendue au public américain comme un allié fidèle des États-Unis, et une autre, l’Iran, qui a été considérée depuis la création de la République islamique comme un ennemi mortel.
Il n’y a aucun doute quant au camp que prendront les États-Unis.
Cela signifie qu’à terme, et le plus tôt possible, les États-Unis joindront leur puissance militaire à celle d’Israël pour parvenir à la défaite stratégique de l’Iran.
« Défaite stratégique » est un euphémisme pour désigner un changement de régime.
L’Iran avait une seule opportunité d’empêcher ce résultat inévitable et prévisible : négocier un nouvel accord nucléaire avec les États-Unis qui éliminerait de manière vérifiable le statut de l’Iran en tant qu’État au seuil de l’arme nucléaire.
Mais plutôt que d’enfermer les États-Unis dans un accord, l’Iran a laissé le processus traîner en longueur, se laissant ainsi piéger par un processus qui n’avait jamais pour but de produire un accord finalisé, mais toujours de gagner du temps pour qu’Israël puisse porter son coup de grâce.
Aujourd’hui, l’Iran n’a qu’une seule chance de survie.
Il faut comprendre que l’Iran ne sera jamais autorisé à posséder l’arme nucléaire.
Si l’Iran tente maintenant de le faire, il sera physiquement détruit.
La solution au problème du programme nucléaire iranien ne peut cependant pas être apportée par une intervention militaire d’Israël et/ou des États-Unis.
Au lieu de cela, l’Iran doit porter des coups extrêmement durs contre l’État d’Israël, des frappes si dévastatrices qu’Israël n’a d’autre choix que de supplier les États-Unis d’intervenir pour négocier un accord de paix.
Des missiles iraniens en route vers Israël, le 2 octobre 2024
Et le fondement de cet accord de paix doit être la normalisation du programme nucléaire iranien dans le cadre du TNP.
Un tel résultat est-il possible ?
Oui.
Mais cela nécessitera la quasi-destruction d’Israël par l’Iran.
True Promise 3, l’attaque de missiles balistiques iraniens tant attendue contre Israël, est agitée par l’Iran depuis plusieurs mois maintenant.
L’Iran doit désormais exécuter cette opération avec perfection et détermination s’il veut survivre.
Toute autre mesure signifierait la fin de la République islamique d’Iran.
Note RB :
Il ne s'agit ici que d'une analyse, à tout le moins d'une piste de réflexion.La réalité risque fort d'être plus que surprenante : entre chaleur et lumière...
Sources :
ihttps://www.frstrategie.org/publications/notes/guerre-nucleaire-est-elle-possible-propos-livre-annie-jacobsen-guerre-nucleaire-un-scenario-2024
iihttps://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=kCq2vtVonSc
iiihttps://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Op%C3%A9r
ivhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Op%C3%A9ration_Orchard
v Le Voleur de Bagdad de Ludwig Berger, Michael Powell, Tim Whelan, film sorti en France en 1946 et celui de Steve Reeves 1960 https://youtu.be/e8yqGd0W2Ak?t=200
A 1:05:53 https://youtu.be/hMtJmmNvM9o?t=3956