49-3 : L’instrument d’une guerre de classes qui ne dit pas son nom

par Boogie_Five
lundi 20 mars 2023

Quelles réactions auraient les patrons et les fidèles de la Macronie si un gouvernement de gauche dégainait le 49-3 pour imposer, par exemple, une revalorisation du SMIC à 1700 euros net ? Ou bien une taxation à 100 % des revenus au-dessus de 30000 euros mensuel, comme le proposait Mélenchon ? Comme à son habitude toute patriotique, le CAC 40 menacerait de bloquer le pays en délocalisant leurs usines et leurs capitaux, puis les excités des médias mainstream appelleraient à l’insurrection pour faire chuter le gouvernement. L’asymétrie entre salaires et profits a toujours été injuste.

 

Sauf que cette question est nulle et non avenue puisque le 49-3 a généralement été utilisé pour des lois antisociales. Un garrot sur-mesure pour tenir en respect la populace et les politiciens démagogiques un peu trop ambitieux. De l’instabilité chronique de la 4ème République, le régime politique est passé à une hyper-stabilité indéboulonnable qui risque bien de la pétrifier définitivement. Avec le concours de l’Europe et des États-unis, le pouvoir se détache, s’isole et s’est dispersé dans les cabinets de conseil. Simple bouton sur le tableau de bord de la grande machinerie militaro-industrielle atlantiste, le gouvernement fonctionne en mode automatique, en recrachant toujours les mêmes idées dans tous les débats : la liberté c’est bien, l’égalité c’est mal, l’État social c’est archaïque, les marchés c’est mieux, etc. Capitalisme et Guerre froide sont une seule et même chose,

 

L’autonomisation du pouvoir liée à la globalisation financière, qui affecte tous les pays occidentaux et au-delà, a une conséquence inattendue que les gouvernements maîtrisent de moins en moins : en les abandonnant à leur sort, les gens modestes se rebiffent et sont bien obligés de s’organiser. De gruger et de jouer avec les failles du système pour survivre, comme l’ont toujours fait les marginaux et les exclus. À partir du moment où le pouvoir s’éloigne en disant « vous pouvez faire ce que vous voulez mais ne comptez plus sur nous pour améliorer votre situation », croire que la population est incapable d’initiative et va rester inactive, en restant prostré devant le cérémonial de l’État bourgeois, est bien le signe de l’imbécillité profonde qui touche les élites occidentales dans leur ensemble.

 

Sans contradiction et pluralité, il n’y a plus de vie. Les théocraties monothéistes et les États totalitaires ont bien tenté de créer un homme unique, avec une croyance unique et un mode de vie unique, en criminalisant la moindre divergence. Ils ont tous échoué et le capitalisme mondialisé n’échappera pas à cette règle. Le peu de vie qui reste s’immisce progressivement dans les rouages et finit par déborder les autorités. Il en sera de même à la fin l’hégémonie néolibérale, qui a déjà commencé. En attendant, la réforme des retraites est bien une victoire de la mort au travail, des plus faibles et précaires avant tout. D’une vision qui considère l’existence uniquement dédiée à l’exploitation du capital. Faire passer l’allongement de la durée de travail comme une garantie de survie et de solidarité est sans doute le chantage le plus odieux de ces cinquante dernières années, en miroir de la promesse « d’Europe sociale » vendue par la gauche de gouvernement à la même période.

 

Difficile de cacher les intentions dans ce cas, et contrairement à toutes les petites mesquineries habituelles pour grignoter sur les droits sociaux, soudain les lignes de forces et les positions deviennent claires et flagrantes pour tous. Le filtre de la social-démocratie s’est désagrégé et la guerre entre classes a officiellement été déclarée. Fini l’embrouillement identitaire des bisbilles raciales et religieuses : l’identité en tant que travailleur, essentielle à la vie de la cité, a repris sa place centrale dans les préoccupations quotidiennes des français. Les classes populaires de toutes couleurs et obédiences franchissent la rocade pour prendre d’assaut les centres-villes bourgeois. En cherchant à tout engloutir, le ventre du capital a trop tendu la bouche. Et la populace commence à mordre.

 

Tadam ! Le fameux 49-3 tant redouté atomise le débat et bâillonne les parlementaires. Depuis quand un article constitutionnel est censé stopper une concertation nationale et un mouvement populaire ? À part l’état de siège ou d’urgence, quel en serait le motif ? Le gouvernement doit certes gouverner, mais pour qui et avec qui, si les assemblées et le peuple ne sont plus dans le coup ? Drôle de constitution qui met au centre la relation entre le chef d’État et le peuple, mais la brisant totalement de l’autre côté. Comme cette disposition monarchique se combine bien avec l’autonomisation du pouvoir du capital et des grands bourgeois, les élites conservatrices ont tout intérêt à faire bloc autour du grand commandeur face à la contestation populaire. Il n’est donc pas étonnant que les plus ardents défenseurs de la constitution actuelle se retrouvent dans l’oligarchie.

 

Responsable irresponsable, le président assure le maintien éternel du dispositif même si l’ensemble des institutions ne fonctionne plus vraiment, et la société en proie à l’anarchie d’un libéralisme autoritaire qui répète que le pouvoir public est incompétent en matière d’économie, et donc totalement impuissant... En théorie, le chef qui incarne la France peut considérer que tous les autres n’en font plus partie. Il lui suffirait de son unique et propre voix pour être élu et légitime. Avec l’appui de médias serviles prédisposés à entretenir la fiction de l’homme providentiel, se sacrifiant pour le peuple. Perdu dans son labyrinthe de miroirs, à la tête d’un royaume disparu et fantomatique, en exil comme Napoléon ou De Gaulle, le président pourrait gouverner depuis la planète Saturne et se livrer à ses caprices, en faisant ses petites réformes pour une nation idyllique, peuplée seulement de cadres supérieurs.

 

Cette autonomisation de la présidence, renforcée par l’intégration au capitalisme mondialisé, via l’Union européenne et les institutions financières internationales, finit par l’éloigner des réalités du terrain et de la sphère politique locale. Il est désormais... jupitérien. La conséquence positive qui doit absolument être retenue par les mouvements populaires est que cet éloignement galactique laisse le champ libre à une relocalisation du rapport de force à la base, du petit village au quartier de banlieue. Puisque les gouvernements ne comptent plus rien faire en vue d’améliorer les conditions de vie de la population, et préparent des lois seulement en faveur du capital mondialisé, ils se sont eux-mêmes dessaisis du pouvoir qu’ils détenaient encore sur le travail et le social, en le déléguant au privé et en cherchant à le déréglementer le plus possible. Malgré ses effets régressifs à long terme, ce dessaisissement du pouvoir socio-économique par les États bourgeois est une des failles béantes mais insoupçonnées de la concurrence libre et non faussée.

 

Les élites bourgeoises préservent leur capital symbolique et des appuis au sein des classes moyennes supérieures, mais disposent de moins en moins des moyens directs pour éduquer et orienter les masses populaires selon leurs propres valeurs et intérêts. Toujours dans leur souci de distance avec les classes inférieures, elles ont préféré démissionner et lâcher prise, en les délaissant au plus offrant, c’est-à-dire aux requins du marché, aux délinquants et aux extrémistes. C’est aussi un des aspects de la crise de l’éducation nationale et de la culture française en général. Puis de tous de les services publics considérés comme non rentables et inutiles. Face à cette impasse de l’utopie néolibérale du tout-marché, où l’escroquerie est la seule règle qui vaille, le rapport de force revient progressivement en faveur des classes populaires, qui ne sont pas encore conscientes de la réelle étendue de leurs pouvoirs dans ce contexte de dessaisissement par les élites, mais font déjà preuve d’une grande initiative dans nombre de domaines.

 

Reste la question des gros patrons et des multinationales, qui font régner la loi du dollar et les grands oligopoles militaro-industriels nationaux – grosso modo l’hégémonie des nouveaux empires mercantiles. C’est de la loin la bataille la plus difficile sur un terrain des plus fluctuants, a fortiori en période de guerre. Mais ce niveau ne pourra être abordé sans avoir préalablement transformé sa propre base au niveau national. En tout cas, une alternative politique radicale de gauche ne devrait pas effrayer les petites gens bien installées et disposant d’un petit confort, dont une bonne partie est déjà attirée par un nationalisme virulent et répressif, mais donnant peu de solutions aux enjeux socio-économiques et institutionnels. Il n’y a de réalité que dans la différence, et sans aller jusqu’au « changement pour le changement » du capitalisme cybernétique, qui confine à la croyance au mouvement perpétuel divin chez les libéraux, l’expérimentation de nouvelles formes de vie en dehors du système de travail capitaliste est indispensable pour la viabilité de nos sociétés et la « santé » de notre planète.

 

Une autre voie est possible, mais elle sera plus en plus difficilement accessible. Elle se dérobe toujours plus à chaque recul du droit à la retraite et d’autres acquis sociaux convoités par les rentiers et les multinationales.


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