Islamogauchisme - le CNRS contre la liberté académique ?

par MrMétaphysique
samedi 13 mars 2021

Depuis un mois, la polémique sur l'islamogauchisme enfle, opposant le gouvernement et les universitaires de gauche. En revenant au source de la polémique, aux communiqués de la CPU et du CNRS, je montre que derrière la prétendue non-scientificité du concept d'islamogauchisme se cache la défense des intérêts de classe d'une petite bourgeoisie de gauche qui évolue en vase clos dans ses délires idéologiques. Oui, l'islamogauchisme est une réalité, et la meilleure preuve, c'est qu'en le dénonçant, les islamogauchistes ont répondu présent. 

 

Depuis un mois, la polémique sur l’islamogauchisme n’en finit plus.

Par médias interposés, une guerre s’est ouverte entre le gouvernement et une partie du monde universitaire. Le terme est utilisé depuis quelques années déjà dans les débats politiques, mais il n’avait encore jamais fait l’objet d’une telle attention.

Selon ses détracteurs, qui s’auto-proclament représentants de l’université dans son ensemble, et par là même de la science en personne, excusez du peu, il ne recouvrirait tout simplement aucune réalité - le débat est ainsi rejeté comme hors-sujet, il n’a pas lieu, il est « cancelled. »

Pourtant, pour un mot qui ne recouvre aucune réalité, sa simple énonciation n’a pas manqué de faire réagir, il n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, on peut même dire qu’il a touché sa cible.

Autrement dit, l’islamogauchisme n’existe pas, mais les islamogauchistes, eux, ont bel et bien répondu à ce mot, ils y ont réagi, ils ont répondu à l’appel - prouvant ainsi que le mot désignait bien une réalité : eux.

Aujourd’hui, je reviens sur le début de cette polémique, qui nous renseigne sur l’enjeu véritable, c’est-à-dire le jeu de pouvoir sous-jacent à la position négationniste de ces universitaires, qui se cache derrière le prétendu caractère non-scientifique du concept d’islamogauchisme.

 

 

Le dimanche 14 février, sur Cnews, Jean-Pierre Elbakkach demande à la ministre de la recherche et de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal de réagir à la Une du Figaro du vendredi 12 février « L’islamo-gauchisme gangrène l’université », avec en sous-titre « La convergence entre intégristes musulmans et extrême gauche progresse dans les facs. Elle se nourrit de concepts militants venus des États-Unis, récupérés par certains syndicats étudiants. »

Le journaliste commence par évoquer les témoignages d’universitaires qui sont entravés dans leurs recherches à cause de l’islamogauchisme, comme élément premier et cause de l’émergence de ce débat sur l’islamogauchisme à l’université.

La ministre répond : « Moi, je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable, elle fait partie de la société. »

Puis, elle ajoute : « ce que l'on observe dans les universités, c'est qu'effectivement il y a des gens qui peuvent utiliser leur titre et l'aura qu'ils ont, ils sont minoritaires, pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l'islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l'ennemi, etc. »

Le journaliste la relance : « Vous ajoutez aussi les indigénistes qui disent la race, le genre, la classe sociale, tout ça forme un tout ? »

Vidal s’empresse de répondre « absolument, absolument », avant même qu’il n’ait fini sa phrase, s’explique (« En biologie, cela fait bien longtemps que l’on sait qu’il n’y a qu’une seule espèce humaine et qu’il n’y a pas de races »), puis modère son propos : « Dans les universités, et c’est ce qu’il faut dire aussi, il y a la réaction de tous les chercheurs académiques qui revendiquent le droit de chercher, d’approfondir les connaissances, librement, et c’est nécessaire ».

Elkabbach revient à la charge : « Oui, mais on les empêche. Il y a une sorte d’alliance entre Mao Zedong et l’ayatollah Khomeini. »

La ministre approuve : « Vous avez raison, c’est bien pour ça qu’à chaque fois qu’un incident se produit, il est sanctionné, à chaque fois que quelque chose est empêché, c’est reprogrammé. »

Puis, elle se modère une nouvelle fois et annonce une enquête : « On ne peut pas interdire toute approche critique а l’université. Moi c’est зa que je vais évidemment défendre et c’est pour зa que je vais demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’université de manière а ce qu’on puisse distinguer de ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève justement du militantisme et de l’opinion. »

Plus tard, Vidal précisera à AEF que l’enquête sera confiée à ATHENA, qui regroupe le CNRS, la conférence des présidents d’université, la conférence des grandes écoles, l’Ined, l’EHESS, le CEA, l’IRD, l’Inrae et l’Inserm.

 

Faisons le bilan de cette interview qui est à l’origine de la polémique.

Il faut reconnaître que le débat était mal engagé dès le départ à cause des modalités choisies par la ministre pour annoncer cette enquête sur l’islamogauchisme.

C’est à elle que revient la première faute : le choix de faire l’annonce lors d’une interview à CNews.

D’abord, le choix de la chaîne Cnews ne pouvait que laisser penser qu’il y a un lien entre la dénonciation de l’islamogauchisme et l’extrême-doite, voire le racisme.

Ensuite, parce qu’elle devait s’y exprimer oralement en répondant à des questions lors d’une interview, ce qui l’a poussée à reprendre les mots de son interlocuteur, Jean-Pierre Elkabbach. L’oral ne permet en outre pas autant de précision que l’écrit. Il devenait ainsi facile de dénoncer le caractère prétendument flou du mot islamogauchisme quand celui-ci avait été lié dans la plus grande confusion par Elkabbach à « la race, le genre, la classe sociale. »

Enfin, en appeler à « distinguer ce qui relève de la recherche et du militantisme » était stupide, puisqu’on ne peut pas entièrement les distinguer, toute recherche est partisane, et ce n’est pas là un manque mais au contraire une richesse. C’est la subjectivité du chercheur qui permet de faire de nouvelles découvertes, mais nous y reviendrons, car c’est précisément ce que l’université va nier.

En conséquence de cette première faute, la réaction à l’annonce de Frédérique Vidal ne pouvait qu’être purement défensive, puisque son annonce s’apparente clairement à une immixtion du politique dans les affaires de l’université, une immixtion d’autant plus injustifiée et illégitime qu’elle semblait reposer sur une grande confusion intellectuelle. Plutôt qu’au judéobolchevisme (ce choix comparatif révèle un antisémitisme latent), on aurait été légitime à convoquer la référence au maccarthysme.

La responsabilité de la transformation d’un débat de fond en pure polémique revient donc à la ministre.

 

 

Mais cela n’aurait pas été possible sans les réactions hypocrites et politiques des universitaires.

C’est à eux que revient la seconde faute : au lieu de protester au nom de la liberté académique, en se contenant d’en rappeler le principe, ils ont préféré juger du fond en exprimant des opinions non fondées sur le terme même d’islamogauchisme. Autrement dit, ils ont livré leurs conclusions - l’islamogauchisme n’existe pas - à la future enquête - y a-t-il de l’islamogauchisme à l’université ? - pour justifier de ne pas avoir à en faire. Un joli sophisme.

La première réaction universitaire, le 16 février, après celle, toujours aussi outrée qu’immédiate, des réseaux sociaux, c’est-à-dire des islamogauchistes eux-mêmes sur twitter, fut celle de la Conférence des présidents d’université (CPU). C’est l’une des instances qui devait mener cette enquête.

Son communiqué de presse a pour titre « « Islamo-gauchisme » : stopper la confusion et les polémiques stériles. »

Pour résumé, rapportant l’annonce de la ministre, la CPU « fait part de sa stupeur face à une nouvelle polémique stérile », « regrette donc la confusion entre ce qui relève de la liberté académique (…) et ce qui relève d’éventuelles fautes ou d’infractions » et enfin « s’étonne de l’instrumentalisation du CNRS. »

Mais l’essentiel est ailleurs, dans ce passage :

« L’islamo-gauchisme » n’est pas un concept. C’est une pseudo-notion dont on chercherait en vain un commencement de définition scientifique, et qu’il conviendrait de laisser, sinon aux animateurs de Cnews, plus largement, à l’extrême droite qui l’a popularisé. Utiliser leurs mots, c’est faire le lit des traditionnels procureurs prompts à condamner par principe les universitaires et les universités. »

L’argument proposé repose donc sur le caractère non-scientifique du « concept » d’islamogauchisme, je vais revenir dessus, car là est le scandale, mais arrêtons-nous un instant sur le renvoi du problème à la question de la possibilité d’obtenir « un commencement de définition scientifique. »

Posons une question simple à ces éminents universitaires : un mot a-t-il besoin d’avoir une définition pour recouvrir une réalité ?

Non.

Comme j’y reviendrai plus tard, si je parle d’extrême-droite, je ne puis pas définir ce terme aux contours flous, mais il recouvre pourtant une réalité.

L’absence de définition n’équivaut pas à l’absence de réalité.

Par ailleurs, la plupart des mots, et notamment les concepts, n’ont pas une unique définition, mais en ont plusieurs.

Ainsi, si par manque d’une définition « scientifique », il est sous-entendu que personne ne se met d’accord pour une définition unique du terme d’islamogauchisme, c’est là encore un sophisme, puisque l’essentiel des concepts en sciences sociales ont de multiples significations, et ne sont qu’une sorte de regroupement de malentendus autour d’un unique mot.

Quoi qu’il en soit, il est manifeste que dans ce communiqué, fut-ce seulement à titre de « commencement », on ne trouve aucune tentative d’obtenir une définition, ni aucune réfutation des définitions que d’autres auraient proposées.
Autrement dit, l’affirmation selon laquelle il n’existe aucun « commencement de définition scientifique » est dépourvue de tout fondement et n’est fondée que sur le refus obstiné d’affronter le problème d’une définition univoque ou plurivoque du concept d’islamogauchisme.

C’est donc une pétition de principe.
Autrement dit, un énoncé malhonnête et hypocrite.

Abordons désormais le problème du caractère scientifique ou non scientifique du concept d’islamogauchisme.

Selon le communiqué, l’islamogauchisme est un concept sans définition scientifique, relevant des « représentations caricaturales et des arguties de café du commerce. »

Autrement dit, l’université est le contre-modèle absolu de ce concept et de ses usages, elle est le lieu même de la science, sûre d’elle-même, qui peut définir ce qui est vrai ou faux, ce qui doit ou non faire l’objet d’un débat politique.

Dans L’Envers de la psychanalyse, Jacques Lacan décrit les quatre discours fondamentaux au sein desquels s’inscrivent les relations sociales. Alors que le discours du maître consiste, lui, à affirmer qu’il ne veut rien savoir mais veut uniquement se faire obéir de son esclave, le discours de l’universitaire, lui, qui est celui de cet esclave, apporte au maître ce qu’il voulait et ainsi le satisfait, grâce à son savoir-faire. Autrement dit, l’universitaire est au service du maître, et il l’est grâce à la science qu’il possède. Selon Lacan, le discours d’un universitaire consiste donc à cacher le rapport de force dans lequel il évolue en se réfugiant derrière une prétendue pure scientificité. L’université évince les conditions réelles d’obtention de son savoir, elle prétend que sa parole est dépourvue de toute subjectivité et incarne l’universalité purement scientifique. C’est exactement ce discours que tient la CPU.

D’ailleurs, le communiqué se termine par une fin de non-recevoir, c’est-à-dire un refus délibérer de mener l’enquête demandée par le ministre, à laquelle s’ajoute un renversement incroyable des rôles, où l’université se propose de donner au politique ses directives :

« La CPU appelle а élever le débat. Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire а raconter n’importe quoi. »
Du haut de son savoir purement scientifique, sans aucun parti pris, l’université nous juge, juge sans fondement scientifique ce que nous disons, comme lorsque la maîtresse nous tapait sur les doigts à l’école, mais elle se tient à notre disposition si nous souhaitons un jour, après avoir reconnu notre état d’ignorants du café du commerce, nous élever à la science.

Quelle main tendue !

Quelle élévation que de mépriser tout ce qui n’est pas universitaire !

Il y a des mains tendues qui ressemblent à des gifles.

Avec le communiqué de la CPU, nous voilà bien lancés dans le débat, installés confortablement dans notre confort petit-bourgeois universitaire, où l’on fait passer ses opinions personnelles pour des connaissances scientifiques objectives.

 

 

Le 17 février, c’est au tour du CNRS de réagir par un communiqué de presse, titré « L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique. »

Il s’ouvre sur une magnifique assertion, qui nous tombe dessus comme le ciel sur la tête, à moins qu’il ne s’agisse d’une main de fer voulant interdire tout débat :

« « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. »

Ce coup de force a une certaine pureté cristalline, ne reposant sur rien d’autre que lui-même, rendant ainsi visible qu’il n’est qu’un pur argument d’autorité.

C’est-à-dire que non seulement on utilise un argument d’autorité en se prétendant scientifique, mais en outre, on ne le cache pas, on l’expose, et même on le met en avant. L’effet recherché est ainsi l’intimidation pour clore tout débat de fond.

Considérant que ce « terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées », le CNRS « condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. »

Importante ici est l’idée que c’est du débat public que viennent les problèmes au sein d’une université paisible - loin de l’origine première du débat, à savoir la montée de la censure à l’université à cause de l’islamogauchisme.

Importante également est la mention de « certaines communautés scientifiques », ce qui laisse à penser que, sans pouvoir définir le terme d’islamogauchisme, le CNRS a tout de même une idée assez « précise » de qui est visé par ce terme.

Un mot imprécis qui désigne pourtant tout à fait précisément ce qu’il dénomme, c’est, semble-t-il, un mot pas si mauvais que ça.

Le communiqué, qui se termine sur l’acceptation de la mission demandée par Frédérique Vidal (à la différence de la CPU), contient également ce passage presque ironique sur la dénonciation d’une « instrumentalisation de la science » :

« La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS. »

Car telle est la question posée par ces deux communiqués, lancés comme deux bombes atomiques, dans la volonté de faire taire tout débat de fond par de purs arguments d’autorité sous couvert de non-scientificité : qui instrumentalise la science ici ?

Comme je le disais, l’erreur des universitaires est d’avoir cherché, au lieu de répondre sur le terrain de la liberté académique en admettant la part de subjectivité de toute recherche, de juger du fond de l’affaire, à savoir du concept d’islamogauchisme, en expliquant qu’il n’avait aucune validité, ce qui invalidait par ricochet toute idée de mener une enquête à son sujet.

Or, à l’évidence, dans ces deux communiqués, nous ne trouvons aucune argumentation scientifique permettant de rejeter le concept d’islamogauchisme.

Car, qu’est-ce qu’une connaissance scientifique ?

Je ne demande pas ici d’entrer dans des considérations particulièrement complexes, mais les éléments fondamentaux qui définissent le caractère scientifique d’une connaissance.

Non pas simplement un énoncé vrai.
Si je dis « il pleut », et qu’il pleut effectivement, mon affirmation est peut-être vraie, mais elle n’a rien de scientifique.

Le caractère scientifique d’une affirmation ne vient pas de sa valeur de vérité, mais de sa justification.
Est scientifique un énoncé vrai et justifié.

Ainsi, les énoncés « L’islamo-gauchisme » n’est pas un concept » et « « L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique » ne sont eux-mêmes pas des énoncés scientifiques, puisqu’à aucun moment, dans aucun de ces deux communiqués, un argument n’est donné pour justifier le caractère non-scientifique de ce « concept » ou « slogan. »

Notez bien : le fait que ce concept soit effectivement ou non scientifique ne change rien à l’affaire, puisque ce qui manque c’est la justification de l’affirmation qu’il ne l’est pas.

Il ne saurait donc nous être répondus que, ne recouvrant aucune réalité, ce concept n’est par conséquent pas scientifique, puisque nous sommes à la recherche d’une justification à cette affirmation, et non pas sa plate réaffirmation jusqu’à la nausée.

Dans le communiqué de la CPU, on trouve un semblant d’argument, à savoir que ce « concept », qui n’a pas de « définition scientifique », proviendrait de « l’extrême droite qui l’a popularisé. »

Là encore, aucun argument scientifique ne vient étayer cette affirmation, à savoir par exemple une généalogie du terme qui en retrace l’origine ou encore une étude qui montrerait qu’il a été diffusé à l’extrême-droite avant d’être relayé plus largement. Une fois de plus, nous en restons au stade de la pure affirmation sans fondement.

Mais pire : la CPU pourrait-elle nous donner la « définition scientifique » du terme, voire du « slogan politique », de « l’extrême-droite » ?

C’est bien simple, il n’y en a aucune, puisqu’on regroupe sous ce termes des mouvements politiques et idéologiques très différents les uns des autres, que l’on regroupe opportunément sous cette catégorie, soit pour les situer dans le spectre politique, soit pour disqualifier un opposant.

Cela ne gêne pas la CPU, qui peut utiliser le terme « extrême-droite », qui n’a pas de définition scientifique, tout en critiquant le terme de « islamo-gauchisme, parce qu’il n’en aurait pas.

De même nous n’en saurons pas plus sur « les traditionnels procureurs prompts à condamner par principe les universitaires et les universités », il suffira d’agiter le spectre de ces boucs émissaires pour clore tout débat avant qu’il n’ait commencé.

Les communiqués de la CPU et du CNRS ne reposent donc sur aucune réalité scientifique. Il s’agit purement et simplement d’opinions, de préjugés préscientifiques, qui se font passer pour de la science, grâce à l’argument d’autorité qui tient tout entier dans l’autorité de ceux qui s’expriment, à savoir la CPU et le CNRS.

 

 

Allons plus loin.

En quoi consiste le procédé de ces deux communiqués ?

A faire passer pour de la science les opinions politiques des présidents de la conférence des présidents d’université et du CNRS.

On peut le vérifier aisément puisque le premier, Jean Chambaz, s’est exprimé, le 18 février, sur France info.

Lors de cette interview, Jean Chambaz, disqualifiant déjà le media dans lequel la ministère a choisi de s’exprimer (« il faut déjà aller sur Cnews »), répond au journaliste qui lui propose une définition de l’islamogauchisme comme complaisance envers l’islam radical pour ne pas stigmatiser l’islam tout court : « Pour savoir si quelque chose a une réalité, il faudrait déjà le définir ». Autrement dit, il répond à côté. Il n’entre jamais dans le débat de fond. Il refuse de débattre.

A cela, il ajoute : « Le terme islamogauchiste est très peu précis, est issu des milieux de la droite extrême, c’est repris par certains députés LR qui voudraient interdire l’enseignement de certaines disciplines à l’université. On se croirait dans l’ancienne Union soviétique. Et moi, cela me fait davantage penser au slogan du XXe siècle dénonçant le judéobolchevisme. »

Du communiqué à l’interview à la radio, on est donc passé de « l’extrême-droite » à « droite-extrême ». Ce second terme a encore moins de « définition scientifique » que le premier, puisqu’il est un euphémisme pour le désigner. Ça n’empêche pas Jean Chambaz de l’utiliser.

Quant à la la comparaison de la demande de Vidal à « l’ancienne Union soviétique » et du terme d’islamogauchisme à celui de judéobolchevisme, une fois de plus, on cherche le moindre argument . Il n’y en aura pas. L’affirmation se suffit à elle-même, parce qu’elle n’est qu’un argument d’autorité, un coup de force.

Cela pourrait nous laisser penser qu’éventuellement, peut-être, c’est une éventualité, nous avons quitter la science pour entrer dans le domaine de la fiction - et de la fiction politique.

En effet, l’interview prend une autre tournure lorsque Jean Chambaz s’arrête ensuite sur l’usage du verbe « gangréner » utilisé par Vidal sur CNews, ce qui n’était qu’une reprise de l’article initial du Figaro :

« Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce qui gangrène la société ? C’est la discrimination, la ghettoïsation, les inégalités sociales dans l’accès au travail, le taux de chômage, les inégalités sociales dans l’accès à l’éducation, à la culture, et c’est l’échec des politiques publiques dans ce domaine depuis cinquante ans. (…) Il est facile de dire qu’un mouvement idéologie mal défini serait responsable de la réalité sociale dans notre pays. »

Ainsi, nous passons d’une demande d’enquête sur l’islamogauchisme à l’université à la recherche d’un « responsable de la réalité sociale dans notre pays », qui n’a jamais été la motivation de l’enquête. Jean Chambaz substitue à un problème un autre, il change de sujet, et passe à celui qui lui convient. Nous avons évidemment quitté ici tout débat prétendument scientifique pour entrer pleinement dans la politique.

C’est ce qui se confirme par la suite, puisqu’il rappelle la prise de position de Blanquer contre l’islamogauchisme à l’université après l’assassinat de Samuel Paty et la déclaration du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin qui trouvait « trop molle » Marine Le Pen, pour conclure :

« C’est pas une sortie de Madame Vidal, il y a une orientation de ce gouvernement qui va draguer des secteurs de l’opinion publique dans des endroits assez nauséabonds. Et je crois que toute cette séquence est assez préoccupante. Je pense que le gouvernement devrait davantage se concentrer sur la crise, plutôt que de préparer l’élection présidentielle de l’an prochain. »

Jean Chambaz est donc en train de dire à un gouvernement élu ce dont il devrait se préoccuper. Ce conseil n’est de toute évidence fondé que sur des connaissances scientifiques.

En prenant la défense de Frédérique Vidal (« on essaye de faire de la ministre un bouc émissaire, moi je ne demande évidemment pas sa démission, moi je demande un changement de ton et de comportement du gouvernement vis-à-vis des universités »), Jean Chambaz nous expose sa propre vision de l’université : « Il n’y a pas de tabou dans la recherche, on peut revisiter l’histoire de nos pays, le colonialisme, la non-intégration des enfants d’immigrés à la troisième génération. C’est respectable et c’est le rôle de l’université. »

Pourquoi n’est-on pas surpris qu’un universitaire prétendant que l’islamogauchisme n’est pas un concept scientifique prenne spontanément le « colonialisme » pour exemple d’un objet scientifique digne de l’université ? Et quel lien fait-il entre le colonialisme et la non-intégration des immigrés ? A quels immigrés pensent-ils ? N’est-ce pas du racisme ? D’ailleurs, l’intégration n’est elle-même, à en croire certains, qu’une idée d’extrême-droite. Attention à ne pas passer du mauvais côté, monsieur Jean Chambaz !

Enfin, dans un numéro d’équilibriste que seules l’hypocrisie et la mauvaise foi permettent d’accomplir, il reconnaît puis réfute tout mélange entre opinions politiques et recherche universitaire :

« Il y a des opinions politiques, le gouvernement en a une en reprenant ce fourre-tout d’islamogauchisme, d’autres en ont d’autres, mais les universitaires ce sont des citoyens, ils ont le droit d’avoir des opinions politiques, ils ont le droit de les exprimer… pas dans leur enseignement, mais ils ont le droit de les exprimer et c’est un droit constitutionnel ». La journaliste lui dit que la ministre dénonce le mélange des deux. Réponse de Jean Chambaz : « mais non, il n’y a pas de mélange des deux. On est en train, avec ces interventions du gouvernement, de se retrouver dans le camp de la Hongrie et de la Pologne en Europe, c'est assez grave, qui commence à intervenir dans la vie interne des universités. »

On cherche vainement, comme depuis le début, un argument.

On ne le trouvera pas.

La seule chose qu’on trouvera, qui pourrait nous éclairer, c’est ce tout petit élément biographique de monsieur Jean Chambaz, que l’on trouve sur Wikipedia, cette encyclopédie en ligne qui n’est même pas universitaire, mais qui nous apprend tout de même que Jean Chambaz est le fils d’un député et membre du comité central du Parti Communiste français et que lui-même y a été engagé.

Certes, Wikipedia, à cause de la faille que constitue son caractère non-scientifique, ne nous précise pas si Jean Chambaz est toujours communiste, mais chacun, à l’écoute de ses propos, pourra se faire son opinion, certes elle aussi modestement non-scientifique…

 

 

Concluons sur ces premiers jours de polémique.

Comme le rappelait Frédérique Vidal dans l’interview de Cnews, la préoccupation autour de l’islamogauchisme n’est pas née d’un désir de censure, mais justement de l’inquiétude face à la montée de la censure au nom de l’islamogauchisme. 

C’est ce que l’on constate depuis de nombreuses années.

On peut prendre quelques exemples : l’Université Paris 1 supprime en 2019 un cycle de formation sur la « prévention de la radicalisation » animé par Mohamed Sifaoui à la suite des pressions exercées par des syndicats et des universitaires ; un professeur de sociologie soit poussé à la porte de son laboratoire de recherche à Limoges pour avoir dénoncé la présence d’Houria Boutledja, la sulfureuse fondatrice du parti des indigènes de la République dans une formation proposée par son établissement ; ou plus récemment, les deux professeurs dont les noms ont été jetés en pâture par le syndicat de l’UNEF dans l’espoir, jamais avoué, que quelque individu radicalisé trouve quelque chose à en faire.

Autrement dit, la réaction de défense des présidents de la CPU et du CNRS n'est pas une défense contre l'arrivée d'une censure venue de l'extérieur de l'université, mais la réaction de défense de la censure interne à l'université pour pouvoir continuer à exister. En ce sens, c'est un moment réactionnaire qui vise à perpétuer la remise en cause de la liberté académique des universitaires qui ne sont pas islamogauchistes. 

On a le droit de penser que l’islamogauchisme n’existe pas, ou que le terme n’admet aucune définition scientifique, on a toutefois pas le droit d’en interdire le débat, qui passe d’abord, comme tout débat rationnel, par un état des lieux sur la recherche à l’université dont l'unique but est de réhabiliter la liberté des chercheurs mises à mal par la cancel culture. 

La CPU et le CNRS s’inscrivent ce faisant contre la liberté académique.

Ce à quoi nous assistons dans ce refus politique de la CPU et du CNRS de procéder à cette enquête, dans la tentative d’intimidation du gouvernement et le renversement de l’ordre hiérarchique entre l’université et le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, n’est ni plus ni moins que la protection d’un petit monde : l’entre-soi bourgeois gauchiste à l’université.

Car, monsieur Jean Chambaz, j’allais écrire Monseigneur Jean Chambaz, ne semble pas être choqué de l’usage en vigueur des concepts de racisme d’État, d’islamophobie, de fragilité blanche, ou encore l’affirmation de l’existence de plus de deux sexes dans l'espèce humaine, au sein des facultés de sociologie des universités françaises.

On pourrait toutefois douter de leur caractère scientifique.

L’indignation à géométrie variable, l’usage d’arguments d’autorité pour clore un débat avant qu’il ne commence, l’arrogance effrontée qui permet de donner des ordres au ministère, cachent très mal la réalité crasse, derrière la prétendue défense de la liberté académique, de la défense d’un intérêt de classe.

C’est à La révolte des élites de Christopher Lasch qu’il nous faut penser.

Les élites bourgeoises de gauche se sont retranchées dans l’université française comme dans une forteresse où, financée sur fonds publics, elles déploient un immense délire idéologique qui tourne en vase clos, s'alimentant lui-même, d’autant plus sans limite que protégé de toute critique de l’extérieur, pour calomnier sans fin la société française.

Que Jean Chambaz souhaite réduire l’histoire de France au colonialisme, c’est son désir personnel, révélateur d’un inconscient qu’il serait intéressait d’interroger, mais tout cela ne peut plus se faire sur fonds publics.

C’est au nom de ce principe, du financement public de ces recherches, que le gouvernement, représentant de la Nation, a le droit de faire l’état des lieux sur la recherche dans les universités françaises.

Leur sacro-sainte « liberté académique » n’est que le privilège de cracher sur la main qui les nourrie.

Qu’ils poursuivent leurs délires sur fonds privés, sur leurs propres fonds, avec leur propre argent, très bien !

Mais plus avec le nôtre.

C'est la signification politico-sociale profonde de l'argument de non-scientificité du concept d'islamogauchisme : les gueux, vous qui voyez une convergence des gauchistes et des islamistes, vous n'êtes pas assez intelligents pour en juger, pour nous juger, nous qui sommes vos maîtres. 

 

* * *

 

L’université française est la nouvelle Bastille de l’islamogauchisme.

Allons, enfants… la reprendre.


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