Détention provisoire : vers un Outreau 2 ?

par clemjuris
vendredi 6 décembre 2013

Notre garde des sceaux ne sait plus où donner de la tête pour réduire le nombre de personnes présentes derrière les barreaux. Qui libérer : les mineurs, les courtes peines, les récidivistes ? En réalité, il y a beaucoup plus urgent. 

Je vous présente la détention provisoire : un système magique qui condamne les innocents, libère les coupables et nous coûtes très cher.

I RETOUR VERS LE PASSE

Rappelez-vous ce qui s'est passé entre 2001 et 2005. Plusieurs personnes accusées à tort de meurtre et de pédophilie passent plus de 4 ans derrière les barreaux. Leur histoire finit sur un non-lieu et les protestations hypocrites pleuvent. Tous les politiques s'acharnent sur le juge d'instruction, symbole du maintien de l'arbitraire d'une justice toute puissante. 

Aujourd'hui pourrait-on craindre que cela se reproduise ?

II LA THEORIE ACTUELLE

La détention provisoire peut etre requise envers toute personne mise en examen, c'est à dire une personne accusée directement du délit ou crime dont fait l'objet une instruction. Elle ne peut être requise envers le témoin assisté, qui n'est accusé que de faits secondaires ou contre lequel les indices ne sont pas graves ou concordants.

Selon l'article 144 du Code de procédure pénale, la détention provisoire est une mesure de sureté qui ne peut etre appliquée que sur un mis en examen pour une infraction punie d'au moins 3 ans d'emprisonnement et doit etre nécessaire au vu de la recherche de la vérité ou de la protection du mis en examen (ce deuxième cas étant rarissime). Selon l'article 144-1 du meme code, elle ne peut dépasser un délai raisonnable

Mais, nous le verrons, il y a un gouffre entre cette théorie et la pratique.

III LA REALITE

le respect principe du contradictoire

Innovation postérieure à Outreau, le placement en détention provisoire et sa prolongation ne peuvent être décidés qu'après un débat contradictoire avec le mis en examen.

la durée des détentions

Elles sont de un an pour les mis en examen accusés de crime. Pour l'instant c'est assez court mais il faut préciser qu'elles sont polongeables par périodes de 6 mois pendant une durée qui peut atteindre 4 ans (dans des cas limitativement énumérés mais qui recoupe la plupart des situaions criminelles). Même après ces 4 ans , un nouveau délai de 4 mois peut être accordé. 

Elles sont généralement de 8 mois pour les mis en examen accusés de délits, prolongeables par périodes de 4 mois durant 2 ans. Un délit puni de moins de trois ans d'emprisonnement ne peut donner lieu à un placement en détention provisoire. Les délits recoupent des infractions punis d'une peine maximale d'emprisonnement pouvant atteidre jusqu'à dix ans. 

Il y a aussi des cas particuliers pour certains crimes ou délits mais je préfère me limiter aux deux cas les pus fréquents pour évite d'entrer dans des détails techniques pas forcément très passionnants.

Au total, une personne toujours présumée innnocente peut parfaitement passer plus de 4 ans en prison lorsqu'elle est accusé d'un crime et jusqu'a 2 ans lorsqu'elle est juste accusée d'un délit. Ces délais étaient déjà les mêmes lors de l'affaire d'Outreau. 

des ajouts procéduraux inutiles

En théorie la décision de placer une personne en détention provisoire ou de prolonger une détention est soumise au controle du juge des liberté et des détentions, juge créé en 2007. En pratique, ce controle ne sert qu'a remplir de la paperasse, et faire perdre du temps à la justice ce qui la rend moins efficace. Comment le juge des libertés et des détentions pourrait-il s'opposer à cette décision alors qu'il est moins bien placé que le juge d'instruction pour apprécier l'utilité de la mesure ? En effet, le juge d'instruction mène l'instrction et à ce titre, il rencontre toutes les personnes concernées : plaignants, accusés, témoins. Un droit et un devoir que le juge des libetrtés n'a pas.

La possibilité de demander au juge des libertés et des détentions une remise en liberté à tout moment et sans aucune limite est parfaitement risible. Comment imaginer que le juge va accepter et désavouer ainsi sa précédente décision qui a mis en place cette mesure ? Car la demande de remise en liberté se fait devant le meme juge des libertés que celui qui a décidé du placement en détention provioire. Pourtant, bien que quasiment jamais acceptées, ces demandes sont très souvent formulées. Elles représentent ainsi une perte de temps pour le juge et une perte d'argent pur l'Etat parfaitement inutile.

Enfin la possibilité de faire appel ne sert pratiquement à rien puisque, là encore, la chambre d'instruction de la Cour d'appel est moins bien placée que le juge d'instruction pour apprécier l'utilité d'une détention provisoire. L'appel ne donne donc que très rarement lieu à annulation mais il est très souvent formé entrainant tous les maux que nous venons de voir.

une peine encore pire que l'emprisonnement

En, théorie, une personne en détention provisoire est enfermé dans les mêmes conditions qu'un condamné. Il n'en est rien.

D'abord les détenus provisoire ne bénéficient d'aucune mesure de réinsertion. En effet, on ne peut pas réinsérer quelqu'un qui n'a pas encore été condamné.

Ensuite, des études montrent qu'ils subissent généralement plus souvent de violence psychologiques ou physiques. Ils sont d'ailleurs assez nombreux à se suicider (si vous ouvrez les journeaux, vous constaterez que le suicide en prison ne concerne pas les criminels endurcis mais plus souvent les détenus provisoires).

Enfin, lorsqu'ils sont libérés, ils sont traités à égalité avec une personne condamné. Le public se souvient en effet très bien qu'une personne a été accusé ou emprisonné mais pas qu'elle a été innocenté. Il est à ce sujet bien aidé par une presse qui n' jamais appris les leçons d'Outreau et continue à mettre des accusation ou mises en détention en première page et à ne traiter que dans de simples brèves les acquitements.

la conversion : l'hypocrisie suprème 

Au final lorsque le mis en examen est condamné, il peut bénéficier de la conversion de tout ou partie de sa détention provisoire dans sa peine. Il est même fréquent que des condamnés ne soient pas emprisonnés car ils ont fait toute leur peine voire plus en détention provisoire. C'est là toute l'hypocrisie du système qui transforme comme par magie une mesure de sureté s'appliquant sur une personne qui n'est pas encore condamné en une peine appliquée avant qu'il y ait eu une condamnation. Une performance qui rendrait jaloux Houdini !

Mais pour l'innocenté qu'y a-t-il de prévu ? Absolument rien. En effet, il n'a pas subi de peine donc elle ne peut pas recevoir d'indemnisation en réparation d'une condamnation due à une erreur judiciaire . 

En résumé, la détention provisoire permet de traumatiser les innocents et de libérer les coupables.

III BILAN : UNE SITUATION CATASTROPHIQUE

Aujourd' hui la situation est pire qu'à l'époque d'Outreau.

Certes, certaines mesures améliorent les droits de la défense mais la durée maximale des détentions n'a pas bougé d'un iota. Or comment peut-on soutenir qu'il peut etre utile pour la recherche de la vérité de garder une personne enfermé quand son maintien derrière les barreaux n'a pas permis la moindre avancée dans l'enquète pendant un, deux, trois, voire quatre ans ?

Le juge des libertés et des détentions ne permet, dans ce contexte, que de gaspiller l'argent du contribuable.

L'accroissement des mesures de réinsertion a provoqué un décalage entre le traitement magnanime des condamnés et la sévérité avec laquelle sont traités des "présumés innocents". 

La conversion permet à certains condamnés qui ont subi la détention provisoire d'etre aussi bien voire meiux traités que ceux qui ont été innocentés après avoir subi cette mesure.

De plus, la Cour européenne des Droits de l'homme condamne fréquemment la France à des amendes pour ses détentions provisoires trop longues. Une nouvelle perte d'argent dont on pourrait se passer. On peut ajouter à ces peines de la Cour européennes des droits de l'homme celles que nous subissons à cause de notre surpopulation carcérale, qui sont indirectement liées à ce problème. 

Enfin, il y a des miliers de condamnés français qui ne peuvent pas exécuter leur peine, faute de place. Lorsqu'il n'y a plus de place pour les coupables dans les prisons parce que trop d'innocents s'y trouvent, on est en droit de se poser des questions sur la pertinence de notre système pénal.


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