Après la démocratie... la primaire citoyenne ?

par Olivier Perriet
mardi 1er novembre 2011

La décision du PS d'ouvrir à l'ensemble des Français le choix du candidat "de gauche" pour la présidentielle pouvait paraître louable. Si l'on se fie à ses promoteurs, une telle procédure permettrait d'insuffler (ou réinsuffler) la démocratie dans nos institutions politiques rouillées et démodées.
Porté par la qualité indéniable des débats et l'écho médiatique plutôt entraînant de cette démarche, je fus un temps sur le point d'y participer.
Un certain nombre de réticences m'en ont finalement dissuadé. Ce que je ne regrette absolument pas, vu le bilan qui peut être tiré de ce vote pour le moins baroque.
 
Au départ : l'ambiguïté d'une démarche partisane.
 
Je ne suis pas adhérant du parti socialiste et je n'attache pas une importance excessive au concept "gauche-droite", qui se résume pour moi à une appartenance sociologique (à gauche, on a les fonctionnaires et les salariés, à droite les professions libérales et les patrons, grands ou petits[1]). Je ne me suis donc tout d'abord pas senti concerné par cette affaire.
Mais comme le candidat issu de cette primaire a, à priori, de grandes chances de figurer au second tour, j'ai fini par m'y intéresser : au second tour, on choisit le moins pire, alors si on peut le "présélectionner", c'est toujours bon à prendre !
 
Les trois débats télévisés furent de grande qualité.
Mais aucun des six candidats ne m'a majoritairement emballé : sur l'immigration par exemple, je suis plutôt sur la ligne Valls - Royal, qui s'est nettement distinguée de la "générosité" prônée par les 4 autres. Sur le plan économique, je serais au contraire en phase avec la ligne Montebourg.
 
Finalement, rien d'étonnant à cela : si j'étais séduit par un de ces candidats, je serais adhérent du PS. Or ce n'est pas mon cas. Retour à la case départ.
Pourquoi, d'ailleurs, les non adhérents devraient-ils s'impliquer dans la désignation du candidat d'un parti ?
Tout le monde a pu noter en effet que sur les 6 "impétrants", 5 sont issus du parti socialiste. Le seul non socialiste, le radical de gauche Baylet, semblait le plus falot, répétant en boucle "laïcité, laïcité !" sans jamais détailler la manière dont elle doit selon lui se traduire concrètement.
Bien sûr, on me répondra que si cette "primaire citoyenne" a été phagocytée par le PS c'est que les autres partis de gauche ont refusé d'y participer. Souvent d'ailleurs pour ne pas cautionner l'hégémonie dudit PS.
La première ambiguïté est donc là : on est en présence d'une élection ouverte à tous les sympathisants "de gauche", qui, en fait, donne le "choix" entre des candidats issus du PS. La "primaire citoyenne" est en fait une primaire socialiste.
Et comme l'ont répété en boucle les socialistes, plus grand sera le nombre de participants, plus le candidat désigné sera légitime. Partant, plus le PS sera légitime comme principale (unique ? c'est ce qu'ils souhaiteraient…) force d'opposition à l'UMP et à Nicolas Sarkozy.
Participer à cette primaire revient donc à valider le bipartisme "UMPS" qui ne me plaît guère.
 
Et de même, à écouter les socialistes, y compris sur AV, participer à cette primaire emporte et d'une, reconnaissance des résultats finaux (des 1er et du 2e tours) et de deux, vote pour le candidat ainsi désigné dès le premier tour de la présidentielle.
Exit donc l'idée de "présélectionner" le candidat de second tour que j'ai évoquée plus haut.
 
Au final, cette primaire est ouverte à tous les sympathisants "de gauche" (moyennant un "engagement de reconnaissance dans les valeurs de la gauche" aussi vague que consensuel), elle a pour but de désigner le candidat de la gauche, mais elle sert en fait à accroître l'influence du parti socialiste dans le jeu politique. Jusque là vous suivez ?
 
On peut donc considérer que cette procédure est le signe d'un cynisme partisan assez poussé. Mais paradoxalement elle démontre aussi une certaine naïveté. À moins qu'il s'agisse tout simplement d'une affaire mal réfléchie et bâclée.
 
Ce scrutin est ouvert à tout citoyen inscrit sur les listes électorales.
Rien n'empêche donc une manœuvre "stratégique" d'adversaires de la gauche, qui pourraient manipuler cette consultation en pesant pour choisir un adversaire à leur convenance.
Il semble que cela ne se soit pas produit, sauf peut-être pour Arnaud Montebourg, dont le score a dû être quelque peu gonflé par le soutien de sympathisants et militants Front de gauche, à l'exemple de Fergus.
Cette primaire révèle également une curieuse tendance à l'œuvre au PS :
déléguer les tâches qui lui incombent à l'ensemble du corps électoral.
 
En 2006-2007, l'alpha et l'oméga de la campagne de Ségolène Royal était "la démocratie participative". Comme l'a remarqué plaisamment Emmanuel Todd, cette démarche, au fond, "donne aux citoyens le droit de faire le boulot dont les politiques sont incapables, définir un programme"[2].
Échaudé par les contestations ayant émaillé la désignation de la première secrétaire à l'automne 2008, le PS semble avoir reconduit la formule royaliste, sous couvert de primaires à l'américaine, pour donner à l'ensemble des citoyens la responsabilité de choisir quel sera son candidat à la présidentielle.
Entre manœuvres partisanes et fuite envers ses responsabilités, la "démocratie rénovée" qu'implique ces primaires a donc un curieux goût.
Ces réflexions m'ont clairement dissuadé de participer à cette consultation.
Les résultats et commentaires de la primaire n'ont fait que confirmer ce mauvais pressentiment.
 
À l'arrivée : une inquiétante parodie d'élection
 
Avec une participation de près de 3 millions "d'électeurs" et la désignation de François Hollande par 56% des voix, les responsables socialistes ont pu souligner "le formidable élan" suscité par cette primaire.
Le PS, que l'on a vu à la peine lors de l'affaire DSK, a regagné en légitimité, tout comme François Hollande, candidat incontestable.
On peut souligner en passant que les résultats de ce scrutin ressemblent plus aux consultations internes qu'à une élection "classique" :
Ségolène Royal, qui a été désignée dès le premier tour en 2006, et a fait jeu égal avec Martine Aubry en 2008, peine à rassembler 7% des voix en 2011. C'est à peine mieux que Manuel Valls et son discours totalement décalé, qui rappelle plus celui de François Bayrou.
 
Voilà une volatilité qu'on ne retrouve guère dans une élection nationale où les grands équilibres évoluent lentement (à l'exception toutefois des élections européennes qui combinent forte abstention et résultats souvent surprenants).
Si Dominique Strauss Kahn n'avait pas été empêché, quelle aurait été l'ampleur de son triomphe ?
Quelles sont les différences entre le Dominique Strauss Kahn de 2006 et celui d'avril 2011 ?
Quelles sont les différences entre la Ségolène Royal de 2006 et celle de 2011 ?
Aucune. Cherchez l'erreur.
 
L'essentiel toutefois réside dans la confusion générée par ce scrutin baroque.
 
Lors de cette campagne, l'observateur non averti pouvait ainsi penser que le vainqueur serait élu président de la République par anticipation, ce que les intéressés, soucieux d'adopter une posture présidentielle, accentuaient : "Quand je serai Président…" fut leur accroche favorite.
Impression plus marquée, au soir des 9 et 16 octobre 2011, avec une couverture médiatique digne d'un scrutin "classique", qui a largement dépassé celle des élection sénatoriales. Et la mise à disposition de moyens publics dans nombre de communes (urnes, isoloirs, listes électorales).
Autre exemple : lors de son interview au Grand Jury RTL du 23 octobre, Ségolène Royal qui déclare que "François Hollande a été choisi par les Français" [3].
Il s'agit en fait non de l'ensemble des Français mais d'une fraction (minoritaire) de ceux-ci.
 
Lapsus révélateur : cet OVNI politique est assimilé à une élection représentative au suffrage universel, puisque les primaires, organisées au nom de toute la gauche, pour le bénéfice du parti socialiste, étaient ouvertes à l'ensemble du corps électoral. CQFD.
Vous suivez toujours ?
 
Un collègue ayant participé aux primaires m'a soufflé un parallèle intéressant : celui des votes de salariés lors des grèves. Ce n'est guère rassurant : les assemblées générales étudiantes, verrouillées par une centaine de militants pour plusieurs milliers d'étudiants, heureux de ne pas aller en cours ou isolés dans leur réprobation, ne constituent pas un modèle de démocratie.
 
Par les moyens publics mis à sa disposition, par l'écho médiatique considérable qui lui a été accordé, par ses modalités mêmes (aucune démarche n'étant nécessaire pour y participer, ni cotisation ni inscription particulière), par l'interprétation qui en est souvent faite ("les Français ont désigné François Hollande"), cette consultation a tous les attributs d'une élection officielle.
Elle n'en fut qu'une caricature et une parodie.
Comment ne pas craindre qu'à trop banaliser la démarche démocratique, le sens de l'élection et du vote se dilue, pour le plus grand profit de politiciens ravis de recevoir l'onction d'un suffrage de moins en moins universel ?
Déjà, le désastreux quinquennat a ruiné la valeur de l'élection législative, devenue une pâle réplique de la présidentielle[4].
Loin de revitaliser une Ve République sclérosée, la "primaire citoyenne du parti socialiste" n'est, finalement, pas si contradictoire avec l'affaiblissement des valeurs démocratiques analysé par Emmanuel Todd dans son ouvrage déjà cité. Mieux, cette procédure peut être vue comme un instrument inquiétant pour accélérer leur décrépitude.
Il ne suffit décidément pas de (mal) imiter les États-Unis pour y remédier.
 

[1] Mais tout cela est une autre question qui pourrait donner lieu à des livres entiers.
[2] Après la démocratie, Gallimard 2008, page 44.
[3] 44e minute.
[4] Depuis 2002, un électeur sur deux ne se déplace d'ailleurs même plus.
 

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