Affaire Bové, la « transe-gêne-éthique » du grand frère des émeutiers de banlieue

par BUOT-BOUTTIER
mercredi 14 février 2007

« Ce sont des actes graves », clamait le ministre de l’Intérieur lors des émeutes de novembre 2005 et des mouvements de vandalisme de la fin de l’année 2006. Les peines devront être exemplaires, a-t-il répété à plusieurs reprises. « C’est une décision grave », a vociféré l’ancien leader de la Confédération paysanne à l’issue du délibéré du 7 février 2007 de la Cour de cassation. « Les actes graves » des jeunes de banlieue étaient des actes de dégradation et de destruction de biens privés et publics. « La décision grave » face à laquelle s’indigne le citoyen Bové est une peine de quatre mois de prison ferme pour avoir été acteur d’une opération d’arrachage de maïs transgénique, acte de destruction d’un bien de production alimentaire. Face à une justice qui semble ici avoir été rendue, la révolte du citoyen Bové conduit à se demander si, dans l’esprit de certains acteurs sociaux, politiques et syndicaux, le degré de gravité d’un acte de vandalisme ne dépendrait pas de la personne qui le commet...

Il semble de bon ton, lorsqu’on appartient à la confrérie des bobos « branchouilles », de se réclamer du mouvement altermondialiste. Le courant est suffisamment large et tolérant pour accueillir tous ceux qui, dans l’air du temps, ont plaisir à s’entendre dire que la gauche et la droite, c’est la même chose ! Nous attirons dès à présent l’attention du lecteur sur le fait qu’il ne s’agit pas ici de traiter de l’altermondialisme, un courant qui, dans ce bas monde, a toute sa légitimité, mais plutôt, tels les serviteurs du roi, d’aborder la question de ses sujets. Aussi, notre protagoniste, le bobo alter, a-t-il un discours qui respire la bienveillance, l’éthique et le respect. Citoyen du monde, il pense avant tout à demain et à l’avenir, sur Terre, de son prochain. Il est socialement et économiquement centriste, niché entre la gauche et son extrême.

L’alter bobo est original. Parfois surprenant.

Par nature, il s’indigne lorsqu’un ministre parle de sanctions face à des actes de vandalisme de jeunes qui ne sont pas parvenus à trouver un autre axe de communication pour faire passer un message. De manière quasi congénitale, le bobo alter perçoit ces jeunes comme des victimes d’une oppression étatique totalitaire, représentative d’un capitalisme qui nous croquera tous bientôt tout crus, après nous avoir, d’ores et déjà, tous mis tout nus. S’il est vrai qu’il n’a pas toujours tort, l’alter se perd parfois dans la peur du grand méchant loup, nommée plus "scientifiquement" la théorie du complot. Mais pour rendre à César ce qui lui revient, il faut admettre, et c’est ce qui fait tout son paradoxe, qu’en tant que citoyen, alter bobo peut être beaucoup plus réaliste. Le militant est capable d’admettre, notamment s’il a des responsabilités éducatives (mais les acteurs sociaux, syndicaux et politiques n’ont-ils pas tous des responsabilités éducatives ?), que l’on ne peut laisser croire à un adolescent en train de se construire que la loi est faite pour être bafouée, et que le meilleur moyen de faire passer un message est de tout saccager.

Je reste en tout cas convaincue que si José Bové devait demain tenir un rôle d’éducateur, il aurait suffisamment de bon sens pour ne pas conseiller aux gamins dont il aurait la charge de faire ce qu’il fait lui-même.

Quoi qu’il en soit, il serait bien en difficulté car, tout comme certains gamins de banlieue, le militant altermondialiste ne semble pas avoir trouvé d’autre moyen, tout au moins médiatique, que d’avoir recours à des actes de destruction pour faire passer son message.

Un message digne, il est vrai, d’un combat éthique dans un contexte mondial de malbouffe qui permet, reconnaissons-le, à certains « sans état d’âme » de cultiver la poule aux œufs d’or au détriment de la santé du consommateur du monde. Ce n’est donc pas la légitimité de la cause qui est dénoncée ici, mais bien les moyens utilisés pour la défendre. Et c’est avant tout l’idée que nous ne pouvons, en tant que citoyens du monde, braver la loi et nous indigner que celle-ci s’applique ensuite. A moins d’aller jusqu’au bout de ses idées, de prôner la révolution et de prêter main-forte aux gamins qui incendient les voitures de leurs voisins !

Tant que nous n’en sommes pas là, un citoyen altermondialiste nommé José Bové se doit d’assumer les actes qu’il commet et d’espérer que la justice rendue soit le plus égalitaire possible. Un message dont une certaine jeunesse qui se plaint d’une inégalité de traitement a grand besoin.

Tristement, le militant anti-OGM préfère la posture de la victime en refusant l’alternative du port du bracelet. Une situation qui n’aurait pas manqué de dégonfler la baudruche médiatique, ce qui n’est pas dans l’intérêt de l’acteur.

Le paroxysme est enfin à son comble lorsque M. Bové clame solennellement qu’il pourrait être le « premier prisonnier politique à l’élection présidentielle ». Une déclaration qui serait burlesque, si elle n’était pas une véritable injure pour tous les hommes et les femmes qui furent, et seront encore, de par le monde, emprisonnés, torturés, puis tués pour leurs idées. Le candidat à l’élection présidentielle perd le sens des mots, semble-t-il !

Il nous est toutefois possible de rire, dans une demi-mesure, puisqu’il est légalement possible que l’application de la peine soit reportée. Le postulant à la présidence de la République pourrait attendre au moins jusqu’à l’entre-deux tours de la campagne pour être incarcéré. Ainsi, s’il avait été possible que le militant ne soit pas éliminé dès le premier tour, le candidat aurait pu poursuivre sa campagne présidentielle derrière les barreaux.

Ne vous avais-je pas dit que l’alter était original ?

Ce qui prête peut-être moins à sourire, c’est que nous avions déjà un président de la République qui n’a jamais eu, à ce jour, à répondre de certaines accusations. Aujourd’hui, l’émulation politique et médiatique autour de « l’injustice vécue » par un « candidat, auteur de vandalisme qui ne s’assume pas et futur détenu », en période d’élection présidentielle, adresse une nouvelle fois aux plus jeunes et aux plus révoltés le message que le monde dans lequel ils grandissent, loin d’être toujours juste, relève parfois de la simple bouffonnerie.


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