Incendie de bus : et si on ouvrait les yeux...

par Dragoncat
mardi 31 octobre 2006

Incendie de bus. Une étudiante, vingt-six ans, brûlée à 70%, est dans le coma. Son pronostic vital reste des plus réservé. Si elle s’en sort, ce sera pour passer le reste de sa vie face à sa propre infirmité.

Les réactions politiques sur ce terrain sont particulièrement choquantes. Là où Nicolas Sarkozy est accusé - à tort ou à raison, ce n’est pas mon propos - de surfer sur l’insécurité pour asseoir sa campagne, il semble que les ténors du Parti socialiste aient été pris de la même frénésie. Ces responsables qui clamaient en 2002 que l’insécurité "était un mythe" semblent revoir leur copie. Il n’en reste pas moins choquant de relancer une polémique en s’appuyant sur ce fait divers. Mais la proximité d’enjeux électoraux majeurs semblent abolir toute pudeur dans le discours de nos politiques.

Quelle motivation pour les incendiaires ?

Mais pour revenir aux faits eux-mêmes, de quoi parle-t-on ? D’actes gratuits !

La personne qui se commet dans le grand banditisme et use de la violence se met en marge de la loi et doit en assumer les conséquences. Mais si le braquage d’une banque est un acte parfaitement répréhensible et moralement indéfendable, il a le mérite d’avoir une logique. L’homme qui attaque une banque se met hors-la-loi pour une raison : il espère y gagner d’importantes sommes d’argent. Ca ne rend pas le crime plus sympathique, mais ça permet de définir une motivation et encore une fois, une logique.

Les individus qui risquent la vie d’autres citoyens et attentent aux biens communs par le feu le font visiblement par plaisir. Ils n’ont rien à y gagner. On peut ensuite disserter sur la nature du plaisir des auteurs de tels gestes. Plaisir de passer à la télévision ? De jouer ensuite les caïds dans leur quartier ? D’être à l’origine de la souffrance d’autrui ? Le débat peut avoir son intérêt, il reste néanmoins secondaire. Finalement, des bus ont brûlé. Il y en aura certainement d’autres. Une jeune fille voit sa vie détruite. Tout cela pour rien. Ou pour le "fun" d’une soirée qui sorte un peu de l’ordinaire.

Cette absence de motifs réels à de tels actes ne fait qu’en accroître l’horreur.

Il faut quand même prendre le temps de voir ce qu’une agression comme celle-ci représente de préparation. On ne parle pas ici de quelques personnes éméchées et d’une rixe accidentelle de fin de bal. On parle de d’individus qui ont pris le temps :

- de se fournir des récipients, de l’essence

- de se procurer des cagoules

- de se rassembler à un arrêt de bus

- d’attendre le bus pour pouvoir finalement y mettre le feu.

Ce n’est pas un geste de colère. Ce n’est pas un geste désespéré. Aucune idéologie sociale ou politique. C’est une agression préparée froidement et sciemment par des personnes qui n’ont aucune considération pour la vie humaine - quitte à brûler un bus, cela n’aurait pris que quelques secondes d’en faire descendre les occupants.

Je ne reviens pas sur l’attitude des médias, profondément discutable, quant à de nombreuses interventions propres à attiser le feu des banlieues. D’autres articles sur AgoraVox s’en sont déjà chargés. On peut par contre se poser des questions sur l’absence totale de regard moral sur de tels actes ; notamment en ce qui concerne les informations télévisées. Sans sombrer dans la passion, on pourrait peut-être attendre des journalistes qu’ils parlent aussi de la nature des faits divers qu’ils rapportent. Ou plus prosaïquement, qu’ils s’intéressent un peu plus aux victimes. L’idée n’est pas de faire pleurer dans les chaumières, mais de ne pas arrêter une enquête au sensationnel. On en revient au même point : des images de bus en feu sont plus vendeuses, et bien plus faciles à obtenir pour une chaîne télé, que des interviews ou enquêtes sur les conditions de vie des victimes réelles ou potentielles.

Violence = chômage ?

Il est invraisemblable que le moindre débat sur les violences de banlieue conduise systématiquement à parler du chômage. Comme si l’absence de travail pouvait justifier en quoi que ce soit le meurtre de ses concitoyens !

Cette relation chômage-violence est devenue tellement courante qu’elle s’impose aux esprits comme un théorème de math. "Il y a du chômage, donc les gens brûlent des bus." Ce n’est rien de plus qu’un alibi. Et c’est heureux, sinon nous aurions une guerre civile sur les bras et des chars dans les rues.

Cette analyse facile reliant problèmes sociaux et violences physiques est courante et dangereuse. Les médias, en martelant cette idée reçue, dédouanent les auteurs de ces agressions. Il serait normal de vouloir tuer son voisin si l’on est sans emploi : c’est le message que font passer chaque soir les différents journaux télévisés. Les agresseurs n’ont plus à se trouver d’excuse, les élites intellectuelles de notre pays s’en chargent depuis des années. Justifiant l’injustifiable.

Oui, il y a des personnes dans des situations de précarité terribles en France, et c’est intolérable. Oui, il y a de réelles difficultés pour des personnes jeunes, ou au contraire trop âgées, pour trouver ou retrouver un emploi. Et ces situations peuvent induire de la détresse. Mais la détresse n’est pas l’apanage des banlieues. On trouve des situations socialement révoltantes partout en France, y compris dans les zones rurales. La détresse n’excuse pas tout, et en tout cas certainement pas d’attenter à la vie de son prochain. Avant de brandir le drapeau de "l’insécurité sociale", il serait bon de s’en souvenir.


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