La relique interdite : l’énigme du Saint Prépuce, de la foi au scandale

par Giuseppe di Bella di Santa Sofia
samedi 14 juin 2025

Sous les voûtes d’une église siennoise, en 1375, une femme en extase murmure des prières, les yeux fixés sur un reliquaire d’argent. À l’intérieur, un fragment de chair, dit-on, du Christ : le Saint Prépuce. Vénéré, moqué, perdu dans les brumes du temps, cet objet étrange a fasciné des générations. Comment une relique si intime est-elle devenue un symbole de foi ?

 

Une relique née dans l’ombre de la circoncision

Dans l’Europe médiévale, les reliques sont des trésors spirituels. Fragments de la Vraie Croix, dents de saints, gouttes de sang divin : chaque église se dispute ces gages de miracles. Le Saint Prépuce, prétendu vestige de la circoncision de Jésus, occupe une place singulière, entre ferveur et gêne. L’Évangile de Luc mentionne la circoncision du Christ, huit jours après sa naissance, mais aucun texte sacré n’évoque le sort de ce fragment de peau. D’où vient alors cette relique, et comment a-t-elle surgi des ombres de l’histoire ?

 

 

Les premières traces, fragiles, remontent au VIIIe siècle. Une chronique byzantine, enfouie dans les archives de Constantinople, rapporte que l’impératrice Irène aurait offert à Charlemagne un reliquaire contenant le Prépuce lors de son couronnement en 800. "Un présent d’une valeur inestimable, enveloppé de soie", note un clerc anonyme dans une lettre à un évêque franc. Ce récit, teinté de légende, suggère que la relique servait d’outil politique, un symbole de légitimité pour un empereur naissant. Mais les archives vaticanes restent muettes et l’authenticité de ce don demeure incertaine.

Bientôt, le Prépuce se démultiplie. Paris, Anvers, Compostelle : une douzaine d’églises revendiquent le "vrai" fragment. Une légende populaire, consignée dans un manuscrit de l’abbaye de Cluny, prétend que la Vierge Marie l’aurait confié à Marie-Madeleine, qui l’aurait transmis à une lignée secrète. Ces récits, vibrants de mysticisme, trahissent l’appétit médiéval pour les reliques, mais s’effritent sous l’analyse. Les rivalités entre diocèses, en quête de pèlerins et d’offrandes, expliquent cette prolifération. "Chaque évêque rêve de son miracle", raille un moine cistercien dans une lettre de 1147, dénonçant ces "reliques douteuses".

 

Ferveur et fascination : le culte du Prépuce

Dans les venelles boueuses des bourgs médiévaux, l’odeur d’encens se mêle à celle des tanneries. Les pèlerins, leurs sabots claquant sur les pavés, affluent pour vénérer les reliques. Le Saint Prépuce, malgré son caractère intime, inspire une dévotion ardente, surtout parmi les femmes. À Charroux, au XIIe siècle, des chroniques décrivent des processions où des mères brandissent des cierges, implorant la protection pour leurs accouchements. "Cette chair sacrée, marquée par Dieu, veille sur la vie naissante", écrit un prêtre poitevin dans un registre de 1183. Ce lien avec la fertilité fait du Prépuce un talisman contre les périls de la maternité.

Sainte Catherine de Sienne, figure mystique du XIVe siècle, incarne cette ferveur à sa manière. Dans une lettre à son confesseur, Raymond de Capoue, vers 1375, elle évoque une vision où le Christ l’unit à lui par un "anneau de chair", interprété par certains comme le Prépuce. "Il m’a liée à lui par un don plus précieux que l’or", confie-t-elle, selon un manuscrit dominicain de Sienne. Ce récit, métaphorique, reflète la spiritualité audacieuse de Catherine, fascinée par le corps souffrant du Christ. Une biographie postérieure, rédigée au XVIe siècle, affirme qu’elle encouragea la vénération du Prépuce à Sienne, où une relique était conservée. Ce texte, conservé aux archives vaticanes, manque de preuves contemporaines, mais illustre comment la sainte devint un symbole de ce culte, mêlant extase et controverse.

 

 

Cette piété n’est pas sans excès. À Calcata, petit village italien, la relique attire des foules jusqu’au XVIe siècle. Un pèlerin anglais, en 1557, décrit dans son journal une procession où "des prêtres en robes pourpres portent un coffret d’argent, sous les acclamations des fidèles". Mais cette ferveur attire aussi les profanateurs. Lors du sac de Rome en 1527, des mercenaires luthériens s’emparent de la relique de Calcata, riant de cette "idolâtrie papiste". Un chroniqueur romain, en 1528, déplore : "Ils ont souillé ce qui était saint, se moquant de notre foi". La relique réapparaît mystérieusement à Calcata, mais son authenticité reste contestée.

 

 

Les Lumières et l’embarras d’une relique

Au XVIIIe siècle, l’odeur de l'encre des imprimeries remplace celle de l’encens. Les philosophes des Lumières, armés d’ironie, s’attaquent aux reliques, emblèmes d’une foi qu’ils jugent aveugle. Le Saint Prépuce, par son caractère provocateur, devient une cible privilégiée. Dans une lettre de 1760, Voltaire raille : "Pense-t-on qu’un morceau de peau divine traîne dans les sacristies ?". Cette moquerie, qui confond circoncision et castration, révèle le mépris des lettrés pour ces objets sacrés, mais aussi leur ignorance des traditions juives.

L’Église, gênée, tente de juguler le culte. En 1707, un évêque de Châlons ordonne l’examen d’une relique locale. Un chirurgien, chargé de l’analyse, goûte le fragment – une pratique courante – et conclut : "Je n’ai senti que du sable sous mes dents". Ce rapport, conservé aux archives diocésaines, aboutit à la destruction de la relique, un geste symbolique du reflux de la ferveur. À Charroux, les processions s’espacent, les reliquaires sont remisés. Un registre de 1793, à Calcata, note : "Les fidèles sont rares, les cierges moins nombreux".

Pourtant, des voix s’élèvent pour défendre le Prépuce. Un récollet de Châlons, dans un traité de 1712, argue : "Si le Christ a souffert la circoncision, pourquoi douter que sa chair soit préservée ?". Ce manuscrit, conservé à la Bibliothèque nationale de France, reste un cri isolé. Les visions de Catherine de Sienne, jadis célébrées, sont désormais reléguées aux marges, jugées trop audacieuses. Le Prépuce, symbole d’une piété charnelle, s’efface sous les assauts de la raison.

 

Disparition et énigme : la fin du Saint Prépuce

Au XXe siècle, le Saint Prépuce n’est plus qu’un écho. À Calcata, dernier refuge, les villageois maintiennent une procession annuelle chaque 1er janvier. Un témoignage oral, recueilli en 1964 par un ethnographe, décrit : "Les anciens chantaient, les cloches sonnaient, mais les jeunes riaient en secret." Cette fracture annonce la fin. En 1983, la relique disparaît d’une boîte sous le lit du curé. "Volée, peut-être par des collectionneurs", murmure un paroissien dans une lettre au diocèse.

 

 

Les rumeurs abondent. Une légende accuse le Vatican d’avoir fait disparaître la relique pour effacer une source d’embarras. Une note de l’évêché de Viterbe, en 1984, dément : "Aucune intervention n’a été ordonnée ; la perte est un mystère". Certains évoquent un marché noir des reliques, mais sans preuve, ces récits s’évanouissent. Le Prépuce, jadis source de miracles, disparaît comme une ombre.

Que reste-t-il de cette relique ? Quelques traces dans les archives, un murmure dans les chroniques. Le lien de Catherine de Sienne, avec ses visions d’anneau divin, nous rappelle la ferveur d’une époque où la chair du Christ était un pont vers l’absolu. Comme l’écrivait un pèlerin en 1421, dans un carnet de Compostelle : "Peu importe la relique, si elle nous mène à Lui".


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