Gare à Guillotin !

par Voris : compte fermé
mardi 10 octobre 2006

La première pétition en France fut l’œuvre de l’homme dont l’invention fit tomber la tête du roi dans un panier : le docteur Guillotin ! Ceux qui trouvent qu’aujourd’hui notre pays présente des similitudes avec l’Ancien Régime prendront cette information comme un avertissement en direction de nos gouvernants. On pétitionne à tout va sur Internet. Est-ce un phénomène de mode ou une « répétition » avant la « générale  », comme on dit au théâtre ? Je veux parler de l’entrée en scène de la démocratie participative...

L’homme qui a fondé le site lapetition.com s’appelle François Théry, il est architecte. Et, en bon architecte, il contribue à bâtir la démocratie participative ! C’est d’ailleurs pourquoi il a créé ce site où, « pour le prix d’un café au comptoir, chacun peut déposer une pétition ». L’histoire ne dit pas, en revanche, ce que l’on peut avoir pour le prix d’un café en terrasse. Ce sera peut-être l’étape suivante dans l’ascension vers la démocratie participative.

En attendant ce sont 1600 pétitions en tous genres qui sont diffusées par le site. Ironie du sort, il en existe même une qui réclame le rétablissement du recours à la guillotine. Fort heureusement, il en est une autre qui aussitôt dénonce le risque de remise en cause par certains de l’abolition de la peine de mort. Ainsi vont les choses, et les citoyens s’y combattent à coups d’idées mais jamais à court d’idées.

Les dangers de la pétition :

Le site annonce d’entrée qu’il est le seul à s’être déclaré officiellement à la CNIL (1997 : sous le numéro n° 598287), ce qui garantit la protection des données personnelles des auteurs et signataires de pétitions. Les citoyens qui s’engagent en signant sont ainsi « protégés des utilisations commerciales et policières. » Ce n’est pas le cas pour les pétitions sur les blogs, où la CNIL ne joue aucun rôle. Les blogs étant dispensés de déclaration auprès de cette commission pour la mise en ligne de listes de données personnelles, ils n‘en assurent pas la protection. Utiliser un site étranger, met en garde l’auteur de lapetition.com, comporte aussi le risque d’une gestion abusive voire malveillante des signatures recueillies et conduit à s’exposer à recevoir ensuite des spams incessants.



Le droit de pétition est-il nouveau ?

-En France, le droit de pétition est défini par l’article 4 de l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et par les articles 147 à 151 du Règlement de l’Assemblée nationale. Mais le droit existe en fait de manière presque permanente depuis la Révolution française. L’article 4 de l’ordonnance de 1958 précise qu’il est interdit d’apporter des pétitions à la barre des deux assemblées parlementaires. Jusque vers 1986, les pétitions enregistrées comme telles par l’Assemblée nationale étaient en nombre honorable : 349 pétitions, par exemple, lors de la législature (durée du mandat de député) entre 1973 et 1978. Ensuite s’est amorcée une décrue (avant même la naissance d’Internet). Seulement 31 pétitions entre 1997 et 2002.


- Le droit de pétitionner est aussi un des droits fondamentaux du citoyen européen : Il est posé à l’article 21 du Traité instituant la Communauté européenne (TICE), actuellement en vigueur, et explicité à l’article 194 : Tout citoyen de l’Union européenne ou toute personne résidant dans un État membre peut adresser au Parlement européen, individuellement ou collectivement, une pétition au sujet d’une question relevant d’un domaine de compétence de l’Union européenne et le concernant directement. Les entreprises peuvent exercer ce droit de pétition, garanti par le traité, si elles ont leur siège dans l’Union.

Pour certains une avancée démocratique, pour d’autres de la poudre aux yeux, le droit de pétition prévu dans le projet avorté de traité constitutionnel s’annonçait rénové et il était subordonné à trois conditions : un million de signataires, un "nombre significatif" d’Etats membres, la limitation selon laquelle la pétition devait uniquement viser à proposer un acte juridique, qui doit être nécessaire aux fins de l’application de la Constitution.


- En Suisse, pays de démocratie ayant adopté depuis longtemps des procédés de démocratie directe ou semi-directe, le droit de pétition est prévu par l’article 33 de la Constitution fédérale. Il garantit à chacun la faculté d’adresser aux autorités des requêtes, des propositions, des critiques ou des réclamations, sans avoir à craindre un quelconque préjudice en retour. Le droit de pétition n’est soumis à aucune condition de forme et peut être exercé aussi bien par les Suisses que les étrangers, par les personnes physiques et morales, ainsi que par les mineurs. Proche parent de la liberté d’expression et des droits politiques, il crée pour l’autorité destinataire l’obligation de prendre connaissance de la pétition, sans que celle-ci soit toutefois obligée de lui donner suite. Quand bien même il ne déploie pas les effets contraignants propres à une initiative populaire ou à une demande de référendum, le droit de pétition permet aux justiciables d’exercer une certaine influence sur la prise de décisions par les organes de l’État.

Vers une démocratie participative ?

Aucun parti politique, aucun candidat ne propose une démocratie participative à proprement parler. Ségolène Royal s’en réclame pour la méthode, la posture, mais la démocratie de type représentatif reste le bien précieux à défendre pour tous ceux qui nous gouvernent et qui en vivent. Le projet du Parti socialiste prévoit une démocratie plus directe et dit ceci : « Nous favoriserons la loi d’initiative citoyenne au terme d’une procédure de dépôt d’une pétition signée par un million de signatures dans trente départements au moins. » Ce droit dit d’initiative populaire existe déjà aux Etats-Unis où des entreprises font la chasse aux signatures pour en obtenir le nombre nécessaire à l’organisation d’un vote.

Même si elle venait à être adoptée, la réforme du droit de pétition ne serait perçue que comme un os à ronger, car la société des citoyens gagne aujourd’hui beaucoup en maturité et en désir d’expression, encouragée en cela par les réseaux Internet et les blogs. Cette société civile réclame sa part de débat et d’action. Si demain la France ou l’Europe prend cette voie médiocre de "patch" accolé sur le système représentatif, l’idée de la démocratie participative, telle que la conçoivent de plus en plus de citoyens conscients de leur rôle futur, n’aura pas l’étoffe ni la saveur qu’ils rêvaient. L’immense frustration se répandra sur Internet et gonflera. Gare à Guillotin !


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