L’Afghanistan est libre !

par Alain Michel
mercredi 18 août 2021

Les Afghans auront-ils toujours les armes à la main ? Au temps des Russes, c’étaient des héros qui luttaient contre la première armée du monde. Au temps des Américains, ce sont des obscurantistes, qui s’opposent au pays le plus puissant au monde et à la civilisation. Ce sont pourtant les mêmes gens. Le regard porté sur eux dépend énormément de l’image que veut donner d’eux la propagande occidentale.

Ceux qu’on appelle Talibans sont entrés dans Kaboul, mais qui sont-ils ? Depuis la chute des Talibans en 2001, au fil des alliances, des trahisons et des recompositions politiques, l’ensemble des mouvements insurgés du pays ont fini par former une coalition efficace contre l’occupant américain et ses vassaux occidentaux. Cette coalition n’est pas que militaire, puisque ses combattants sont des volontaires et ont des liens familiaux et économiques étroits avec la population. En fait, ils sont la population… C’est cette coalition que les gouvernements occidentaux appellent Talibans. Ils viennent représenter toutes les ethnies et tous les courants sociaux de l’Afghanistan à travers de multiples groupes fréquemment antagonistes. Depuis des siècles, c’est de cette façon turbulente que se régulent les influences politiques dans ce pays, aboutissant finalement a une société qui n’est pas « démocratique » au sens occidental, mais qui est représentative, équilibrée et… qui préserve la paix. Cette dernière assertion peut surprendre puisque ce pays est en guerre sans interruption depuis quarante-deux ans.

Quand l'Amérique veut quelque-chose, elle le prend. Vraiment ?

C’est oublier que depuis 1979, année de l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée Rouge, les Afghans ne font que combattre des troupes équipées ou influencées par des pays étrangers. Les Russes sont chassés en 1989 sans l’aide de personne. Les Américains s’attribuent souvent cette victoire au titre de l’aide qu’ils ont apportée aux Afghans. En réalité, ils ne livrèrent que quelques missiles Stinger à partir de 1986 – la guerre était déjà jouée – et seulement aux factions les plus extrémistes, qui ne les employèrent pas contre les Russes mais durant la guerre civile qui suivit. Durant celle-ci, certains groupes fondamentalistes furent soutenus par les Etats-Unis, d’autres par le Pakistan qui jouait son propre jeu d’influence. L’arrivée des Talibans vint mettre un terme à la violence entre Chefs de Guerre et au trafic de drogue, et représentait aussi un affermissement de la foi musulmane – cent pour cent des Afghans sont musulmans, majoritairement sunnites. Plus purs, les Talibans échappaient au jeu d’influence des puissances occidentales : l’Afghanistan sortait du Grand Jeu international…

Quand les Américains s’emparèrent du pays en 2001, les Talibans disparurent en tant que mouvement politique. Les différentes factions armées du pays demeurèrent ou mutèrent. La première année, la présence américaine persistant, plusieurs manifestations d’Afghans en colère eurent lieu dans les grandes villes, réclamant leur départ immédiat. Les Américains étaient venus pour « libérer » le pays, mais leur convoitise leur fit l’occuper pour en faire une filiale américaine, comme ils l’avait fait pour l’Irak.

Tout comme les Russes, les Américains ont sous-estimé les Afghans

Un proverbe bien connu dit : « L’Afghanistan est facile à prendre, difficile à tenir ». L’Afghan a une tradition guerrière bien affirmée. Quand les Anglais envahirent le pays au XIXe siècle, les Afghans les taillèrent en pièce et s’emparèrent de leurs armes. Les touristes des années 70 trouvaient encore facilement sur les marchés de Herat ou Jalalabad de vieilles pétoires anglaises, et des armes blanches pour lesquelles le moindre enfant Afghan pouvait mimer le mode d’emploi… Ce sont ces armes obsolètes que les Afghans employèrent d’abord contre l’Armée Rouge en 1979, avant de s’emparer une fois encore des armes de l’ennemi. C’étaient les fameux AK-47 Kalashnikov, qui équipaient les troupes supplétives afghanes formées et équipées par les Soviétiques – on le voit, les Américains n’ont rien inventé. Le modèle au dessus l’AK-74 permettait de traverser les gilets pare-balles et était réservé aux soldats russes. En effet, les défections étaient monnaie courante et l’état-major soviétique se méfiait de ces troupes supplétives davantage Afghanes que Communistes – vers la fin de la guerre, des compagnies entières désertèrent, avec officiers et armements, pour rejoindre la résistance afghane.

Quand un Afghan voit un soldat sous ses fenêtres, il ne se demande pas s’il est Russe, Américain ou Français : il prend les armes. Devant la surdité des Américains, les Afghans ressortirent celles qu’ils avaient prises aux Russes et commencèrent à harceler les Américains. On connaît la suite. Mais il est bon de signaler qu’au fil des ans, les Américains ont été responsables de crimes de guerre en Afghanistan : meurtres, tortures, bombardements de civils et d’hôpitaux, la plupart bien documentés par les medias alternatifs, surtout les bombardements qu’il est difficile de cacher. (voir par exemple cet article de MSF)

Les cris d’orfraie lancés aujourd’hui par les gouvernements occidentaux ne sont que gesticulations destinées à cacher le scandale d’une guerre qui a été menée contre un peuple souverain. Il faut bien diaboliser l’ennemi, surtout s’il est vainqueur. Pour savoir ce qui va arriver maintenant, il n’y a qu’à analyser la réaction flegmatique des Russes qui, sans cérémonie, ont conservé leur représentation diplomatique à Kaboul. L’expérience.

Afghanistan, cimetière d'Empires

Alors reviennent toujours sur le tapis le sort des femmes, l’éducation des enfants, l’obscurantisme supposé des Talibans, etc. Cela, pour peu que cela soit avéré, n’est pas un problème militaire, c’est un problème culturel. Doit-on faire la guerre à des gens parce qu’on n’aime pas leur culture ? Doit-on envahir un pays et l’occuper militairement parce que leurs habitants vivent d’une façon qui ne nous plait pas ? C’est ce prétexte qui a servi à justifier pendant 20 ans l’occupation militaire de l’Afghanistan et le déni aux Afghans à se gouverner eux-mêmes – comme ils le faisaient très bien avant 1979.

Quant à la « lutte contre le terrorisme » chère aux Etats-Unis, la simple objectivité dit qu’elle n’est qu’un terme de propagande. Je n’ai vu nulle part de « terroristes » envahir d’autres pays pour y installer un gouvernement de leur cru. Cela, c’est les Etats-Unis qui l’ont fait. Qui est le terroriste ?

Chassés d’Afghanistan, les Américains ne peuvent plus désormais considérer l’Iran voisin comme encerclé. La guerre contre l’Iran, qu’ils ont en projet depuis longtemps – une autre guerre du pétrole – n’aura pas lieu. On peut donc affirmer que les ‘’Talibans’’ ont beaucoup contribué à la paix et la stabilité future de toute la région…

L’avenir ? Espérons que les Afghans parviennent à triompher de leur démon : la division. C’est un peuple merveilleux et endurant qui mérite pleinement la paix et la souveraineté qui étaient la règle avant 1979.


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