Des poilus sans plaque ou comment voler leur identité
par Jarry
jeudi 15 novembre 2007
En ce jour de mémoire, c’est avec un profond écoeurement que j’écris ces quelques lignes, écoeurement non pas dû à l’immense boucherie que fut cette guerre, je n’en suis pas responsable et ne peux rien faire, mais bien à cause de ces pilleurs qui se nomment eux-mêmes des fouilleurs et qui vandalisent les champs de bataille à la recherche du moindre bouton, de la moindre partie de l’équipement de ces poilus.
Des tas d’ossements sont retrouvés fréquemment en vrac sur le bord des routes et chemins des zones de combat, pas seulement à Verdun mais partout où des combats ont eu lieu. Ces squelettes ne sont plus identifiables sans les éléments indispensables que sont les plaques d’identification, les insignes du régiment, de la section, etc., et c’est ce qui est précisément recherché à l’aide de détecteurs de métaux par ces pilleurs.
Le pire, c’est que la plaque d’identité que chaque soldat portait autour du cou est un des éléments les plus prisés par ces sauvages ! Mais que font ces pilleurs avec leurs trouvailles ? Ils les vendent sur des sites aux enchères ou sur les stands de brocantes : un casque troué par une balle a plus de valeur qu’un casque intact (comble de l’ignominie, où la passion du morbide prévaut la décence du respect des morts). Certains se disent passionnés et les conservent sur leur cheminée ou dans leur bureau : mais comment peut-on être passionné quand on viole une sépulture, quand on spolie le droit de tout un chacun de savoir où se trouvent les restes de ses ancêtres ?
Ils collectionnent les artéfacts des conflits mondiaux au mépris de leur sécurité mais aussi de celle de nombreuses personnes, comme ce retraité d’Oppy (algerie-dz.com, lefigaro.fr/) qui avait stocké chez lui plusieurs tonnes d’obus non explosés ou ce militaire qui disparut avec l’explosion de son petit musée ; tous les ans des pilleurs sautent sur les obus qu’ils trouvent, mais ils ne partent pas seuls, leurs enfants aussi ; les démineurs aussi risquent leur vie à cause de ces inconscients sans compter les voisins de ces collectionneurs qui n’ont rien demander à personne. Imaginez un instant qu’un obus éclate avec son contenu d’ypérite plus couramment nommé gaz moutarde... des centaines de morts assurés uniquement à cause de la passion idiote de certains.
Qui sont ces pilleurs ? Les détectoristes (je préfère détérioristes), car c’est comme cela qu’il faut nommer les utilisateurs de détecteurs de métaux, sont nombreux, très nombreux, surtout trop nombreux ! Le rapport du Conseil de la concurrence de 1997 (cf. le lien) estime leur nombre à 70 000, or depuis cette date et l’ouverture de nombreux marchés, l’explosion des importations chinoises et polonaises, le prix de ces machines a considérablement baissé, certaines se vendent moins de 100 euros ! Certaines associations (car ceux-ci ont le culot de se regrouper en associations) prétendent même être 300 000 en France. Ce sont des retraités, des cadres, des fonctionnaires, des adolescents, des pères de famille... bref toutes les catégories socio-professionnelles sont représentées, et tous pillent sans vergogne.
Que dit la loi exactement là-dessus ? Le code du patrimoine adopté en 2004 reprend la loi de 1989 qui stipule : « Art. 1er - Nul ne peut utiliser du matériel permettant la détection d’objets métalliques, à l’effet de recherches de monuments et d’objets pouvant intéresser la préhistoire, l’histoire, l’art ou l’archéologie, sans avoir, au préalable, obtenu une autorisation administrative délivrée en fonction de la qualification du demandeur ainsi que de la nature et des modalités de la recherche. »
Soit, pour être plus clair, qu’il est donc interdit de rechercher des objets historiques avec un détecteur de métaux sans autorisation préfectorale. Simple, net et précis.
Que risquent ces pilleurs alors ? Pour cette infraction, une amende de 7 500 euros ainsi que 3 500 euros par objet non déclaré, la confiscation du détecteur mais aussi du véhicule ; pour la mise en danger de la vie d’autrui et détention illégale d’explosifs un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende, mais le tout peut être porté à 10 ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende lorsque ce délit est commis en bande organisée (soit à plusieurs détectoristes qui se documentent pour mieux piller).
Le problème principal c’est que peu sont réellement poursuivis, alors que pouvons-nous faire, nous, citoyens ? Une association de lutte contre le pillage vient de se créer afin de combattre efficacement ce problème : http://www.halte-au-pillage.org/. Il faut nous mobiliser pour faire pression sur nos élus pour qu’ils fassent enfin appliquer les réglementations en la matière, que ces pilleurs soient sévèrement condamnés et qu’enfin ces martyrs puissent reposer en paix en retrouvant leur identité ; ils l’ont bien mérité et leurs familles (nous, vous, tout le monde) aussi.
Biblio en ligne :
Site http://www.halte-au-pillage.org/
Illustration :
Légende : image illustrant le pillage à l’aide de détecteur de métaux dans une zone de conflit de la Seconde Guerre mondiale.