Du droit de vote des femmes à leur représentation politique
par Eliane Jacquot
mercredi 16 septembre 2020
En France, c'est en Avril 1944 que les femmes ont eu accès aux droits de vote et d'éligibilité à l'issue de leur grande implication dans la résistance. De nos jours, elles restent sous représentées au sein des appareils d'Etat aux niveaux local, national et européen et les partis politiques restent des lieux de confiscation du pouvoir au profit des hommes.
La parité, mais encore ?
En France, la parité qui relève d'une logique de représentation a été inscrite dans la constitution en 1999. Depuis lors, la loi « favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». La loi du 6 juin 2000 qui contraint les partis politiques à proposer autant de femmes que d'hommes aux scrutins de liste a été complétée par de nombreux textes législatifs. Cette féminisation s'est étendue aux gouvernements successifs et depuis le mandat de Francois Hollande en 2012 la répartition des ministères est paritaire. Si les règlementations sur la parité ont permis d'améliorer la place des femmes en politique, ces dernières restent encore exclues des fonctions à haute responsabilité au sein des institutions.
En 2020, selon le Haut Conseil à l'Egalité la proportion des femmes élues maires n'est que de 19,2% dont seulement 12% dans les villes de plus de 30000 habitants. Au sein des 18 régions françaises, seules quatre femmes sont présidentes, alors qu'elles occupent 48,1% des mandats exécutifs. D'autre part les lois successives n'ont eu qu'un effet modéré sur les élections législatives et sénatoriales : à l'Assemblée Nationale, les femmes occupent depuis 2017 39,9% des sièges contre seulement 33,3% au Sénat. Et lorsqu'il s'agit d'accéder aux postes clés de la République, Présidence du Conseil Constitutionnel, de la Cour des Comptes, Direction du Trésor, on se heurte au plafond de verre.
Les pères fondateurs de l'Europe au travers du Traité de Rome en 1957 avaient mis la question de l'égalité entre les femmes et les hommes au cœur de ses objectifs en souhaitant construire une Europe de Droits. Le traité de Lisbonne en 2009 a enraciné ce principe d'égalité. Au sein des institutions européennes la parité s'améliore bien que les femmes restent minoritaires à la Commission et au Conseil. C'est au Parlement que la représentation des femmes (40,4%) est la plus grande, supérieure à la moyenne européenne des parlements nationaux (40%, Source Insee).
Mais pour la première fois, la présidente de la Commission Européenne est une femme, Ursula von der Leyen, élue en 2019. Pour la première fois la présidente de la Banque Centrale Européenne est une femme, Christine Lagarde depuis 2019. Pour la première fois Angela Merkel a été élue pour un quatrième mandat à la tête d'un des plus importants Etat européen. Cependant la présence de ces femmes d'exception ne doit pas occulter le fait qu'en Europe, la vie politique reste une affaire d'hommes, et que ce sont les partis politiques qui en constituent le principal verrou. Il n'y a que dans les pays scandinaves où les citoyens pensent que l'Etat est le meilleur arbitre et le plus fiable garant des libertés individuelles. Les femmes y ont conquis l'égalité formelle et réelle dans la plupart des domaines, dont les partis Sociaux Démocrates, occupent très largement les fonctions officielles et sont présentes à plus de 40% dans les parlements nationaux.
Le difficile accès au pouvoir politique
L'Histoire retiendra-t-elle que les efforts conjugués de trois femmes, Christine Lagarde, Angela Merkel et Ursula van der Leyen sont à l'origine du pas fédéral décisif conclu le 21 Juillet 2020 ? Sans orgueil mais sans naïveté, avec une certaine humilité, préférant l'efficacité à l'autosatisfaction, elles ont levé un tabou permettant à l'UE de se doter de ressources fiscales propres, de lancer une union de transferts de 390 milliards d'Euros ainsi que 360 milliards d'Euros de prêts.
Avant elles, Simone Veil, magistrate a été élue première présidente du Parlement Européen de 1979 à 1982. La construction de l'Europe et la mémoire de la Shoah ont été parmi les combats de cette femme d'exception, entrée au Panthéon en 2018.
Francoise Giroud, sous la Présidence de Valery Giscard d'Estaing devint secrétaire d'Etat auprès du premier ministre, chargée de la condition féminine, entre 1974 et 1976, et y lança cent une mesures en faveur des femmes dont la mise en place de droits propres pour les femmes, la lutte contre les discriminations, l'ouverture des métiers dits masculins. Dans un essai à l'issue de cette expérience « La comédie du Pouvoir »son ambition fut de montrer que « L'Etat doit servir. On ne doit ni s'en servir, ni s'y asservir. »
Martine Aubry, si décriée en tant que ministre du Travail, Maire de Lille depuis 2001 devint en 2008 première secrétaire du PS mais perdit en 2011 les primaires socialistes face à François Hollande.
Toutes ces pionnières ont ouvert la voie de la représentation politique, de conquêtes en résistances surmontées. Elles ont contribué à mettre en place des actions concrètes allant dans le sens de l'Histoire. Mais il convient de souligner qu'il n'est pas aisé d'adapter les femmes à des structures bâties sur des codes masculins. Cela suppose de dissocier le pouvoir du prestige public et de le penser en tant qu'attributs : aptitude à l'efficacité, à la rapidité de réaction, à la volonté de changer le monde. La crise sanitaire de la Covid 19 a conduit à une étude publiée sur le site « The Conversation ». Elle montre que les Etats dirigés par des femmes en Allemagne, au Danemark et en Finlande ont freiné plus tôt l'épidémie de par leur sobriété et leur humanité.
Les discours évoluent et le récent parcours sans faute de quelques femmes d'exception a mis en lumière le mouvement inexorable qui marque ce début de XXI ème siècle : la construction d'un véritable modèle de société égalitaire. Le décalage entre le rôle des femmes dans la société et leur sous-représentation dans les instances de pouvoir doit être considéré comme de moins en moins pertinent en France et dans l'espace européen. En rompant avec notre héritage méditerranéen de domination masculine décrit par Pierre Bourdieu qui attribue traditionnellement la sphère publique aux hommes et la sphère domestique aux femmes, une nouvelle voie leur est ouverte dans un espace de liberté et de réalisation en fonction de choix et d'aptitudes et non plus de représentations sociales archaïques.