Ces rues si mal nommées
par olivier cabanel
mardi 5 septembre 2017
Dans notre beau pays « démocratique », on est évidemment solidaire de ces citoyens américains qui luttent contre la promotion de l’esclavage, et qui, depuis le drame de Charlottesville, ont décidé de déboulonner les statues du général Lee, esclavagiste notoire... mais ne devrions-nous pas d’abord balayer devant nos portes ?
Aux USA, Trump, jamais à l’abri d’une outrance, a décidé de défendre le général Robert E. Lee, et a, dans un premier temps, renvoyé dos à dos, pro-esclavagistes, et manifestants antiracistes.
Puis, il s’est ravisé... qu’importe. lien
Les bouffonneries trumpiennes ne sont pas une nouveauté...et finissent par lasser.
Intéressons plutôt à la France.
Tout aurait commencé sous le règne de Louis XIII, suite à un édit autorisant la traite négrière, relayé plus tard par Richelieu, puis par Colbert lequel édita un « code noir » qui en 60 articles donnait un cadre légal à la pratique de l’esclavage. lien
A ce stade de notre réflexion, il faut rappeler les souffrances auxquelles étaient soumis les esclaves tentés par la rébellion.
Des sévices corporels allant jusqu’à l’assassinat pur et simple : les esclaves étaient marqué au fer rouge avec les initiales du propriétaire...
Au-delà des brimades quotidiennes à coups de poings ou de pieds, c’est le fouet qui était la plupart du temps utilisé, au point que les traces laissées par celui-ci restaient visibles à vie.
Ceux qui tentaient de s’enfuir étaient rattrapés par les chiens dressés spécialement pour ça.
C’est Louis-Georges Tin qui attirait notre attention, le 2 septembre, sur l’antenne de France Culture, sur notre univers national si contradictoire, au sujet de la promotion de l’esclavage, dont nous n’avons pas réalisé toute la réalité encore aujourd’hui. lien
Tin est président du conseil représentatif du CRAN (conseil représentatif des associations noires de France), et fondateur de la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie.
En 2009, une association, DiversCitées avait lancé une campagne afin de débaptiser les rues des villes qui avaient pratiqué l’esclavagisme au 18ème siècle.
Bordeaux, Nantes, Le Havre, La Rochelle étaient pointées du doigt.
Bordeaux emporte la mise, avec 26 rues, ou places portant les noms de ces personnes qui se sont enrichis grâce au commerce d’esclaves.
Baour, Balguerie, Portal, Saige, David Gradis, Gramont, Lainé, Colbert, La Béchade, Behman, Thérésia Cabarrus, Desse, Mareilhac, Journu-Auber, Sarget, Fégern Ravezies, Daniel Guestier, John Lewis Brown, Emile Pareire, De Kater, Jhonston, Fonfrède, Bonnafé, sont les noms de ces tristes personnages qui s’occupaient de traite négrière.
Nantes vient derrière, avec 11 sites.
Ils avaient pour nom Grou, Leroy, Baudoin, Bernier, Colbert, Berthelot, Bourgaud-Ducoudray, Guillon, Fosse, Terrien, Millet.
Suit le Havre, avec 6 sites, La Rochelle fermant la marche avec 5.
Il faudrait ajouter à la liste de ces ports qui ont pratiqué les expéditions négrières les villes de St Malo, Lorient, Honfleur, Marseille, Dunkerque, mais aussi Rochefort, Bayonne, Vannes, Brest, Morlaix, et Dieppe, soit au total l’organisation d’au moins 4220 expéditions négrières, et c’est à Nantes que revient le record d’expéditions avec 1714 expéditions.
Les navires nantais auront transporté en un peu plus d’un siècle plus de 550 000 captifs noirs vers les colonies, avec comme argument : « les colonies sont indispensables à la richesse nationale, les Noirs sont indispensables à leur mise en valeur, la traite est indispensable à son renouvellement ». lien
Voilà qui a le mérite de la clarté.
Mais l’un des négriers les plus célèbres reste l’un des personnages les plus adulés des français.
En effet, il ne faudrait pas oublier l’empereur Napoléon, qui a remis, le 20 mai 1802, l’esclavage au gout du jour, cet esclavage qu’avaient aboli 8 ans plutôt les révolutionnaires de 1789. lien
Devant l’impopularité de la mesure, Napoléon aurait prétendu que c’est sous la pression de sa première épouse, Joséphine, qu’il avait pris cette décision...ce serait oublier le racisme qui animait, à la connaissance de tous, l’empereur des français...d’autant que Joséphine n’était manifestement pas raciste : elle eut une fille née d’une union avec un noir martiniquais, et elle signa 7 affranchissements d’esclaves. lien
Mais revenons aux démarches menées par DiversCitées.
A l’époque, seule la mairie de Bordeaux avait répondu déclarant : « la municipalité devrait mettre en place une commission sur le nom des rues afin que ce sujet soit étudié dans la sérénité »...
Du conditionnel donc...
Il a fallu attendre 7 longues années « de sérénité » pour voir nommée enfin une nouvelle commission, en 2016 donc, afin de « réfléchir à améliorer les moyens et les outils autour de la visibilité et la pédagogie de ce pan de l’histoire locale ».
Un sociologue, Yoann Lopez, coordinateur de cette commission en a présenté récemment les résultats, dont il ressort en tout cas qu’il est hors de question de débaptiser ces rues, affirmant qu’un consensus s’est dégagé dans ce sens.
Mais pour répondre aux souhaits des associations qui réclamaient cette mesure, la commission propose que des panneaux supplémentaires « viendraient expliquer l’histoires de ces esclavagistes »....
Les associations devront donc se contenter du buste érigé à la mémoire de Toussaint-Louverture en 2005... De la pose d’une plaque commémorative en 2006, et de l’ouverture de salles permanentes dédiées à l’esclavage et à la traite au Musée d’Aquitaine en 2009.
Bordeaux est l’un des principaux ports où s’est pratiqué l’esclavagisme, au point que des visites guidées sur la route de l’esclavage sont organisées 2 fois par an, un certain Karfa Diallo étant désigné comme le « guide officiel du Bordeaux nègre ». lien
Il faut ajouter que cette ville est à l’origine de 508 expéditions, et a organisé la déportation de plus de 130 000 esclaves noirs. lien
Alors bien sûr, depuis 2006, la France commémore officiellement le 10 mai comme « journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition »...lien
Une commémoration très discrète...
Est-ce suffisant au moment où la justice de notre pays préfère punir les citoyens qui aident les réfugiés ?
En effet, l’agriculteur Cédric Herrou a été condamné le 2 aout à 4 mois de prison (avec sursis) pour aide à l’immigration clandestine, alors que le gouvernement précédent avait annoncé en 2012 la fin du « délit de solidarité ». lien
On essaye de comprendre, car comme dit mon vieil ami africain : « là où on s’aime, il ne fait jamais nuit ».
L’image illustrant l’article vient de http://www.pieuvre.ca
Merci aux internautes pour leur aide précieuse.
Olivier Cabanel
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