Antisémitisme et islamophobie ne sont pas de même nature en République laïque

par San Kukai
vendredi 16 janvier 2009

Mercredi 14 janvier 2008, le président de la République française Nicolas Sarkozy, présentant ses vœux aux acteurs de la sécurité, a affirmé : Il n’y a pas de place dans la République pour des antisémites ou des islamophobes. […] L’antisémitisme et l’islamophobie seront condamnés avec la même sévérité. Or, considérer comme équivalents l’antisémitisme et l’islamophobie et le faire au nom de la République est une erreur aux regard du droit français et une grave entorse au principe républicain de laïcité.

L’antisémitisme est la manifestation de la haine envers les juifs, pris comme groupe religieux ou ethnique. Cette manifestation a conduit dans l’Histoire à des exactions ou des persécutions, voire à un génocide lorsqu’elle s’est érigée en idéologie. L’antisémitisme diffère par exemple de l’antisionisme, qui est l’hostilité à l’État d’Israël (depuis sa création jusqu’au dernier conflit armé), pour des raisons autant idéologiques que politiques. Il diffère aussi de l’antijudaïsme, qui est une critique exercée contre la religion juive. En ce sens, l’antisionisme est une opinion tournée vers la politique d’un État, l’antijudaïsme, une opinion considérant une religion, quand l’antisémitisme est l’expression d’un racisme pouvant se manifester de façon criminelle. Si en France le racisme est condamnable, l’expression d’une opinion critiquant une politique ou une religion ne l’est pas.

Quant à l’islamophobie, le mot signifie « peur de l’islam ». Pour Caroline Fourest, le terme a été employé initialement pendant la révolution iranienne par l’ayatollah Khomeiny, pour signifier le « blasphème » envers la religion islamique. Il s’agit donc proprement d’une critique de l’islam en tant que religion, que l’on ne saurait confondre avec le racisme anti-arabe ou avec le racisme anti-musulman (lesquels ne doivent pas non plus être confondus). Les manifestations de haine envers les maghrébins — identifiés comme tels pour leur patronyme ou leur origine supposée — sont, bien entendu, condamnables en tant qu’actes racistes. Les appels à la haine envers les musulmans le sont tout autant, tout comme la diffamation ou l’injure pour des motifs religieux.


Ainsi, la distinction qui doit être faite entre islamophobie (critique d’une religion) et racisme anti-musulman est du même ordre que celle qui différencie antijudaïsme et antisémitisme. La confusion ne peut se faire entre une opinion exprimée contre une religion et un appel à la haine contre des adeptes d’une religion. La loi française fait la part entre les croyances, qui peuvent être critiquées ou tournées en dérision, et les croyants, dont les libertés individuelles doivent être respectées. Dans ce sens, on ne peut condamner l’islamophobie au même titre que l’antisémitisme ; l’islamophobie, prise comme critique de l’islam, est protégée par la liberté d’expression, tant qu’elle ne vire pas au racisme anti-musulman ou aux appels à la haine contre les musulmans.

Le principe de laïcité en France considère ainsi comme équivalents le prosélytisme religieux et la critique des religions. Il s’agit d’opinions qui n’ont de limites que celles basées sur la protection des libertés individuelles ; par exemple, un athée ne pourra appeler à la haine des musulmans pas plus qu’un musulman à la haine des athées, mais l’un comme l’autre auront la liberté de dire tout le mal qu’ils pensent, respectivement, de l’islam et de l’athéisme.

Placer sur un même plan, ainsi que l’a fait Nicolas Sarkozy mercredi, l’antisémitisme et l’islamophobie, revient à confondre l’expression d’un racisme et l’expression d’une critique religieuse. Or, la condamnation de la critique religieuse valide implicitement la notion de blasphème et fait adopter à la République une vision religieuse de ce qui peut être permis et de ce qui ne l’est pas. Nous sommes ici dans une contradiction fondamentale du principe de laïcité.

Au regard des propos du président de la République, il est essentiel de rappeler que dans la France laïque, il est permis de représenter Mahomet de façon caricaturale, il est permis de critiquer la charia, il est permis de penser est d’écrire que l’islamisme est un totalitarisme religieux (comme l’ont fait Ayaan Hirsi Ali, Chahla Chafiq-Beski, Caroline Fourest, Bernard-Henri Lévy, Irshad Manji, Maryam Namazie, Mehdi Mozaffari, Taslima Nasreen, Salman Rushdie, Antoine Sfeir, Philippe Val et Ibn Warraq, dans leur Manifeste des douze). Il est essentiel de rappeler que la République française ne reconnaît pas le blasphème, pas plus que l’excommunication, l’apostasie ou l’hérésie. Si elle condamne toute forme de racisme au nom de ses principes fondateurs, elle reconnaît la liberté d’expression au nom de ces mêmes principes. Ainsi, la République française condamne-t-elle l’antisémitisme comme l’expression d’une haine raciale, mais ne saurait condamner l’islamophobie en tant qu’opinion vis-à-vis d’une religion, tant que cette expression demeure critique et ne change pas de nature pour se transformer en appel à la haine.

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