Débat : 11 janvier et après ? Quelles réponses éducatives et pédagogiques ?
par Orélien Péréol
lundi 20 juillet 2015
Le 17 juillet 2015. Au village du off. Avec Virginie Larousse (rédactrice en chef du Monde des religions, Ghaleb Bencheikh (philosophe, France 2) Pierre Conesa historien, Marc Cheb Sun (revue D'ailleurs et d'ici) Selim Allili (président) Alain Assouline directeur de l'institut Edgar Quinet, François Adibi (président d'Altaïr)
Pour Pierre Conesa, le problème est le salafisme. La radicalisation salafiste a ceci d'original qu'elle donne une légitimation religieuse à la violence. Les principaux éléments du processus sectaire y sont : séduction, isolement, défense de la cause. Il n'y a pas que cela. Le salafisme porte une vocation politico-religieuse : la transformation de la société. Il proclame que la République n'aime pas l'Islam... trouve toujours des objets de discorde. Il proclame que les musulmans sont victimes partout sur la planète... C'est un problème mondial. La question de la politique diplomatique, de la politique extérieure de la France devrait être posée. Quatre États financent DAESH, dont l'Arabie Saoudite et le Qatar (schizophrénie des politiques).
Virginie Larousse : la religion, qu'on pensait voir disparaître, réapparaît fortement : Spiritualité (ne fait pas problème), mais aussi identitaire communautarisme, et parfois de forme violente. Les systèmes totalitaires qui ont voulu éradiquer le religieux n'y sont pas parvenus. Tous les hommes se posent des questions d'ordre spirituel. Vouloir confiner la religion dans la sphère privée n'est pas possible et on a un effet boomerang. Pendant le même temps, des mosquées financées par le Qatar promeuvent une vision du monde incompatibles avec nos valeurs. On a du mal à comprendre pourquoi les enseignants sont réticents à enseigner le fait religieux. L'école devrait apprendre aux enfants comment vivre ensemble, enseigner la règle d'or : traite autrui comme tu aimerais être traité. Par des jeux de rôles... montrer les différences et les unités... Nous assistons à un délitement du lien social (responsabilité aux médias et aux intellectuels). Dans les prisons la radicalisation se fait à vue et les gardiens n'arrivent pas à l'enrayer… Tout ça est le terreau du djihadisme.
Le présentateur : Il y a de grandes options géopolitiques qui ont contribué à amener la situation dans laquelle nous sommes. En substance, le wahhabisme, qui est la matrice du fondamentalisme islamique a été instrumentalisé pour casser dans les pays musulmans, tout mouvement vers la démocratie. Depuis peu, de grands États-nations Syrie, Libye ont été mis à terre. Est-ce encore une forme de colonialisme ?
Marc Cheb Sun : La revue D'ailleurs et d'ici... paraît une fois par an. C'est un travail largement interactif et participatif, pour faire surgir les sujets les plus intéressants à traiter sur une France plurielle. Assumer son passé, valoriser son présent et construire un avenir... Le prochain numéro des milliers de rencontres lycéennes et collégiennes ont débattu intensément de « leurs histoires de France ». Il y a un retour au religieux identitaire dans toutes les religions. La spécificité des musulman est qu'être musulman est une colonne vertébrale, ça les maintient, les structure... c'est la revanche d'une exclusion. Ils descendent de la France coloniale... D'autre part, une génération est liée à l'immense choc du 11 septembre. Difficile de grandir et se construire avec tous dans ces conditions là … les jeunes musulmans disent : la rupture est consommée, ce pays ne veut pas de nous.
Il faut l'entendre et ne pas réclamer de l'unanimisme. Il est temps de passer à l'écoute, qui est la base de la communication... ces jeunes sont tentés par des conservatismes... d'autres puisent dans cette identité musulmane un moteur d'entrepreneuriat, de citoyenneté... avec une grande créativité. Ce phénomène n'est pas seulement territorial, ni lié à une minorité... il n faut pas rester sans mots...
En démocratie, la question des minorités est une question centrale.
Quant à l'enseignement du fait religieux : il y a une tendance à considérer que c'est bon pour les quartiers populaires, c'est bon pour les musulmans... on reproduit ainsi de l'exclusion. Une partie de la société n'a pas su voir l'évolution de ce groupe.
Selim Allili : Les politiques n'appliquent pas les programmes pour lesquels ils ont été élus. Ils n'ont plus les réponses. Ils doivent devenir des facilitateurs, faire confiance aux citoyens, aux associations...
Nathalie Kosciusko-Morizet : Le djihadisme n'est pas que l'aboutissement du religieux. La comparaison avec les anarchistes russes ou action directe n'apporte pas beaucoup d’éclaircissement. Le djihadisme contient 30% de convertis qui n'ont qu'une idée approximative de la religion.
Il faudrait réenchanter les idéaux républicains. A l'hémicycle, tous pensent que nous vivons une guerre des civilisations. La place des femmes est un critère de la valeur d'une civilisation (elle a pas dit valeur). Ces jeunes rejette une société sans sens et qui ne s'affirme pas.
Certes, il y a des pays sources de déséquilibre. La Libye est un pays de tribus... mais serrer la main de son dictateur qui lui donnait la stabilité n'allait pas de soi, non plus.
Le 11 janvier, le pays était fier ne pas se laisser abattre.
Alain Assouline : Spinoza, exclu de sa communauté juive, parce qu'il faisait appel à la raison écrit : « La raison ne peut rien contre les passions. Il faut faire de la raison une passion. » L'art remet de la passion dans la raison. On a perdu la capacité de discuter avec les religions.
On a discuté avec des communautés, on les a admis et on a fait de l'enfermement ainsi...
On oublie le problème de l'emploi. La réappropriation du travail par les jeunes change rapidement leur rapport au monde ! (Il a fondé une école).
Rost : il est touché très personnellement par la tuerie de l'Hyper Cacher. Artiste, il fait de la déradicalisation dans les prisons.
La Libye est fondamentale dans la radicalisation. La Libye était le pays le plus égalitaire d'Afrique : instruction pour tous, tout le monde mange. Alors qu'il faudrait solder l'histoire coloniale, cesser ce paternalisme envers les minorités, il y a une sorte de recolonisation de l'Afrique. Il n'est pas très optimiste sur la suite... Sans mesures fortes (il ne dit pas lesquelles), ils vont nous exploser dans la tronche.les valeurs de la République n'ont pas été affirmées... pendant cinq ans un gouvernement a pointé du doigt les musulmans et les arabes... Il faudrait parvenir à se parler avec la plus grande des franchises.
Pierre Conesa : Notre posture a consisté à se flageller. Si on veut réenchanter notre monde,, il faudrait être positifs. La France a la plus grosse communauté chinoise, arméniennes...etc. La victimisation nourrit le discours salafiste.
Tant qu'une identité n'est pas reconnue, elle reste un combat.
Dans le débat avec le public, il y a des récits d'expériences heureuses et d'autres malheureuses.
Un homme s'affirme responsable culturel au Blanc-Mesnil, musulman et développe que le monde ne se limite pas à ce monde présent. Que la République manque de sacré. Les lieux liés à la culture sont désertés et les mosquées pleines... il faut resacraliser nos sociétés en créant un lien entre avant aujourd'hui et demain...
Pierre Conesa lui répond qu'il ne faudrait pas passer de l'amour sacré de la patrie à l'amour sacré de la religion. Le fondamentalisme répond à tout (il a même traité la question : « la fellation est-elle hallal ? ») Les féministes feraient bien de se demander comment et pourquoi des femmes sont séduites par ça... Il faudrait effectivement aussi que l'occident cesse de se sentir le maître du monde. Tout le monde ne peut avoir la liberté comme idéal, ne serait-ce que parce que la liberté est angoissante...
Revient l'idée du service militaire, creuset de la Nation et qu'il faudrait rétablir de façon obligatoire. (! ?)
Un tour d'horizon de nombreuses facettes du problème.