En travers de la gorge

par C’est Nabum
samedi 21 novembre 2015

Trop de maux.

Ça ne passe toujours pas.

La gorge nouée, j'ai quelque chose en travers de la gorge qui ne passe pas. Je ne suis, hélas, pas le seul dans ce cas à rester muet d'incompréhension et de honte. Les mots nous ont manqué puis ils ont afflué en désordre, ils se sont précipités dans nos bouches au goût amer. Ils se sont tellement bousculés que certains ont fini par se mettre en travers de la raison, en travers de la pensée.

Les réflexes archaïques ont ressurgi. Ils aiment tant les périodes troubles, les moments où tout bascule du côté obscur. Ils se délectent de nos faiblesses, de nos peurs irraisonnées qui nous poussent dans les abysses de l'esprit. Les appels à la vengeance, à la haine, montent de consciences qui n'ont plus aucune conscience de ce qu'elles devraient être.

La déraison l'emporte tout comme la folie. Des abrutis réclament la peine de mort pour les kamikazes comme si ceux-là ne se chargeaient pas de s'appliquer à eux-mêmes la sentence. Plus rien ne passe, tout s'agglutine derrière ce bouchon ignoble, cette tache indélébile dans notre lecture du monde. L'humanité s'égare et,pour retrouver son chemin, on ne trouve rien de mieux que de frapper à coups de bombes lancées dans un désert d'intelligence.

C'est dérisoire, c'est sans doute contre-productif, c'est en tout cas parfaitement inutile. Nous pouvons hurler notre désarroi : nos cris resteront muets tant sont sourds aux plaintes du peuple souverain les responsables politiques de toutes tendances qui, passée la parade du congrès de Versailles, ont retrouvé leurs vociférations honteuses, leurs algarades indécentes en cette période de deuil et de nécessaire dignité.

Ce spectacle non plus ne passe pas. Il m'étrangle d'indignation, il me révulse. Je ne me reconnais plus depuis bien longtemps dans cette mascarade de notables qui se comportent plus mal encore que des gamins énervés dans une cour de récréation. Pas plus que ne passent ces images de la télévision qui mènent, elles aussi, la traque au sensationnel.

Informer ce n'est pas mettre en scène la peur, la mort, les coups de feu et les assauts de la police. Informer c'est expliquer, donner des perspectives, prendre de la distance tout en laissant agir dans l'ombre ceux qui risquent leur vie pour rétablir l'ordre. Là aussi, les mots intelligents ont dû rester au fond de la gorge de nos journalistes de plateau, épuisés par des émissions spéciales à n'en plus finir où le temps d'antenne est inversement proportionnel aux réflexions profondes et pertinentes.

Les micro-trottoir me restent pareillement en travers de la gorge. Quelle est donc cette manie absurde de tendre un micro et d'offrir une audience à un quidam que l'on place volontairement dans une situation de réaction animale, atrabilaire, spontanée et viscérale ? La plupart du temps, ce sont des remarques dénuées de distance, privées de réflexion, éloignées de la sagesse qui fusent ainsi pour le plus grand plaisir de ceux dont le seule mission est de remuer la fange.

Ça ne passera jamais et pour éviter de me mettre plus en colère, je fais le vide, je coupe la radio et la télévision quand surgit le malheur n'importe où dans le monde. C'est à croire à la complicité implicite des monstres et des médias. Les uns offrent les acteurs d'une barbarie sans nom, les autres leur assurent une couverture médiatique sans équivalent pour satisfaire à leur volonté de promotion de la mort.

Je crois au pouvoir de la raison. Où est-elle en cette période dramatique ? Je crois en la réconciliation et à la solidarité. Et plus que jamais les querelles idéologiques viennent briser cette espérance alors qu'un gouvernement d'unité nationale devrait se mettre en place durant une période d'état d'urgence. Je crois à la puissance de la pensée et c'est à celle des armes que l'on fait appel, réduisant à néant notre humanité.

Oui, tout cela me reste en travers d'une gorge que les abominables intégristes ne sont hélas pas les seuls à prendre pour cible. Mon cœur saigne du « spectacle » du moment car c'est malheureusement ce mot qu'il faut employer pour désigner cette désolation mise en scène et plus rarement en mots intelligents. Redonnons la parole aux philosophes à l'exception du « va-t'en guerre » en chemise blanche et col relevé qui a une part non négligeable dans le bordel ambiant.

Demandons aux politiques de se taire, aux experts de retourner à leurs expertises, aux journalistes de laisser la police faire son boulot, aux passants de ne plus répondre à un micro qui se tend à l'improviste. Prenons alors le temps de parler entre nous, de réfléchir et parfois d'écrire loin du tumulte de la rue. La pensée a besoin de calme et elle est tout sauf un spectacle ou une représentation.

Dégorgement leur.


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