Amnistie et droit de grâce en question

par Voris : compte fermé
jeudi 18 janvier 2007

L’actualité remet sous les projecteurs la question de l’amnistie présidentielle. C’est l’occasion de faire le point sur les deux formes d’amnistie (collective, individuelle) et sur le droit de grâce. Faut-il amnistier les chauffards ? Cette question paraît idiote mais lorsque l’aministie présidentielle a été instaurée en 1958 par le général de Gaulle, elle ne se posa pas : tous les délits routiers furent effacés ! La mesure remporta un tel succès populaire que le Général la renouvela en 1965, ainsi que Pompidou en 1969. Plus préoccupé de l’hécatombe grandissante sur les routes françaises, Valéry Giscard d’Estaing exclut les homicides routiers dus à l’alcool. Aujourd’hui, l’attention portée par les pouvoirs publics à la sécurité routière, mais aussi d’autres considérations, incitent les candidats à la présidentielle à se montrer prudents dans l’usage de l’amnistie.

1 - L’amnistie

Rappelons que l’amnistie est une forme de pardon qui va au-delà de la grâce puisqu’elle supprime l’infraction elle-même.
Un sondage de la Sofres réalisé pour Axa-prévention montre qu’à l’approche des élections, les mauvaises habitudes des Français reprennent le dessus : les infractions en ville semblent en pleine recrudescence. 52% des Français déclarent rouler en ville à 65 km/h, contre 48% deux ans auparavant. 74% ne s’arrêtent pas au feu orange, et 54% doublent ou tournent sans mettre leur clignotant. Enfin, 27% des sondés déclarent piloter à des vitesses avoisinant les 170 km/h sur autoroute. La peur du gendarme a baissé, mais l’amnistie présidentielle n’est pas pour rien non plus dans cette escalade qui devrait entraîner des victimes supplémentaires. Tout le monde le sait, mais les contrôles routiers n’ont pas été renforcés pour autant. Tant pis, on comptera les morts et les blessés après la grande fête électorale !

Cependant, Jacques Chirac, qui avait fait de la sécurité routière le chantier principal de son mandat, a déclaré début janvier que son successeur ne devrait pas amnistier autre chose que le stationnement non dangereux. Les candidats aux élections présidentielles ont averti qu’ils useraient modérément de leur droit d’amnistie s’ils sont élus. Interrogés par le magazine Auto Plus ils se prononcent comme suit :

Sont pour l’amnistie :
- Olivier Besancenot (LCR) pour les stationnements payants et gênants. Mais favorable à la récupération des points perdus selon ressources des contrevenants.


- Jean-Marie Le Pen (FN) pour tous les cas de figure, excepté ceux ayant entraîné la mort ou la blessure d’une personne.
- Marie-George Buffet (PC) pour les infractions de stationnement, sauf sur place pour handicapé.

Sont contre l’amnistie :
- François Bayrou, le candidat de l’UDF, estime que l’amnistie est incivique, faisant du chef de l’Etat "un père Noël". Il est en revanche favorable à une récupération plus aisée des points perdus.
- Nicolas Sarkozy (UMP) s’y dit résolument opposé : « Dans le domaine de la sécurité routière, cette pratique incite certains usagers à relâcher leur vigilance, persuadés qu’ils bénéficieront d’une mesure de clémence. »

Quant à Ségolène Royal, elle "ne se sent pas prête à s’exprimer sur le sujet". Certes François Hollande a fait savoir mercredi qu’il était « tout à fait hostile » à l’amnistie. Mais on sait que ses engagements peuvent être contredits par Ségolène. Donc, plus sérieusement, on s’appuiera pour le moment sur la position tenue par Julien Dray, le porte-parole du PS, qui a déclaré jeudi sur RTL : Il y aura une loi d’amnistie. A l’inverse de ce qui a été fait jusqu’à maintenant, elle basée sur des principes et pas sur des quantum de peines. Il a expliqué que jusqu’à présent, les amnisties étaient accordées systématiquement en fonction de la durée de la peine, par exemple si la condamnation n’excédait pas quatre mois. Résultat, on a amnistié des extrêmement graves notamment sur les attouchements sexuels, a-t-il dit.

Déjà en 2002, à l’occasion de la réélection de Jacques Chirac, la polémique a porté sur les infractions routières. Le champ avait alors été restreint mais une autre forme d’amnistie fait polémique à juste titre : les mesures individuelles d’amnistie.

En 1981, ces mesures individuelles sont réservées à quelques personnalités qui se sont illustrées dans les domaines scientifique, culturel et humanitaire, et aux résistants et engagés volontaires en temps de guerre. En 1988, elles sont étendues aux Français qui se distinguent dans le domaine économique, puis aux personnalités engagées dans le secteur humanitaire. En 1990, les députés PS amnistient les auteurs de détournements de fonds au profit de partis politiques. Plusieurs dirigeants du Parti socialiste échappent ainsi à toute justice (campagnes électorales financées en partie par de fausses factures).

En 2002, à la réélection de Jacques Chirac, le champ est globalement restreint mais il est étendu aux sportifs de haut niveau. Guy Drut, député UMP impliqué dans l’affaire des marchés publics d’Ile-de-France et bénéficiaire d’un emploi fictif à la Sicra, filiale de Vivendi, sera ainsi amnistié par son ami Chirac le 25 mai 2006.

Alors, amnistie ou pas amnistie ?

2 - Le droit de grâce

Le droit de grâce est une prérogative traditionnelle des chefs d’État, héritée de la monarchie, qui permet de dispenser un condamné d’effectuer tout ou partie de sa peine. Il figure à l’article 17 de la constitution de 1958. Moins contesté que le droit d’amnistie, il soulève néanmoins quelques réflexions. On peut s’insurger d’abord contre la subsistance de ce droit régalien dans une république et dans une démocratie. Cela dit, comme beaucoup de leaders politiques et juristes le font remarquer, le droit de grâce est le dernier recours en cas d’erreur judiciaire.
Ainsi François Bayrou, interrogé par le journal Libération le 27 mai : "Je ne confonds pas l’amnistie arbitraire et le droit de grâce. L’UDF n’a pas voté la loi d’amnistie en 2002, elle dénonçait ce risque d’arbitraire. Mais le droit de grâce, c’est autre chose. Il peut arriver dans une société qu’une décision de Justice, juridiquement fondée, entraîne un trouble tel qu’il soit utile qu’une autorité puisse la remettre en cause pour ramener le calme. Imaginez, par exemple, que Mme Humbert ait été condamnée pour avoir mis un terme à la vie de son fils. Juridiquement, cela aurait pu arriver. Dans ce cas, l’émotion aurait été si grande qu’il aurait sans doute été justifié de faire grâce, au nom du peuple français... Nicolas Sarkozy, lui, fait l’amalgame et déclare abruptement le 8 juin 2006 : Si un jour je devais avoir des responsabilités, une des premières choses que je ferais, c’est de supprimer le droit de grâce et l’amnistie.

On peut aussi s’interroger sur la légitimité de cet empiètement du pouvoir exécutif sur la fonction judiciaire. Mais cette dernière question n’a pas vraiment de sens, car on sait que de nombreuses fonctions de l’Etat sont partagées entre plusieurs organes. Reste la question de l’usage qui est fait de cette prérogative. Chaque 14 juillet, le président de la République gracie un grand nombre de condamnés. La Ligue des Droits de l’homme fait remarquer que le décret annuel de grâce a surtout pour fonction de remédier ponctuellement à la surpopulation carcérale, problème qui met la France en contradiction avec ses engagements internationaux.

Alors, droit de grâce ou pas droit de grâce ?


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