Brouillage politique
par Patrick LOUART
jeudi 15 février 2007
Le marketing politique, fer de lance des campagnes électorales dans toutes les démocraties.
Nicolas Sarkozy en bon jardinier électoral chapeau de paille et tablier vert ratisse large.
Ségolène Royal, panier en osier au bras gère son programme en économie de cueillette politique.
L’intrusion du marketing politique jette la confusion la plus totale dans les idées politiques et chez les électeurs. Et pour cause. Il dénature le débat politique par ses considérations purement rationnelles, basées sur un individu poussant son chariot dans un supermarché déserté par la vraie idéologie politique mais dont les rayons sont emplis de promesses sociales, culturelles, fiscales, économiques... et surtout mercantiles, mais nous y reviendrons plus loin. Le marketing politique a transformé, en quelques décennies, des électeurs responsables (des citoyens donc) possédant une conscience politique, en ce que je nomme des consommélecteurs en recherche d’ingrédients politiques qui leur permettront de fabriquer la recette personnelle, c’est-à-dire celle qui les satisfera le plus ; et c’est là que le bât blesse !
Premier point : au fil des ans, les partis politiques - les offreurs - se sont transformés en grands distributeurs. Comme leurs homologues distributeurs qui font du « fun shopping » pour déculpabiliser le consommateur, les partis politiques font, de la starisation politique, un concept idéologique pour grimer la pauvreté des programmes. Ils offrent du plaisir ! Plaire est le seul leitmotiv potentiellement réaliste. Mais tout cela n’a rien de nouveau.
Machiavel au XVIe siècle disait dans Le Prince que « la politique est l’art de séduire les foules ». Séduction et hédonisme par procuration politique se trouvent ainsi élevés au rang d’expression artistique ; depuis Machiavel certes, mais surtout depuis que les idéologues du « tout marché » (eux seuls à présent peuvent se targuer de ce terme) s’en sont accaparé pour en faire un outil de manipulation des foules, car c’est bel et bien le seul moyen d’infléchir la tendance en démocratie. Tout est plaisir, tout est séduction dans le grand hypermarché des promesses. Ici, au royaume des sondages, tout est gratuit, féerique, vous payerez à la fin et en prime vous aurez des bonimenteurs patentés.
Second point : la demande. Elle est atomisée, déstructurée, égarée, perdue. Et c’est bien naturel, car, en réalité, l’offre de chaque leader ressemble plus à celle des Galeries Lafayette dont nous connaissons tous le slogan. Si l’électeur ressemble à un humain, il n’en possède pourtant pas toutes les caractéristiques. Il apparaît sous le microscope marketing servant à disséquer les comportements, comme une amibe, ce protozoaire unicellulaire, aveugle, sourd, muet et engraissée aux jeux télévisés. La finalité recherchée reste l’adhésion à un nouveau programme, par contestation avec le précédent. Elle déclenche une catharsis subliminale qui accouche d’un consommélecteur affairiste, mercantile, dont la quête d’espoirs est multiple, diverse, non aboutie et par définition, jamais assouvie. Le demandeur n’est qu’un tube héliotrope soumis à l’attraction de l’image la plus brillante, tube où se déverse sans cesse la diarrhée verbale des rhéteurs de tous bords. Ces deux items construisent le marché.
Le jeu politique, tout comme en économie, est bien la rencontre entre l’offre et la demande, et il s’agit bien là d’un marché au sens où nous le concevons tous.
Mais revenons à l’offre. Elle se veut intrinsèquement oligopolistique. Peu d’offreurs sur un marché concourent à canaliser la volatilité d’un électorat plus perdu que désabusé. Pour cause, rien ne permet aujourd’hui de comprendre de manière simple et logique dans quel bord se rangent les leaders politiques. Comme évoqué en début, le râteau large et la cueillette nomade restent les outils privilégiés des conseils en marketing politique. Ils brouillent le jeu politique en détruisant le caractère clair et la lisibilité des idéologies.
Cela provoque chez les demandeurs des conséquences inattendues. La sociologie du demandeur des années 1950 et 1960 s’est transformée en un comportement de gallinacé. Tout comme la poule, le demandeur politique marche sans but avec un regard rasant dans une zone tantôt sale, la basse cour et tantôt agréable le champ. Sa démarche forcément saccadée contrainte par les inclinaisons de la tête à gauche puis à droite lui permet de trouver sa pitance de manière isolée dans le contenu des discours qui vantent les mérites des produits politiques les plus attrayants. C’est la sociologie du picoreur qui va alimenter ses phantasmes et répondre à ses aspirations personnelles. Car la politique aujourd’hui n’est plus seulement l’art de séduire les foules mais seulement la technique permettant de s’adresser à chaque électeur.
Lorsque Nicolas Sarkozy répond : « Je suis d’accord, je suis comme vous », comment ne peut-on pas voter pour soi-même en votant pour lui, disait un chroniqueur de France Inter.
L’individualisme est rentré en politique car le discours dénué d’idéologie est devenu un produit de consommation banalisé.
Derrière le verbe policé, c’est de la transformation de l’électeur en consommateur qu’il faut parler. Les idées sont jetables et éphémères, reconductibles pour les meilleures et substituables pour les pires, tout cela étant du jargon marketing.
Patrick Louart