83 % de têtes bien faites ou bien pleines ?

par Yannick Harrel
mardi 15 juillet 2008

C’est officiel, les chiffres viennent de tomber : 83,3 % de réussite au baccalauréat toutes filières confondues pour l’année 2008. Soit un cru équivalent à celui de 2007. Résonnez tambours, sonnez trompettes, une nouvelle fournée de têtes citoyennes est en route. Mais en route vers quoi au juste ? Et aux racines de cette interrogation, que peut encore valoir et signifier ce diplôme semblant être porté au pinacle par les ministres successifs de l’Education nationale ?

Le culte du chiffre

Car, au-delà de la satisfaction de façade, l’on est contraint de concéder que l’on fait surtout œuvre de comptabilité sans trop se soucier ni de la qualité réelle du diplôme ni du devenir de ceux qui en sont devenus les détenteurs.

C’est Jean-Pierre Chevènement qui lança en 1985 la quantification imposée de bacheliers par sa célèbre phrase « 80 % d’une génération au niveau du bac  ». Ce dernier était loin de se douter que derrière cette intention louable, dans la droite ligne d’un républicanisme défenseur de la connaissance et du progrès, venait de naître le désenchantement de ces mêmes générations face à une réalité du terrain implacable.

Un diplôme dévalué

Il est plausible de supputer que dans l’idée du ministre de l’époque, il était certainement plus question de rehausser le niveau des contingents d’élèves que d’abaisser celui du diplôme.

Conséquence logique de cet afflux de nouveaux bacheliers, une inflation qui se traduisit année après année par une dévaluation de celui-ci.

De plus, s’opéra un engorgement dans les filières généralistes, à savoir les sections littéraire, économique et scientifique, délaissant les bacs dits « pros » car souffrant d’une image synonyme d’échec scolaire, la plupart des bacheliers eurent dès lors le plaisir de tous sortir avec un diplôme quasi identique, mais sans réel débouché majeur à court terme…

Ni les recruteurs professionnels ni les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ou encore les facultés de médecine comme de droit ne furent dupes de cette déferlante puisqu’elles prirent rapidement en compte l’affaiblissement qualitatif du diplôme pour opérer un tamisage direct (par voie de concours/dossier) ou indirect (première année éliminatoire). En somme, le bachelier tout frais émoulu payait les pots cassés du succès généralisé d’un certificat désormais avili.

Faut-il durcir le niveau ?

En réalité, il serait plus avisé non pas tant de durcir le niveau que de trancher quant à savoir si le baccalauréat doit former des citoyens éclairés ou préparer les écoliers à une orientation professionnelle précise ?

La dichotomie entre filières généraliste et professionnelle/technologique est un compromis que l’on peut qualifier d’appréciable dans un premier temps, surtout pour le bachelier professionnel qui dispose d’un choix conséquent et d’un enseignement supérieur efficient (BTS et DUT en première ligne) sur le marché de l’emploi. En revanche l’on peut s’interroger sur le devenir des bacheliers généralistes qui sont condamnés aux longues études et pour certains d’entre eux aux affres de l’échec et de la sortie de route scolaire sans diplôme de l’enseignement supérieur.

Car le bac de nos jours n’est aucunement une garantie contre l’échec au niveau supérieur, loin de là. Il n’est que le viatique menant aux études supérieures, rien de plus.

Alors pourquoi ne pas transformer le baccalauréat généraliste en examen de longue durée afin de préparer l’élève à entrer dans le moule de l’étudiant en le transformant en une passerelle ? Le tout en faisant intervenir des modules optionnels renforçant l’aspect pédagogique et permettant rapidement de s’assurer du niveau futur de l’élève ? Il serait moins question de sanctionner l’élève par un examen final que de le former petit à petit à s’insérer dans un processus réclamant de sa part patience, rigueur et apprentissage des fondamentaux.

De la sorte, les lycéens seraient dans un schéma de responsabilisation de leur avenir, avec un socle de granite pour les matières essentielles (français, histoire/géographie/éducation civique, mathématiques dont les coefficients pourraient varier en fonction de la dominante choisie) et un espace d’étude plus personnalisé dont l’aboutissement serait la remise d’un diplôme réévalué favorablement sur le marché de l’emploi et pleinement ouvert sur les desiderata des institutions d’enseignement supérieur.

Un diplôme à la carte ?

Ce n’en est aucunement l’objectif puisqu’il y aurait toujours dans cette optique des matières fondamentales (comme évoquées plus haut), mais aussi une partie conséquente dite découverte et approfondissement qui débuterait dès l’entrée en seconde. A charge néanmoins pour le futur bachelier de s’informer raisonnablement quant à la poursuite de son cursus scolaire lors du choix de ces options (qui devront rester dans une certaine limite toutefois) et ce dès la troisième.

Le lycéen serait de la sorte obligé d’acquérir des données essentielles susceptibles d’en faire un citoyen éclairé tout en lui offrant l’opportunité de s’épanouir et non de subir un système éducatif par trop théorique.

Cette évolution pourrait réclamer du courage à nos élus (toucher à cette institution bicentenaire n’est pas chose aisée), un dosage vraiment conséquent dans l’établissement du choix des options (éviter l’asphyxie par un trop-plein de choix) et l’intervention d’enseignants qualifiés (soit des intervenants universitaires ponctuels, soit des enseignants du secondaire formés spécifiquement).

La mise en place ne serait pas une mince affaire, pourtant le jeu n’en vaut-il pas la chandelle ? Et ainsi enfin donner tort à Carl Rogers : ce qu’il y a de triste et de pénible dans la plupart des systèmes d’éducation, c’est que lorsque l’enfant a passé un certain nombre d’années à l’école, cette motivation spontanée se trouve pratiquement étouffée.


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