Instrumentalisation des vitres brisées et de la souffrance des enfants de l’Hôpital Necker. Témoignages

par Patrick Samba
jeudi 16 juin 2016

C’est l’overdose. Le gouvernement aux abois, des médias indécents ne reculent plus devant aucun moyen d’instrumentaliser jusqu’à l’obscénité, jusqu’à la nausée, un pathos savamment orchestré pour discréditer la résistance à une loi indigne qu’un gouvernement non moins indigne, allant jusqu’à mépriser ses propres parlementaires, veut imposer par un coup de force législatif, le 49-3. Jusqu’où Hollande, Valls, Royal, El Khomri, Macron et autres Placé, Pompili et Cosse, et certains médias serviles oseront-ils aller ?

Mieux qu’un long discours ou un article argumenté, deux témoignages indignés illustrent précisément le climat social et politique actuel : 

I -  Sur l’instrumentalisation des vitres de l’hôpital Necker - Témoignage d’un parent

"Lorsqu’ils mettent sur le même plan « émotionnel » des plaques de verres cassées et ces centaines de milliers de familles éprouvées, MM. Valls et Cazeneuve, n’ont-ils pas honte ?"

Un lecteur de "lundi matin" nous a fait parvenir ce témoignage à vif :

 

Hier, il y avait des centaines de milliers de manifestants dans les rues de Paris. En tête, des milliers de personnes, cagoulées ou non, syndiquées ou pas, se sont retrouvées pour tenir la dragée haute à un dispositif policier hors norme.

Je comprends facilement ce qu’il peut y avoir de désespérant là-dedans pour le gouvernement. Alors que l’on pouvait imaginer qu’au fil des semaines et des mois, la rue se fatigue et la violence soit de plus en plus isolée, c’est tout le contraire qui se passe : la peur de la police ne dissuade pas.

Hier, les manifestants ont commis de nombreuses dégradations. Pour celles que j’ai pu constater, elles étaient toutes « ciblées » : banques, assurances et publicités. Je ne suis pas sûr que cela nécessite beaucoup de débat. Il n’est pas certain que le monde de la finance tremble à chaque fois qu’un distributeur de billet est vandalisé mais que la jeunesse y voit un symbole, je le comprends parfaitement. Qu’une assurance doive appeler son assureur et demander le coût de la franchise, je dois avouer que lorsque j’y ai pensé, ça m’a fait rigoler. Ces gens engrangent des milliards en ponctionnant la solidarité. Quant aux publicités détruites, c’est — malgré la méthode—, la meilleure chose qui puisse leur arriver.

Au milieu de tout cela, quelques vitres de l’hôpital Necker ont été brisées. Bien que les vitres en question n’aient pas d’autre rôle que celui d’isolant thermique : j’en conviens grandement, ce n’est pas très malin.

Certes, briser les vitres d’un hôpital, même par mégarde, c’est idiot ; mais sauter sur l’occasion pour instrumentaliser la détresse des enfants malades et de leurs parents pour décrédibiliser un mouvement social, c’est indécent et inacceptable. Et c’est pourtant la stratégie de communication mise en œuvre depuis hier, par MM. Cazeneuve et Valls. Allègrement reprise par la droite et relayée sur un plateau doré par tous les médias.

Je le dis d’autant plus volontiers que l’hôpital Necker, j’y ai passé beaucoup de temps et que la détresse et l’angoisse des parents d’enfants très malades, je vois particulièrement bien ce que c’est. Instrumentaliser cette souffrance à des fins aussi bassement politiciennes est abjecte.

Cette indécence est d’autant plus choquante lorsque l’on connaît la situation de l’hôpital public aujourd’hui. MM. Valls et Cazeneuve, « révoltés » du fond du cœur par cinq vitres brisées, le sont-ils autant par les conditions de travail effarantes des personnels hospitaliers ? Lorsqu’un généticien clinique doit travailler 70h par semaine car la direction de son hôpital n’a pas les moyens d’employer un nouveau docteur ni même une secrétaire, qu’elles en sont les conséquences sur tous ces gentils petits enfants malades au chevet desquels nos ministres accourent depuis hier ? Quand les aides-soignantes et les infirmières sont épuisées, usées jusqu’à la moëlle et rémunérées au minimum, qu’en est-il de la qualité des soins et de l’attention nécessaires à ceux qui passent des mois voire des années dans des couloirs d’hôpitaux ?

Lorsqu’ils mettent sur le même plan « émotionnel » des plaques de verres cassées et ces centaines de milliers de familles éprouvées, MM. Valls et Cazeneuve, n’ont-ils pas honte ? Et tous ces journalistes qui ont titré sur cet horrible assaut contre l’hôpital des « enfants malades », prennent-ils la mesure du sens de leurs mots ?

La palme de l’infamie revient évidemment à M. Cazeneuve qui a tout de même réussi à ajouter à l’équation le fils des deux policiers tués avant-hier.

Des centaines de milliers de personnes défient le gouvernement dans la rue. Une ou deux cassent le double vitrage d’un hôpital. Une ordure tue deux policiers à l’arme blanche. Leur fils de trois ans est en soin à Necker. M. Cazeneuve établit un rapport émotionnel, affectif et psychique entre ces deux séries de faits : la lutte contre la Loi Travail et son gouvernement, le choc produit par la brutalité de ce double meurtre et la situation dramatique de cet enfant. Si les jeunes émeutiers qui ont cassé les vitres de Necker ont été idiots, MM. Valls et Cazeneuve, eux, sont obscènes.

Plutôt que de courir les plateaux télés pour dire des conneries pareilles, retirez la loi travail, financez correctement les hôpitaux et épargnez aux enfants et à leurs parents votre ignoble instrumentalisation. Merci d’avance.

Un parent d’enfant très malade de l’hôpital Necker.

 

II - Cette CGT [celle de son service d’ordre, son « SO »] n’est pas la mienne - Paris-luttes.info

À propos de la manif du 24 mars 2016 à Paris et de l’attitude d’un SO de la CGT.

Jeudi 24 mars 2016. À Paris, il fait gris, le printemps est là, mais il est timide. Aujourd’hui, c’est jour de manifestation contre le projet de loi Travail du gouvernement Valls. C’est la troisième journée de mobilisation, après le beau succès du 9 mars et la gymnastique du 17. Rendez-vous est donné à 12 h 30 à la gare Montparnasse pour les organisations syndicales et les cortèges lycéens et étudiants, dont une bonne part bat déjà le pavé depuis 11 heures.

J’arrive sur place un brin en avance, mes camarades ne sont pas encore arrivés. Je sors un drapeau CGT (j’y suis syndiqué depuis plusieurs années) et je jette un premier coup d’œil pour prendre un peu la température et chercher l’emplacement du cortège de ma fédération syndicale. Bon, le constat est un peu déprimant : quelques camions et ballons syndicaux garés près des trottoirs, la circulation n’est pas vraiment coupée, on dirait bien qu’il n’y aura pas foule ce jour-là… La mobilisation s’essoufflerait-elle déjà ? Trop tôt pour le dire, d’autant plus que l’absence d’appel national à la grève bloque pas mal de travailleurs et de travailleuses au boulot, les empêchant de manifester aujourd’hui.

À 13 heures, la place finit par se remplir un peu plus, la CGT commence à occuper la route, les effectifs se gonflent. La police s’agite aussi, entame ses manœuvres : des camions de CRS et de mobiles arrivent, des lignes se forment. Au loin, le gros cortège lycéen et étudiant se dessine, précédé et partiellement encadré par des gendarmes un peu sur les nerfs. Il paraît que, ce matin, les manifestants partis de place d’Italie leur ont fait savoir tout du long du trajet qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans nos rues…

Le cortège de la jeunesse marche vite et dépasse ceux des syndicats, qui les regardent passer, mi inquiets mi rassurés par ces centaines de personnes qui viennent à point nommé renforcer l’effectif de la manifestation. Pour ma part, je suis plutôt content : l’après-midi s’annonce moins déprimante que prévue, moins morose, moins plan-plan. Les lycéens sont motivés : ils balancent des slogans avec enthousiasme, ils font voleter quelques drapeaux avec énergie. Certains se moquent aussi des flics, et notamment des types de la BAC, qui déploient beaucoup de violence depuis quelques semaines, le gouvernement cherchant très clairement à briser par la peur la dynamique naissante de mouvement social. Dans une ruelle, un passant qui veut rejoindre la manifestation passe devant trois flics en civil : un lui balance un grand coup de pied au cul, comme ça, gratos, tandis qu’un autre lui retire des mains la cannette qu’il portait, avant de le laisser retrouver les manifestants, en l’insultant.

Devant le cortège qui ouvre la manifestation, les flics gazent ; mouvement de foule, de recul, on en a tous plein les yeux, la bouche. Ça tousse, ça pleure, on sort les sérums. On se retrouve au niveau du premier cortège CGT et, rapidement, une ligne de mecs se forme, composée de gros bras badgés CGT. Bah oui, voilà le fameux service d’ordre (SO) de la centrale de Montreuil de sortie ! Le chef des flics, en civil, vient leur parler, ensemble ils font copain-copain ; c’est dégueu. Quand je m’apprête à rejoindre le devant de la scène – là où c’est un peu joyeux, où les esprits sont échauffés, où on n’entend pas se laisser dicter nos comportements de rue par la police –, un type du SO se précipite vers moi. Il a l’air un peu au taquet, le gaillard, et il me dit de ne pas aller plus loin. Je lui demande pourquoi et il me répond que, au-delà de cette ligne de gros bras, il n’y a que, je cite, « des casseurs qui veulent nous empêcher de manifester ». Je hausse les épaules, lui fais savoir que je m’en moque et je poursuis ma route. Un instant, je me demande s’il va me courir après pour me choper mon drapeau ; ce serait rigolo. Sauf que, dans le cortège des fameux « casseurs », il y a déjà quelques drapeaux CGT qui flottent… Il y a des camarades de SUD, aussi. Tout le monde est choqué de l’attitude de ce SO surprise qui montre très clairement sa raison d’être : empêcher les gens du cortège de devant de se mêler aux cortèges syndicaux et faciliter ainsi le boulot de la police, qui, si elle le souhaite, aura alors tout loisir d’aller choper ceux et celles qu’elle juge trop virulents. Je n’avais pas vu ça depuis longtemps, et ça fout la haine, encore plus quand ces collabos-là partagent ton affiliation syndicale…

Finalement, la manifestation s’élance vers Invalides, mais le SO veille à maintenir sa ligne, son « cordon sanitaire ». Je reste devant, et je ronge mon frein pendant tout le parcours, peinant à expliquer à mes petits camarades non syndiqués – que j’ai fini par retrouver – que ces connards-là ne peuvent pas représenter toute la CGT. J’ai aussi envie de balancer mon drapeau, que je me contente de mettre en berne.

Une chose est sûre, cette CGT-là n’est pas la mienne, et ne l’a jamais été. Ma CGT ne parle pas avec les flics pour les aider à serrer des manifestants, elle n’empêche pas des mômes qui en ont marre de bouffer du gaz de se réfugier dans un cortège un peu plus sûr. Non, ma CGT, c’est celle des Goodyear qui affrontent les flics à Amiens et qui séquestrent des patrons ; c’est celle qui arrache les chemises des DRH ; c’est celle qui, la veille, le 23 mars, a foutu tout un McDonald’s en grève et dans la rue ; c’est celle dont les élus, les militants et les militantes de base s’acharnent au quotidien dans leur boîte pour défendre leurs droits et ceux de leurs collègues ; c’est celle qui, ce matin, occupait les mairies des XVIIIe et XIIIe arrondissements parisiens ; c’est celle dont les militants refusent, comme à Roanne, qu’on leur prélève leur ADN ; c’est celle qui se solidarise de toutes les victimes de la répression et des violences policières. Je sais que cette CGT-là, solidaire et debout dans les luttes, qui n’affectionne pas les rôles de flicaillons, est celle de beaucoup de camarades. Et je ne serai pas de ceux qui donnent dans l’antisyndicalisme primaire ou qui crient à la trahison à chaque fois qu’ils voient un drapeau siglé. Mais je me demande si, un jour, les syndiqués qui ne tolèrent pas ces pratiques révoltantes sauront se rassembler pour faire face à ces SO de merde et les briser.

Guillaume
Un syndicaliste CGT énervé

 


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