Démocratie antique et démocratie moderne
par DIKTACRATIE
mercredi 5 septembre 2012
Dans son ouvrage Démocratie antique et démocratie moderne, Moses I. Finley nous rappelle les ressorts de toute véritable démocratie, c'est à dire sous sa forme directe comme elle l'a été durant 200 ans à Athènes, au siècle de Périclès et de Démosthène. Ce gouvernement par le peuple se fondait sur un enracinement social, d'abord animé par la discussion collective, puis renouvelé en permanence par ses modes de sélection impartiaux.
J'exagère à peine, mais aujourd'hui, si l'on veut changer les choses hors élections, il ne reste que le coup d'Etat ou l'assassinat ! Même l'ambition contestataire d'une grève n'amorce plus aucun changement.
La liberté citoyenne à Athènes consistait en la simple participation au processus de prise de décisions afin d'élaborer les lois gouvernant ses habitants. Ainsi le pouvoir majeur des citoyens était celui de la persuasion par le dialogue, autrement dit le débat démocratique. Le but de cette parole libre était de conduire à l'action. Une action qui engendrerait nécessairement un changement !
Mais réfléchissons désormais sur quelques objections fréquentes quant à la vision parfois idéale que nous présentons de cette démocratie athénienne.
Si le démos désignait à la fois l'ensemble des citoyens et les plus modestes d'entre eux - souvent illétrés -, il est légitime de se demander comment le niveau d'instruction de base de chaque citoyen était suffisant pour pourvoir aux problèmes complexes de la politique. D'ailleurs dans l'antiquité, tous les intellectuels, et en particulier les philosophes, ont toujours désapprouvé le gouvernement populaire. Mais leur réprobation, confondant savoir technique et compréhension des problèmes politiques, n'altéra que tardivement la bonne marche du pouvoir populaire.
Il faut rappeler que le monde grec fut avant tout un monde de la parole et non de l'écriture.
On comprend mieux comment la liberté d'expression était l'un des nerfs principaux de la démocratie. Les traités et autres libellés ne s'adressaient d'ailleurs qu'à une élite franchement hostile au bon fonctionnement de la société elle-même en action. Des experts pouvaient conseiller l'Assemblée citoyenne, mais les prises de décisions se constituaient après délibération, d'où l'intérêt de débats permanents et libres... sans intemédiaires !
Autre différence majeur avec aujourd'hui : il n'y a avait pas de mass-média pouvant influencer une opinion en fonction de l'intérêt de leurs commanditaires.
Là aussi, on comprend mieux pourquoi à partir de la mise en place du gouvernement représentatif par l'initiative particulière de Sieyès, en pleine Révolution Française , la presse se développa pour mieux informer le peuple alors trop occupé à travailler et pas suffisament instruit pour participer directement aux affaires publiques. On comprend surtout pourquoi aujourd'hui, nos médias ne sont que propagandes et parasites entretenant notre passivité. Ainsi, plus ils se développèrent, plus on nia le but éducatif de la pratique démocratique.
Malgré les défauts du système social et des idées morales de l'antiquité, la pratique des dicastéria (jurys) et de l'Ecclésia (assemblée) élevait le niveau intellectuel d'un simple citoyen d'Athènes bien au dessus de ce qu'on a jamais atteint dans aucune autre agglomération d'hommes, antique ou moderne... Il est appelé dans ce type d'engagements, à peser des intérêts qui ne sont pas les siens, à consulter en face de prétentions contradictoires une autre règle que ses penchants particuliers, à mettre incessamment en pratique des principes et des maximes dont la raison d'être est le bien public."
A Athènes, du fait qu'ils étaient tous concernés par la vie de leur cité, boutiquiers, paysans, artisans, fantassins, rameurs, etc... aux cotés de classes plus instruites, s'investissaient ensemble pour y résoudre les problèmes. Une conscience politique collective alimentée hors des assemblées par des discussions en boutique, en taverne, en diners, en place de marché...
Rien ne pouvait être plus éloigné de la situation actuelle, où le "citoyen" isolé de loin en loin, en même temps que des millions d'autres, et non pas quelques milliers de voisins, pose l'acte impersonnel de choisir un bulletin de vote."
Aujourd'hui l'électeur isolé souille son temps vacant dans la consommation et le divertissement, persuadé que sa liberté est à ce prix là. L'important c'est de jouir... même de sa servitude ! Nos médias et pouvoirs actuels sont d'ailleurs omniprésents pour le lui rappeler : un temps pour le travail, un autre pour le loisir et le confort. Ce qui est notablement différent des 40 000 citoyens athéniens qui jouissaient du travail de leurs 200 000 esclaves, leur permettant ainsi de se consacrer pleinement à l'organisation de leur cité... Mais à y réfléchir sérieusement, c'est un faux procès. C'en est même devenu un prétexte pour ne plus s'investir démocratiquement parlant... Car finalement les progrès techniques de nos sociétés industrialisées n'ont-ils pas relayé la production de cette main d'oeuvre asservie ? Une moissonneuse-batteuse, un monte-charge, un camion, une machine à laver ou un ordinateur... ça remplace combien d'hommes ?
C'est dans l'intérêt de nos maîtres-penseurs de nous convaincre qu'aujourd'hui il est impossible de participer au pouvoir autrement qu'en mettant le bulletin dans l'urne.
L'élite, qu'elle soit intellectuelle, politique, religieuse, économique ou médiatique, n'a jamais cessé de dévaloriser la réelle démocratie pour promouvoir un pouvoir aristocratique plus à même de l'honorer. Ce pouvoir qui, chez les grecs, se croyait légitime de par sa richesse, n'avait pourtant aucune influence dans le gouvernement du fait d'être minoritaire. D'ailleurs maintenant vous comprenez mieux pourquoi nous ne sommes absolument pas en démocratie, car si tel était le cas, la majorité du peuple, même pauvre, ne pourrait être dépossédé de son pouvoir le plus légitime : le droit de disposer de lui même.