Ecole, mensonge et vidéo

par Denis COLLIN
mercredi 15 novembre 2006

C’est encore Internet qui fait l’actualité. La diffusion de la vidéo d’une réunion tenue par Mme Royal à Angers est devenue le sujet polémique de la semaine. Au risque d’occulter le fond du problème.

Les propos de Mme Royal sur la nécessité d’imposer 35 heures de présence aux professeurs de collège ne sont pas une nouveauté. Ils étaient connus depuis longtemps. Elle s’était exprimée en ce sens lors d’une réunion de dirigeants du PS consacrée au projet socialiste. Et ceux qui se souviennent de son passage comme ministre de l’enseignement scolaire savaient à quoi s’en tenir. Qu’on se plaigne aujourd’hui de la diffusion de la vidéo est pour le moins curieux : Mme Royal est un personnage public, qui tient des propos publics et peut éventuellement être sommé d’en rendre compte. A moins que la fameuse "démocratie participative" ne consiste à tenir secrète la véritable orientation de la candidate pendant que le grand public est noyé sous un flot de déclarations souvent verbeuses où chacun pourra retrouver ce qu’il y met.

Sur le plan des statuts de professeurs, on remarquera tout d’abord que Mme Royal s’inscrit pleinement dans les orientations actuelles de M. de Robien qui a constitué un groupe de travail dont l’objectif est de liquider les décrets de 1950 qui définissent ce statut. Ces décrets consacrent le fait que les obligations générales des fonctionnaires s’appliquent aux professeurs à travers des statuts spéciaux. Les professeurs n’ont pas d’horaires de travail mais des obligations de service qui consistent à assumer un certain nombre d’heures hebdomadaires de classe (18 pour les certifiés, 15 pour les agrégés), à préparer leurs cours, à corriger les devoirs (dont les modalités sont définies par l’inspection), à participer aux conseils de classes, à corriger les examens, à rencontrer les parents, etc. Les professeurs sont en vacances en même temps que les élèves, mais peuvent y consacrer une part plus ou moins grande aux corrections ou à la préparation de leurs cours. En revanche, ils n’ont pas à proprement parler de "droits à congé" à faire valoir. Par exemple, un fonctionnaire (ou un salarié) peut être en arrêt de maladie pendant ses vacances : ce temps de maladie sera décompté de ses congés et il pourra ensuite les récupérer. Il n’y a rien de tel pour les professeurs.

Ce statut n’est pas arbitraire. Il donne certains droits et impose des devoirs aux professeurs. Il définit la fonction du professeur : transmettre des savoirs, instruire, et il sépare clairement la fonction d’éducation qui appartient à toute la société, et au premier chef à la famille, et la fonction d’instruction qui est celle de l’école : jadis le ministre de tutelle était le ministre de l’instruction publique. Ce statut garantit également le caractère libéral de l’enseignement. Le professeur est l’auteur de son cours, et il a toute latitude pour choisir les moyens adaptés à sa mission, transmettre les savoirs définis par des programmes nationaux.

C’est ce dispositif, expression de la dignité éminente que la République reconnaît à l’instruction, que M. de Robien et Mme Royal veulent détruire, transformant les professeurs en "pions", au deux sens du terme : des pions qu’on peut manipuler à sa guise, et des surveillants - tâche jadis dévolue aux maîtres d’internat et surveillants d’externat. A la clé, il n’y a pas seulement les économies budgétaires que les technocrates veulent réaliser pour se conformer aux orientations prises à Bruxelles. Il y a surtout la fin des enseignements disciplinaires, fondés sur des connaissances objectives, au profit de ces fumeuses sciences de l’éducation qui ne visent pas à transmettre des savoirs mais seulement des "savoir être". Certes, si le professeur doit se contenter de répéter ce que les "savants" du ministère ont décrété, il n’est plus besoin d’apprendre les mathématiques ou l’histoire. On pourrait former les professeurs en deux ans dans une formation pratique de type BTS... La dégradation des exigences de l’enseignement (voir le dernier baccalauréat) s’accompagnerait ainsi d’une déqualification des enseignants qui ne seraient plus des professeurs, mais des moniteurs ou des répétiteurs. De même qu’a déjà été organisée la quasi-disparition des langues anciennes, on supprimerait tout enseignement sérieux des mathématiques (comme en première littéraire où les mathématiques deviennent : "apprendre à utiliser le tableur Excel"), de l’histoire (cantonnée aux bienfaits de la construction européenne), pour ne rien dire de la littérature et de la philosophie.

Le débat est capital, mais évidemment on n’en parlera pas durant la campagne qui vient.

Comme toujours, c’est avec de bonnes intentions qu’on prépare le pire. La lutte contre l’échec scolaire et la rénovation du collège ont le dos large. Il est exact que les élèves des collèges ont souvent du mal à travailler chez eux. A cela il y a une solution simple et connue : rétablir les études surveillées après la classe. Cela ne demanderait rien d’autre que de rétablir le taux de surveillants au niveau d’il y a une ou deux décennies, et de n’employer comme surveillants que des étudiants faisant effectivement des études (ce qui peut se mesurer à leur réussite aux examens). Le candidats à ces postes ne manqueraient certainement pas. Mais les solutions simples et éprouvées n’intéressent ni M. de Robien, ni Mme Royal. La lutte contre l’échec scolaire n’est pour eux qu’un prétexte pour poursuivre l’oeuvre de démolition de l’instruction publique. Et comme toujours, c’est le mensonge qu’on érige en règle suprême du discours public. Quand les humanités auront définitivement déserté l’école, elles redeviendront, éventuellement, le luxe des classes privilégiées... si ces classes ont encore quelque goût pour ce qui est vraiment libéral, au sens ancien, c’est-à-dire ce qui n’est pas cultivé en vue de l’utilité ou du profit.

On le voit, la vidéo de Mme Royal pose des questions qui portent sur la culture elle-même. La culture humaine, pas la "culture pub", la "culture rap" ou la "culture d’entreprise" et autres calembredaines des chantres du "tout culturel".

Sans doute trouvera-t-on le propos de cet article "conservateur" : il n’y a pas de pire injure, à notre époque où la droite et la "gauche" ralliée aux idées de la droite chantent la chanson de l’évolution et du changement à tout prix. Mais si la conservation de la planète est un thème populaire, peut-être serait-il temps de mettre au goût du jour la conservation de la culture, c’est-à-dire du véritable milieu vital de l’humanité.

Pour les curieux, nous ne pouvons que renvoyer à Qu’est-ce qu’une éducation libérale ? de Léo Strauss, facile à trouver sur Internet, ou encore à La crise de la culture d’Hannah Arendt, singulièrement l’essai intitulé La crise de l’éducation, qui reste d’une actualité brûlante.


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