Les dessous sales du Karachigate

par olivier cabanel
samedi 22 janvier 2011

L’affaire qui empoisonne le gouvernement français n’a pas fini de faire parler d’elle, et même si certains agitent des écrans de fumée pour tenter de cacher la vérité, elle se précise de plus en plus clairement.

Encore récemment, Jean-Claude Marin, procureur de Paris, à déploré le 17 janvier 2011 « la manipulation et les manœuvres grossières de certains acteurs de la vie judiciaire ou publique  ». lien

Essayons de décrypter ce qui est devenu au fil des mois «  une affaire d’état ».

La France vend des sous-marins, c’est bien connu : en 1994, ce sont 4 sous-marins (contrat Agosta) qui sont vendus au Pakistan pour une somme de 5,4 milliards de francs et au cours de l’opération, des rétro-commissions auraient été versées. lien

En 2005, ce sont 6 sous-marins qui sont vendu à l’Inde. lien

C’est le journal « Libération » qui a ouvert le feu le premier, accusant Sarkozy d’avoir fait financer la campagne présidentielle de Balladur, grâce à des rétro-commissions qui auraient été versées dans le cadre du contrat Agosta avec le Pakistan. lien

Rappelons qu’en 1994 deux personnalités très proches d’Edouard Balladur, alors premier ministre, avaient pour nom Nicolas Bazire et Nicolas Sarkozy.

Bazire était directeur du cabinet de Balladur, et le poste qu’il occupait ne lui permettait pas d’ignorer les dessous de l’affaire.

Sarközi, ministre du budget et porte-parole de Balladur, premier ministre, était lui aussi au cœur de l’affaire. lien

Le 8 mai 2002, 15 personnes, dont 11 français, (tous salarié de DCN-Direction des Constructions Navales) trouvent la mort dans un attentat, afin, d’après certains, de faire payer à la France la rupture des arrangements qui avaient été conclus.

Sur ce lien un historique des derniers développements depuis novembre 2010.

Or récemment de nouveaux témoignages ont permis de faire avancer significativement l’enquête.

Le dernier en date, recueilli le 15 décembre 2009, est celui de Jean-Louis Porchier, contrôleur général des armées.

Le journal « Le Monde » s’est procuré ce témoignage, resté confidentiel jusqu’à présent ,et il pourrait faire avancer rapidement la compréhension de cette affaire complexe.

Jean Louis Porchier connait tous les détails du fameux contrat « Agosta  » signé le 21 septembre 1994 par le gouvernement d’Edouard Balladur.

Dans son témoignage, il confirme les rétrocommissions :

« Le prix du contrat, pris à perte, s’élevait à plus de 5 milliards de francs. Les FCE, pas destinés aux parties françaises, s’élevaient à 555 millions de francs. Cela est important, 10%, mais les connaisseurs, au ministère du Budget ne trouvaient pas çà exceptionnel. Venaient ensuite s’ajouter, et cela constituait une grosse irrégularité, quelques dizaines de millions de francs pour la SOFMA, 108 millions de francs pour les Chantiers de l’Atlantique et 100 millions pour DCNI. On arrivait ainsi à un total de 800 millions de francs de commission, ce qui est totalement excessif et injustifié si on rapporte ce montant aux 1083 millions de francs de la part de la DCN (direction des constructions navales) dans ce contrat.  ».

Il enquête donc et contacte Michel Ferrier, qui, de par ses fonctions, doit bien connaitre le dossier.

« Mr Ferrier m’a dit : ce contrat ne sert à rien. Ce contrat permet le recyclage d’argent pas très net du coté du Pakistan et du coté français, il permet de verser des rétrocommissions. Il y a 10% de rétrocommissions sur l’ensemble des FCE. Sur ces 10%, il y en avait une partie pour la campagne électorale de M. Balladur, et une autre pour M. Léotard ». lien

Ce scénario est confirmé par Philippe Japiot, l’ancien président de la DCN International et par Alex Fabarez, directeur général de la DCNI au moment de l’attentat..

Ils sont soupçonnés de ne pas avoir transmis à la justice des documents évoquant un possible lien entre l’attentat et l’arrêt du versement des rétrocommissions.

Ils ont été placés sous le statut de témoins assistés. lien

Pourtant le journal « Libération  » se permet de proposer une autre hypothèse : « l’attentat du 8 mai 2002 serait une vengeance pakistanaise liée à la vente par la France de sous-marins à l’ennemi indien »

Pour soutenir ce scénario, il se base sur le témoignage d’Alain Juillet qui était directeur du renseignement de la DGSE d’octobre 2002 à décembre 2003.

Juillet déclare : « l’hypothèse d’un attentat commis sur demande de l’ISI (service secrets pakistanais) doit être retenue (…) l’attentat aurait été commis par un groupuscule contrôlé par l’ISI pour punir la France de sa décision de vendre des sous-marins plus performants à l’Inde  ».

Il argumente en expliquant que la France avait promis de ne pas armer l’Inde, rival du Pakistan et qu’en trahissant sa parole elle s’exposait à des actes de rétorsion. lien

On est en droit de s’interroger sur cette seconde hypothèse, puisque au moment de l’attentat, (2002) la France n’avait pas encore vendu de sous-marins à l’Inde, la vente ne s’étant faite qu’en 2005. lien

D’ailleurs Alain Juillet se contredit lui-même, puisqu’il avoue avoir rencontré, a la demande de l’Elysée, Mr Boivin à Londres à trois reprises entre septembre 2008 et mai 2009, car il était convaincu que ce dernier avait « des archives et qu’il valait mieux les récupérer et négocier avec lui une indemnité de départ raisonnable (…) c’est le premier que j’ai entendu dire que l’attentat était lié à l’arrêt du versement des commissions. Pour lui, c’était une évidence ». lien

(Mr Boivin était le mandataire des sociétés luxembourgeoises par lesquelles seraient passées des commissions sur les contrats d’armement)

La décision d’Alain Juppé du 5 janvier 2011 de déclassifier les documents concernant l’attentat de Karachi, à la demande du juge Marc Trévidic devrait pouvoir faire un peu plus de lumière sur cette affaire. lien

Un troisième scénario est soutenu par Alain Richard, qui était ministre de la Défense jusqu’au 7 mai 2002.

Il prolonge le scénario proposé par Alain Juillet, mais en y rajoutant une complicité islamiste.

Selon lui, les services secrets pakistanais de l’ISI étaient en relation avec les guérillas islamistes locales. Lien

François Léotard n’y croit pas trop lorsqu’il témoigne le 7 décembre 2009 devant la mission d’information de l’assemblée nationale, puisqu’il déclare :

« Soit c’est Al-Qaïda, mais cela me parait peu probable compte tenu de la nature des explosifs, soit c’est une vengeance de personnes n’ayant pas touché leur part de commission. Je penche personnellement pour la deuxième hypothèse ». lien

Un communiqué de presse paru le 21 janvier 2011 va aussi dans ce sens : « dans une note établie le jour de l’attentat, la DGSE, sur la foi d’une source, mentionne que l’attentat ne porterait pas la signature d’Al-Qaïda et qu’il ne faudrait pas écarter la piste financière au regard des pots-de-vin et commissions versées aux officiels pakistanais à l’occasion des contrats d’armement  ». lien

Le juge doit maintenant trancher. lien

Les comptes de campagne d’Edouard Balladur devraient pouvoir l’éclairer.

Ces rétro-commissions ont-elles été utilisées pour payer la campagne présidentielle d’Edouard Balladur  ?

Ce dernier affirme n’être au courant de rien. lien

Dans ce cas, ce sont Nicolas Bazire, et Nicolas Sarkozy qui vont se retrouver au premier plan.

En effet, tous les deux s’occupant de la campagne d’Edouard Balladur, leur candidat,  pouvaient-ils ignorer l’éventuelle  provenance illégale de cette manne. lien

Comme l’a écrit la journaliste Ghislaine Ottenheimer « Sarközi et Bazire, les deux gamins les plus puissants de France (…) contrôlent les principaux leviers de commande (Matignon, Budget, Communication, nominations)  » lien

Comme il ne peut interroger Nicolas Sarközi, vu le poste qu’il occupe, rien n’empêche le juge Marc Trévidic d’interroger Nicolas Bazire.

Rappelons que le journal « Libération  » affirme :

« Les 2 intermédiaires imposés par les balladuriens ont au moins reçu 54 millions de francs le 2 juin 1995 dans le cadre d’un accord prévoyant un versement total de 216 millions sur 12 mois (…) nous sommes en mesure de révéler que le compte de campagne de Balladur a enregistré un dépôt en espèce de 10 millions de francs ».  lien

On peut lire un bon résumé des faits sur ce lien.

Sur ce lien le rapport complet de l’Assemblée Nationale. (12 mai 2010)

Tous les contrefeux que tentent d’allumer les uns ou les autres ne devraient pas empêcher la vérité de voir le jour, car comme dit mon vieil ami africain :

« Les hommes sont comme les ordinateurs : durs à comprendre, et ils  n’ont jamais assez de  mémoire ».

L’image illustrant l’article provient de « legrid.fr »

Merci à tous ceux qui m’ont aidé à la réalisation de cet article.

Mon article précédent sur le sujet est sur ce lien.


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