Woerth, le dernier fusible

par olivier cabanel
jeudi 9 septembre 2010

C’est une situation dramatique que vit le ministre du travail : pris en flagrant délit de mensonge, il n’est plus jugé crédible par les syndicats, et lorsqu’il s’exprime à l’assemblée, c’est dans l’indifférence de son camp, et sous le mépris de l’autre camp.

Mais voila, Sarközi est obligé de le garder, se trouvant sans solution de remplacement, et surtout, il est le dernier fusible.

Sans lui, Sarközi se retrouve au premier rang.

La chute ininterrompue de Sarközi dans les sondages donne le vertige : 24% d’opinions favorables, moins d’un français sur quatre. lien

A croire qu’agiter le chiffon rouge de l’insécurité ne fait plus recette.

Si l’on oublie le score que le «  global Europe Anticipation Bulletin  » avait donné en février 2008 (20% d’opinions favorables), c’est le score le plus bas qu’ait connu un président de la République sous la 5ème.

Dans d’autres pays, un président qui passe sous la barre des 30% est remplacé.

Jusqu’où faudra-t-il qu’il descende pour décider de changer de politique ? Ou de partir ?

Au Japon, Yukio Hatoyama, crédité de 17% d’opinions favorables a tout simplement démissionné.

Les citoyens lui reprochaient des affaires de corruption, des promesses non tenues. lien

Ce qui n’est pas sans rappeler certaines affaires françaises.

Avant lui, Yasuo Fukada avait démissionné pour avoir chuté à 30% d’opinions favorables. lien

Question d’honneur.

On sait qu’à gauche, comme à droite, l’opinion n’a pas réagit positivement en majorité pour les dernières actions vis-à-vis des Roms.

Même Juppé, pourtant si prudent d’habitude, vient de déclarer dans son blog : « Notre pays n’est pas à feu et à sang (…) la priorité sécuritaire ne doit pas conduire à des exagérations peu compatibles avec nos valeurs fondamentales ».

Raffarin y a ajouté sa voix, dénonçant une « dérive droitière de l’UMP », tout comme De Villepin qualifiant « d’indigne  » la politique du gouvernement, Boutin qui déclare « j’estime que ce qui s’est passé est grave  », Fillon mettant en garde « l’instrumentalisation de la lutte contre l’immigration clandestine », et Dati qui regrette que «  certains (qui ?) aient pu se laisser aller à un amalgame entre immigration et délinquance  ». lien

Le futur candidat à la présidentielle, Hervé Morin, s’est ajouté au concert de protestation en demandant que l’on « prenne soin de ne pas stigmatiser une communauté dans sa globalité ».

En juillet, il avait déjà affirmé «  la délinquance ce n’est pas l’immigration ». lien

Jusqu’à Kouchner qui avait «  songé à démissionner  », menace qui, semble-t-il n’a fait trembler personne.

Benoit XVI en remet une couche, provoquant la division dans le clan de la droite, en défendant la « légitimité des diversités humaines ». lien

A la voix du Pape vient de s’ajouter celle de l’évêque de Toulouse, Robert Le Gall. Il a déclaré : « je suis convaincu que le remède à la peur et à l’insécurité ne se trouve pas dans une surenchère sécuritaire mais passe par une action de longue haleine nourrie de respect et de connaissances réciproques ». lien

Monseigneur Agostino Marchetto, secrétaire du « Conseil pontifical pour les migrants » considère que les récentes expulsions de France de Roms dans le cadre de la politique sécuritaire renforcée de Nicolas Sarközi impliquent « une sérieuse réflexion sur la défense des droits de l’homme et de la dignité des personnes ».

Cerise sur le gâteau, le Père Arthur Hervet qui après avoir renvoyé sa médaille de l’ordre national du mérite à Brice Hortefeux (lien) a prié pour que Sarközi ait une attaque cardiaque, même si aujourd’hui, il minimise ses propos. lien

Décidément, les médailles sentent mauvais dans notre pays, et la liste s’allonge de ceux qui la refusent, telle Anne Marie Gouvet, médecin, façon pour elle de contester la politique d’exclusion du gouvernement.( lien ) ou Richard Bohringer, au nom de la situation des sans papiers (lien) ou de Jacques Bouveresse dont on peut lire ici la lettre d’explication.

Et on sait aussi que l’ONU vient de dénoncer la politique d’exclusion et de racisme lancée par le gouvernement français. lien

Elle vient de réitérer sa critique par la voix du rapporteur spécial de la CERD (comité des nations unies pour l’élimination de la discrimination raciale) Pierre Richard Prosper qui demande à la France de « garantir l’accès des Roms à l’éducation, à la santé, au logement et autres infrastructures temporaires dans le respect du principe d’égalité  ». lien

Une pétition vient d’être lancée et on peut la signer sur ce lien.

Tout çà ressemble à un hallali.

A la veille du renouvellement de ses ministres, Sarközi se retrouve face à un vrai dilemme.

Fillon, à force d’immobilisme, est plus populaire que lui et il songeait à Woerth pour le remplacer en octobre prochain, mais ce dernier additionne les casseroles, et est menacé par la justice.

En effet, après la gestion de l’ADO, son élection annulée à Chantilly, l’aventure du « club de la boussole  » qui a perdu le Nord, celle des 150 000 euros que lui a remis Bettencourt pour financer la campagne de Sarközi, l’engagement de son épouse dans une filiale de l’Oréal, le cadeau à Antoine Gilibert pour l’achat à prix cassé de l’hippodrome et du golf de Compiègne, les cadeaux aux héritiers du sculpteur César, la légion d’honneur à De Maistre , gestionnaire de la fortune des Bettencourt (lien) voici venu une nouvelle affaire qui le met une fois de plus en cause.

Eric de Serigny, son conseiller bénévole (d’après lui) est aussi ami de Patrice de Maistre, le gestionnaire bien connu de la fortune de Liliane Bettencourt. lien

De son vrai nom Eric le Moyne de Sérigny, il est présenté par « le Canard Enchaîné » comme un membre infatigable du Premier Cercle, ce club de donateurs de l’UMP.

Il est d’après « l’Express  » du 4 aout 2010, le créateur du W19 (W pour Woerth et 19 pour le nombre de ses membres), club BCBG destiné à appuyer la carrière politique de son ami Woerth. lien

On se souvient que Woerth avait remis la légion d’honneur à De Maistre, et Eric de Sérigny reconnait avoir soutenu sa candidature, car dit-il « je la trouvais justifiée ». lien

Il serait intéressant qu’un juge lui demande :

« En quoi trouvait-il cette candidature pour la légion d’honneur justifiée ? »

Une 10ème casserole pointe son nez pour Woerth.

Une information passée inaperçue nous a été donnée le 20 septembre 2009 par Antoine Menusier, correspondant à Paris du journal Suisse « Le Matin ». lien

Il raconte le voyage qu’ont fait Woerth et Devedjian le 23 mars 2007 à Genève afin de récolter des fonds pour financer la campagne de Nicolas Sarközi. lien

Un banquier suisse témoigne : « Eric Woerth ne cherchait pas à savoir si les chèques qu’on lui remettait étaient prélevés sur des comptes suisses non déclarés au fisc français ».

Comme chacun sait, 7500 euros sont la barre maximum fixée par la loi, pour chaque don de campagne.

L’ordre des médecins à décidé lui aussi de se mêler de l’affaire Woerth : il s’agit de lancer une éventuelle procédure disciplinaire concernant le docteur Gilles Brücker, ami d’enfance de François-Marie Banier, qui aurait fait passer son intérêt personnel avant le serment d’Hippocrate. lien

Ce docteur réputé, a été désigné exécuteur testamentaire par Liliane Bettencourt pour la bagatelle d’un million d’euros, et lors d’une audition policière a affirmé que la vieille dame avait toute sa tête, bloquant ainsi la procédure judiciaire.

Corine Lepage rentre dans la danse et  a saisi la Cours de Justice de la République, suspectant une prise illégale d’intérêt dans l’affaire Bettencourt, et de favoritisme dans la vente du Golf et de l’hippodrome de Compiègne. lien.

Si le procureur général près la Cour de cassation donne son accord, Woerth devrait se trouver enfin devant la justice.

Médiapart vient de donner un peu plus de punch au dossier « Liliane Bettencourt, Eric Woerth-Nicolas Sarközi » en publiant le 30 aout 2010 des extraits sonores inédits qui prouvent de façon flagrante les implications des uns et des autres.

On peut écouter ces enregistrements sur ce lien.

Extraits en vrac :

Patrice de Maistre s’adressant à Liliane Bettencourt  : « le conseiller juridique, à l’Elysée, que je vois régulièrement pour vous (…) je vous dis ce que m’a dit l’Elysée (…) c’est mon ami Woerth qui s’en est occupé (…) Eric Woerth, c’est lui qui s’occupe de vos impôts (…) on connait très bien le procureur » (il s’agit bien sur de Courroye).

Le reste est à l’avenant.

Le 14 septembre prochain, la Cour d’Appel de Versailles validera (ou non) l’enquête indépendante que la juge Isabelle Prévost-Desprez veut mener sur l’affaire.

On ne voit pas bien comment les intéressés pourraient échapper à un procès…

Mais comme disait mon vieil ami africain :

« Le chien a beau avoir quatre pattes, il ne peut emprunter deux chemins à la fois ».


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