Esclavage : les noms de la honte

par Tspure
mardi 17 août 2010

 En 1848, certains esclaves des colonies françaises ont reçu, en échange de leur liberté, un nom de famille offensant que portent toujours leurs descendants. Philippe Chanson, anthropologue et théologien y consacre un livre.

Peu après l’abolition de l’esclavage français, en 1848, les affranchis des Antilles ont dû acquérir un état civil : ils n’avaient, auparavant, aucune identité fixe du point de vue de l’État. Une partie des patronymes reçus sont jugés, alors et aujourd’hui, ridicules ou blessants : Satan, Négrobar, Dément ou Comestible... Ce qui devait signifier l’entrée dans la citoyenneté devient signe héréditaire d’une origine servile.

2C’est cette « blessure » que l’anthropologue et théologien Philippe Chanson étudie dans ce petit ouvrage, qu’il présente un peu rapidement comme une « vaste synthèse » (p. 96). Son but : faire « sortir du bois » (p. 106) cette question. Car ce que souligne l’auteur avant tout, c’est un problème de méthode, le « silence public » (p. 43), le « troublant silence » (p. 96) autour des noms blessants. Alors, sur quelle base parler de « blessure » si personne ne se plaint publiquement ? Sans problème social solidement constitué, quelques rares textes de romanciers ou d’intellectuels antillais soutiennent la démarche.

3Mais c’est en dernière analyse le diagnostic d’une « douleur pathologique » (p. 15) qui justifie à la fois l’initiative de l’auteur, et qui lui suggère des limites méthodologiques : pas d’entretien avec les porteurs de patronymes insultants, pas de travail sur les archives locales. Le cœur de l’enquête empirique porte donc sur un relevé des noms étranges dans les annuaires téléphoniques locaux (l’auteur garde mille huit cents noms qu’il classe en annexe).

4Deux explications sont proposées pour expliquer la fréquence des noms blessants :

5D’un côté, une explication en terme d’idéologie (p. 30) : « la dotation de noms honteux est un phénomène qui a certes toujours existé, mais ici, le phénomène est indéniablement lié pour une bonne part à la stigmatisation raciale systématique stratégiquement mise en place en régime d’exploitation d’êtres humains : l’esclavage ». Le phénomène est renforcé par l’interdiction de donner aux anciens esclaves des patronymes en usage alors (principalement des patronymes « blancs »).

6De l’autre côté une explication pragmatique : (p. 31) « dès l’Abolition (...) le défi colossal de redonner à chaque ancien esclave nouveau libre un nom qui le “civilise” et le proclame citoyen à (sic !) connu des débordements impitoyables ». Les fonctionnaires ayant dû inventer sur le champ des dizaines de patronymes différents, ils se sont aidés de divers registres, de l’insulte à celui des métiers... Cette explication est présentée comme de « l’anthropologie fictionnelle » (p. 62), car aucune source, si ce n’est la vraisemblance, ne vient soutenir l’échafaudage.

7La conclusion de l’ouvrage propose les lignes directrices d’une réparation de l’affront, par exemple dans « l’abolition des patronymes honteux » ou dans « une cérémonie ecclésio-civile officielle » de prise de nom. Mais avant cela, il faudra, aux Antilles, construire le nom honteux comme question sociale.

8Baptiste Coulmont, « Philippe Chanson, La blessure du nom. Une anthropologie d’une séquelle de l’esclavage aux Antilles-Guyane  », Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 144 | 2008, document 144-19, mis en ligne le 04 février 2009.

Texte intégral en libre accès disponible depuis le 04 février 2009.

URL : http://assr.revues.org/19013


Lire l'article complet, et les commentaires