39-40 et Saint Cyr : Jugements, réponses ou questions ?

par eric
vendredi 14 mai 2010

Demain, à Londres, une beurette Saint-Cyrienne ?

65 ans après la victoire, quels enseignements l’armée intègre-t-elle dans la formation de ses futurs cadres, d’une débâcle pratiquement sans précédents, et d’un exemple historique d’insubordination couronnée de succès ?

J’étais récemment à Paris au musée de l’armée. Salle 39-40. Cours d’éthique pour les étudiants (et étudiantes) de Saint-Cyr, promotion sortante. Jeunes gens souvent bien bâtis et jeunes filles souvent féminines dans leurs treillis, mais pas systématiquement…. Couleurs variées. Bref, échantillon de jeunesse française.

Aux commandes, le conservateur du Musée, ancien officier supérieur, accoudé à une tourelle de Char d’époque.

 

Premier exercice : Vous êtes en 40, jeune officier. Le gouvernement légal, républicain, démocratiquement élu, décide de demander l’armistice. Un général provisoire, plus ou moins sous-secrétaire d’Etat lance un appel à continuer le combat à l’étranger, que faites vous ? Réfléchissez bien, et tachez d’oublier que nous savons, nous, comment cela s’est terminé.

Le lecteur peut lui-même se poser la question.

Hasard ou intention ? Une petite moitié des élèves se range à droite. C’est Londres. Une autre petite moitié à gauche. C’est Vichy, mais on ne le sait pas encore. Certains sont appelés à expliquer les raisons de leur choix. Respect de la démocratie, de l’autorité de commandement, refus de subir, respect de la parole aux alliés. Un ou deux élèves restent au milieux. Interrogés, ils expliquent réfléchir. On les presse de choisir plus vite…

L’exercice n’est pas noté, et on insiste sur le fait qu’il n’y a pas une bonne réponse.

Second exercice : Le conservateur, ancien colonel, rapporte des souvenirs de jeunesse. Son père était Colonel. Dîner de colonels à la maison. Chacun de se souvenir que, jeunes lieutenants, ils avaient expérimenté les nouveaux Chars juste avant guerre. La doctrine de leurs supérieurs, héritée de la première guerre est la suivante. Artillerie. Les chars avancent par bons de 1 ou 2 km. L’infanterie nettoie. Les canons se rapprochent et on recommence. Les lieutenants qui ont vu le matériel sur le terrain sont persuadés (disent ils rétrospectivement) qu’il faut faire des percées de plusieurs kilomètres et attaquer les centres de commandement et de ravitaillement sur les arrières ennemis. Tous De Gaulle avant l’heure ?

Question de l’enfant, « Mais l’avez-vous dit à vos chefs ? » réponse des copains de Papa, à l’époque, il était inconcevable qu’un jeune lieutenant donne son avis à ses supérieurs.


Questions : la discipline est la principale force des armées. Vous pensez que votre chef se trompe, le lui direz vous ? Oserez vous contester ses décisions ? C’est un peu la question précédente au niveau « microéconomique ». Plus réaliste aussi. Le jeune cyrard à plus de chances, au cours de sa carrière, d’être confronté à un supérieur obtus que de se retrouver à Londres pour sauver la France ! Réponses évidemment moins tranchées. Cela dépend du chef, de la question, des circonstances, etc…

 

Je bouillonne intérieurement. A mon avis, la bonne question eut été, à votre tour Colonels, aurez vous l’intelligence de susciter les remarques et commentaires de vos subordonnés et le cas échéant de les écouter. J’étais pressé, j’étais là par hasard, avec les enfants, je n’ai rien dit.

A noter pour l’anecdote, la plus maline, la plus volontaire du groupe, celle qui motive le plus ses choix est une jeune beurette visiblement aussi versée en philosophie qu’en patriotisme. Elle a choisi Vichy ! Mais on devine à son discours qu’on la retrouverait sans doute à Londres !

 

La leçon est claire, l’institution militaire ne se demande pas si c’est la faute du front popu, des vieilles badernes, du peuple ou des industriels. Elle conclut qu’en interne, elle s’est plantée à tous les niveaux. Des jeunes lieutenants aux vieux colonels et elle essaye d’en tirer les bonnes questions pour l’avenir.


Qu’en retenir ? Sur une promotion, y en a un ou deux qui réfléchissent ? Notre armée est intelligente ? Elle apprend à ses cadres que même ses principes les plus intangibles, peuvent avoir des limites ? Que ces limites sont liées à la liberté individuelle et donc ne peuvent être fixées de façon théorique ? Notre armée veut bien que ses officiers réfléchissent mais à condition que cela ne dure pas trop longtemps ? Dans notre pays les Colonels sont souvent des enfants de Colonels ? Les beurettes sont l’avenir de la France ?

 

A chacun de décider.

 

Ce que j’en pense ?

Il est positif que l’on apprenne à nos futurs officiers à se poser des questions. Ici en Russie, il est certain que l’on n’enseignera jamais à des soldats à se demander à quel moment ils peuvent ou doivent cesser d’obéir….

 

J’ai été très impressionné que l’on mette ces jeunes en situation de découvrir que dans certaines circonstances, il n’y a pas une bonne réponse, des principes intangibles auxquels se raccrocher, mais un choix individuel, faisant appel à la prise de responsabilité personnelle, entre des solutions également discutables.

 

Je ne suis pas sur que beaucoup d’autres grandes écoles, disons, plus « technocratiques » adoptent ce type d’approche. On pourrait dire la même chose de beaucoup d’autres de nos « institutions » : partis, églises, syndicats, etc…


En un temps ou on entend encore dans le débats politique des primaires s’insulter à coup de « Vichystes », Collabo » invoquant à tous va « les heures les plus ombres de notre histoire » . Quand on entend jusqu’à l’indigestion invoquer un « devoir » de « désobéissance civile civique citoyenne » on aurait envie d’envoyer une partie de la classe politique en stage à Saint Cyr. Apprendre que les choix ne sont pas toujours aussi évident à chaud que quand on les regarde avec 65 ans de recul ?

Qu’il n’y a pas toujours un camp du bien et un camp du mal ?

Ma conclusion ? A la fin de leur scolarité, on leur dit, à genoux les hommes, debout les officiers. Avec une formation pareille, je pense que pour la plupart, ces officiers resteront aussi des hommes (et des femmes...) au sens noble du terme. Oserais-je le dire ? C’est peut être passéiste, c’est dans doute sentimental, c’est certainement réac. En les écoutant, j’étais bêtement fier d’être français…

 

Chapeau (ou devrais-je dire Shako ?) Saint Cyr !

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