Droite ou gauche, erreur double

par Caleb Irri
mardi 6 juillet 2010

Il n’est pas rare d’entendre, au détour d’une conversation, prononcer l’expression “ce sont tous les mêmes” à propos des hommes politiques, de droite comme de gauche. Cette absence de distinction exprime bien la réalité actuelle, ainsi qu’une certaine déception quant au débat idéologique, il est vrai d’une pauvreté affligeante : si on considère en effet la classe politique du point de vue de sa diversité d’opinion (et de propositions) il est assez aisé de mettre la droite et la gauche dans le même sac.

Mais que cette constatation ne nous trompe pas, car la “véritable” gauche est en réalité bien différente de la “véritable” droite ; un gouffre les sépare, qui ne saurait être contesté par la sagesse populaire… Les hommes de gauche se reconnaissent entre eux, de même que les hommes de droite. Il suffit pour s’en convaincre d’étudier non pas l’affiliation partisane et strictement tournée vers les intérêts économiques de chacun, mais plutôt les affinités naturelles qui poussent certains êtres à se rencontrer dans une certaine communauté de pensée. Comme une sorte de philosophie supérieure, une sorte de prescience télépathique qu’une simple discussion peut provoquer, on peut presque toujours sentir, savoir en quelques secondes à peine à quel genre de personne on est confronté ; et cela sans se fatiguer de psychologie. La différence fondamentale qui existe pour déterminer la “véritable” orientation politique d’un homme se situe au niveau d’une conception simple mais primordiale, quasiment spirituelle : celle de la bonté, ou de la méchanceté supposée inhérente à l’être humain.

J’ai déjà par ailleurs évoqué ce sujet, et je n’insisterai donc pas sur mon point de vue. Mais il faut tout de même dire que de cette conception dépend toute la personnalité d’un homme. Elle est essentielle à la vie de l’homme, qui se détermine par rapport à ce postulat pour expliquer sa vision du monde. Cela signifie qu’un homme qui croit en la malignité originelle de l’homme aurait tendance à se trouver à droite, tandis que celui qui croit en la bonté naturelle de l’homme se situerait plutôt à gauche. On me trouvera certainement radical, mais je voudrais m’expliquer à ce sujet.

En effet, la manière dont l’homme conçoit l’homme est à mon avis tout à fait déterminante pour orienter son comportement, ainsi que sa philosophie intérieure.
Selon qu’il le voit bon ou mauvais, il lui prête des comportements en accord avec cette opinion, et s’y réfère pour agir face à ces comportements supposés. Cela signifie que dans le système tel qu’il existe actuellement, certains trouvent injuste qu’une minorité possède le pouvoir sur la majorité, du fait qu’ils ne l’ont pas mérité (n’étant pas par nature poussés vers le mal) tandis que d’autres sont convaincus de la légitimité de cette injustice, en estimant que seuls ceux qui se sortent de leur malignité originelle sont en capacité de diriger les autres. Ces deux manières de voir le monde sont opposées, et expriment le véritable antagonisme de classes.

Mais ces deux opinions sont également fausses, car elles reposent sur une seule et même erreur commune, à savoir que l’homme serait soit bon soit mauvais, naturellement, et sans nuance possible : ce qui constitue de mon point de vue une aberration, tant scientifiquement que psychologiquement. Nul n’a jamais pu prouver la prétendue morale innée de l’être humain, car elle n’existe pas. L’homme n’est ni bon ni mauvais, mais est effectivement capable de faire à la fois le bien et le mal. La seule qualité innée qu’il possède est sa malléabilité, une sorte d’arbre des possibles dont le potentiel sera ou non influencé de telle ou de telle autre sorte. C’est la socialisation qui modèle ses opinions et ses savoirs, et ce n’est pas pour rien que la majorité des pays « riches » sont en réalité plus de droite que de gauche.

Car si on inverse sa pensée, on s’aperçoit que ceux dont on tue l’espérance dès le plus jeune âge, que ceux que la propagande assomme de désirs frustrés, que ceux dont l’unique but est d’écraser les plus faibles pour s’élever socialement sont en réalité les victimes d’un système contraignant. Et on comprend alors qu’il leur faut justifier leur comportement par une sorte de « péché originel » dont il est difficile de s’extraire. L’homme de droite préfère considérer son semblable comme ce qu’il est devenu, afin d’une part de se déculpabiliser de son comportement vis à vis des autres (l’autre fait pareil que moi), et d’une autre s’absoudre de sa soumission au système en s’estimant « puni de naissance » (ce n’est pas de ma faute).

Dans les pays « pauvres », où l’espoir est encore permis, la gauche est en général majoritaire car les hommes croient en l’amélioration de leur condition, ainsi qu’aux mensonges de ceux qui tiennent les rênes de leur destinée : les gens de droite. Eux aussi vaincus par la socialisation, ils préfèrent croire en l’impossible ascension sociale qu’on leur promet depuis des siècles, et fondent leurs espoirs sur la capacité de leurs gouvernants à être touchés par une sorte de « grâce divine » qui leur rendrait la vue.

Au bout du compte, il apparaît que tant que le clivage traditionnel entre droite et gauche existera, il sera impossible pour l’homme de se libérer des contraintes d’un système injuste. Incapable de se définir autrement que par le biais du bien ou du mal, il ne peut avoir une idée juste de ce que lui et ses semblables sont en réalité, et ne peut donc envisager l’élaboration d’un système plus juste. Mais le jour où il se sera jugé justement, il comprendra alors qu’il est seulement imparfait, et que par conséquent ce n’est pas d’un monde parfait dont il a besoin, mais d’un monde tendant vers plus de justice.

 

Caleb Irri

http://calebirri.unblog.fr


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