Histoire de vous tenir le crachoir

par C’est Nabum
lundi 22 février 2016

Ce petit jet insignifiant …

Poursuivant mon œuvre d'expectoration des petits et des grands travers de cette société, j'ai décidé de vous tenir le crachoir sur un sujet visqueux qui, phénomène de mode ou mouvement de fond, se répand de bouche à bouche dans notre belle jeunesse pour concerner dès maintenant 60 % de ses membres, au grand désespoir des adorateurs de l'héritage de notre grand Louis Pasteur.

Il est bon de revenir aux sources de cette histoire : l'hygiène taillait sa route dans les esprits civiques d'alors. Le microbe venait de faire une entrée tonitruante dans les représentations populaires et l'aversion qu'il provoquait alors, avait eu raison des habitudes fâcheuses des chiqueurs, priseurs et autres expectoreurs d'une belle époque qui avait la salive facile.

Les effets se firent sentir immédiatement et les âmes nobles n'avaient plus besoin de se pincer le nez lorsqu'elles sortaient en public. Les crachoirs firent le bonheur des brocanteurs : ils cessèrent d'importuner le petit personnel de service. La tuberculose, quant à elle, tirait sa révérence que l'on pensait définitive et seuls, les fabricants ou les lustreurs de crachoirs faisaient la lippe.

Le glaviot était devenu « persona non-crachat » de nos cités. On gardait pour soi ses viscosités verdâtres, purulentes et mousseuses. D'énormes mouchoirs à carreaux recueillaient les derniers spécimens de quelques irréductibles incontinents. Le malotru qui se faisait prendre devait payer une amende, cracher à ce bassinet fiscal qui calme les plus récalcitrants.

Les cours de récréation pouvaient accueillir les joueurs de billes ; l'hygiène ne laissait personne indifférent et les plus sceptiques savaient maîtriser leurs humeurs, fussent-elles mauvaises. Le respect était la règle et l'on ne risquait pas la plus petite infection naseau-comiale dans les lieux publics de notre cher pays.

Puis, tout a changé. Les hordes de cracheurs sont sorties du bois, plus exactement de la télévision. La jeunesse, toujours à la recherche de modèles, a vu les gros plans des retransmissions sportives. L'idole en plein effort crachait : il fallait l'imiter pour devenir son égal. Le crachat s'expliquait parfois par l'effort consenti et à d'autres moments n'était que l'expression mûrement réfléchie d'un désaccord souvent superficiel. Il faut avouer que la salive leur vient plus facilement en bouche que les mots bien sentis.

Ce nivellement par le bas eut des effets immédiats. Le sol se retrouva orné de ces ronds abjects, les cours de récréation redevinrent des lieux parfaitement infréquentables et la tuberculose retrouva un peu de vigueur ainsi que quelques milliers de poumons à infester. Le crachat a fait son retour en force, il se réalise sans honte ni gêne, avec même une certaine distinction, c'est du moins ce que pensent les petits caïds du glaviot qui leur donne de la contenance.

Bien sûr, il est conseillé de garder le silence sur cette marque formidable de la décadence que nous subissons. Les beaux esprits déclarent avec la fierté de celui pour qui un bon mot remplace toute réflexion de fond « Que celui qui n'a jamais craché me jette la première glaire ! ». Les tenants de la mondialisation et de l'angélisme réunis ne veulent pas stigmatiser des pratiques qu'ils qualifient de culturelles et parfois d'ethniques.

Le phénomène se généralise, les compteurs s'affolent et on estime à quinze mille tonnes ces jolis postillons qui jonchent notre planète chaque jour. Le mollard a des adeptes dans le monde entier ; la contagion gagne et bientôt, nous serons submergés par un tsunami de cette salive du mépris et de l'indélicatesse. La distinction n'est plus de monde : il n'est qu'à entendre les noms d'oiseaux que nos irresponsables politiques se crachent à la figure pour s'en persuader.

Il y a bien plus qu'un problème d'imitation ou de pratique ancestrale, le crachat a une signification sociale forte : « Je vous crache à la figure, je vous dénie le droit de vivre dans cet espace qui m'appartient ! ». Il est expression absolue du mépris, de l'intolérance, du refus de l'autre. À ce titre, il mérite une prise en compte sérieuse car il est virus social plus encore que porteur de germes douteux.

Ces glaviots, ces gluaux, ces postillons, ces sécrétions visqueuses, ces expectorations buccales ne sont rien d'autre que l'expression d'un lexique défaillant pour exprimer sa détestation de l'autre. Faute de mots, ce merveilleux condensé de haine vous est envoyé en pleine figure. On s'exprime comme on peut, mon bon monsieur, et quand rien de beau ne peut sortir de la bouche, ce délicat petit jet tient lieu de tirade indélicate !

Crachotement vôtre

 


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