Gouverner, c’est faire croire (*)

par Michel DROUET
lundi 18 janvier 2010

 La réforme des collectivités locales va bientôt être débattue au Parlement. Force est de constater que le projet est désormais bien éloigné des déclarations (martiales, est-il besoin de le préciser) du Président de la République, critiquant l’enchevêtrement des compétences, et les collectivités trop nombreuses et trop petites, laissant supposer à l’origine, une réforme d’ampleur.

Nous sommes loin également des travaux des commissions parlementaires ou de la Commission Balladur qui n’ont servi qu’à donner un inutile vernis de sérieux à un débat duquel le citoyen est exclu.

Les contraintes de départ

Du côté du gouvernement, on savait dès le départ que la majorité des 3/5ème du congrès serait impossible à atteindre pour réformer la constitution si l’on envisageait de supprimer un échelon de collectivité locale.

Du côté des parlementaires, qui pratiquent allègrement le cumul des mandats, il ne fallait pas être grand clerc pour deviner qu’ils se battraient bec et ongles contre toute simplification du système et contre toute suppression d’un niveau de collectivité : beaucoup trop de choses à perdre pour beaucoup de ces élus qui ont fait de leurs mandats le seul métier qu’il sont capables d’exercer, se déconnectant chaque jour un peu plus de la réalité du terrain. Beaucoup de choses à perdre également pour les partis, surtout ceux de gauche qui détiennent la quasi-totalité des Régions, la majorité des Départements et bon nombre de grandes villes et d’agglomération et qui n’envisagent en aucun cas de perdre de leur influence locale, incapables qu’ils sont de conquérir le pouvoir national.

Que reste-t-il des déclarations martiales ?

Puisque l’ambition initiale ne peut être atteinte et qu’il faut tout de même réformer puisqu’on a dit qu’on le ferait, on se trouve aujourd’hui devant différentes mesures qui relèvent davantage du patchwork partisan que d’une réelle réforme des collectivités locales.

Seule la création des conseillers territoriaux semble correspondre aux objectifs poursuivis, encore faut-il bien comprendre que cette mesure est surtout destinée à contourner l’absence de suppression d’un niveau de collectivité, puisque la création de ces conseillers qui siègeront ensemble pour la Région et pour le Département préfigure à terme « l’évaporation » du Département dans la Région. Au passage, le redécoupage des cantons permettra sans doute au parti du Président de perdre moins de sièges que la gauche.

La création d’une douzaine de Métropoles (intercommunalités de plus de 450 000 habitants) procède de la même logique de contournement, leur création précipitant cette « évaporation » des Départements concernés par transfert de compétences de ces derniers vers ces métropoles.

Ce nombre, limité, de métropoles pourrait devenir plus important à terme, soit par élargissement de certaines intercommunalités urbaines (les grandes manœuvres sont déjà commencées), soit pas le dépôt d’un amendement législatif abaissant le seuil de leur création à 400 000 par exemple.

Plus suspect est le projet de mise en œuvre d’un scrutin aux élections locales à un tour donnant une prime aux listes arrivées en première position, ce qui revient à favoriser l’UMP, en l’état actuel des choses. Il est clair que l’on s’éloigne de la réforme destinée à clarifier la vie locale pour rentrer de plain pied dans le marigot électoraliste. Aux dernières nouvelles, cependant, le Président de la République abandonnerait ce projet.

Enfin, cerise sur le gâteau, la réforme de la fiscalité locale parachève ce génial dispositif de contournement : l’argent étant le nerf de la guerre, rien de tel qu’une petite cure d’austérité pour les finances des collectivités locales déjà mises à mal par la crise pour les contraindre à accepter bon gré, mal gré le dispositif global.

La pierre angulaire : la réforme de la fiscalité locale

Les quelques mesures de contournement énoncées ci dessus n’étant pas suffisantes, le gouvernement a en effet choisi de taper au portefeuille les collectivités locales en supprimant la taxe professionnelle et en la remplaçant par une cotisation économique territoriale dont (pour la cotisation sur la valeur ajoutée) il gardera la maîtrise de l’évolution du taux : exit, donc, une grande partie de l’autonomie fiscale des collectivités qui allait de pair avec la décentralisation.

Second volet de la réforme : la quasi spécialisation des impôts pour la Région et le Département. C’est ainsi que le Département ne pourra plus « jouer » que sur le foncier bâti, alors qu’il pouvait le faire auparavant sur la taxe d’habitation et la taxe professionnelle, par exemple.

Au passage, le bloc « commune et intercommunalité » récupère la part départementale de la taxe d’habitation et les parts départementale et régionale du foncier non bâti et la nouvelle cotisation foncière sur les entreprises, ce qui démontre la volonté gouvernementale de faire monter en puissance ce bloc au détriment des Départements et des Régions.

Troisième volet annoncé, la révision des bases servant au calcul de l’impôt, annoncée depuis vingt ans, mais toujours repoussée, devrait être lancée, ce qui ne sera pas sans dommages, mais cette fois-ci sur les foyers fiscaux.

Au final, sauf à penser que des Départements adoptent un comportement suicidaire en augmentant fortement la taxe sur le foncier bâti pour continuer leurs politiques, on voit bien que la contrainte financière induite par cette réforme de la fiscalité pèsera fortement en premier lieu sur eux. Ils seront à un moment où à un autre contraints au mariage avec les régions dont la situation suite à cette réforme fiscale, n’est pas brillante non plus.

Une méthode qui reflète l’état de la vie politique en France

Doit-on se féliciter de la mise en œuvre de cette stratégie de contournement ou la déplorer ?

Il est bien évident que, dans cette affaire, la politique de décentralisation en vigueur depuis 1982, en prend un sérieux coup, mais que c’est surtout la volonté de diminuer les impôts sur les entreprises qui est au cœur de cette réforme. Au passage, si l’on peut tailler quelques croupières électorales à la gauche en diminuant leurs pouvoirs locaux, c’est tant mieux !

Voilà ce qui ressort de l’analyse de ce projet ni fait ni à faire qui relève plus de l’expression « la fin justifie les moyens » que de la volonté de doter la France d’un système de gestion locale efficace.

On reprochera aux instigateurs de ces manœuvres, si prompts par ailleurs à lancer un débat – sulfureux – sur l’identité nationale, de ne pas en avoir lancé un pour la réforme de collectivités locales, sujet, ô combien plus important.

Ils en avaient la possibilité, ce débat pouvant être conclu par un référendum, mais dont les résultats pour le pouvoir, malmené actuellement, auraient été incertains.

A la décharge du gouvernement, on constatera que du côté de l’opposition, les critiques du projet se sont concentrées dans un registre binaire convenu : « ils sont pour, nous sommes contre ».

Pas d’invitation au débat citoyen, sauf sur le thème de l’affrontement gauche droite, et surtout aucune explication sur le fonctionnement des collectivités locales, des modes de gestion, qui éloignent de plus en plus les élus du citoyen, et qui les font parfois déraper.

Un exemple, un élu (de gauche...) de Rennes Métropole, voulant critiquer la disparition de la taxe professionnelle a déclaré en séance publique que les entreprises qui paieraient moins de T.P. ne seront pas forcément gagnantes puisqu’elles auront un meilleur résultat et paieront un impôt sur les sociétés supérieur. Il fallait oser le dire ! Pour ma part, je conseillerai volontiers à ces pauvres entreprises de baisser leur prix ou d’embaucher afin d’éviter un trop bon résultat.

Lorsqu’on atteint ce niveau, on peut dire sans se tromper que certains élus sont passés « du côté obscur de la force » en prenant fait et cause pour les entreprises bénéficiaires au lieu de se préoccuper de la situation sociale du pays.

Les effets pervers de cette réforme et les pistes de réflexion

Dernière question : comment va se traduire la baisse globale des ressources fiscales, induites par le projet, sur l’économie locale ? Réponse : par une hausse de la fiscalité des ménages et par une baisse de la commande publique et donc par des difficultés pour les entreprises qui supprimeront des emplois.

Peut être que les collectivités locales en profiteront, et ce serait souhaitable, pour mettre en place un contrôle de gestion efficace et être un peu plus vigilantes sur les prix proposés par les grands groupes nationaux et leurs filiales qui se sont organisées depuis une vingtaine d’années pour capter les marchés publics des collectivités locales (transport, routes, aménagements urbains, distribution d’eau, restauration collective,...) en s’assurant de confortables marges bénéficiaires.

 

* Nicolas MACHIAVEL


Lire l'article complet, et les commentaires