Interdiction du spectacle de Dieudonné à Nantes : une défaite pour la liberté d’expression, la démocratie et l’humour

par NICOPOL
vendredi 10 janvier 2014

A l’heure où j’écris ces lignes, l’interdiction du spectacle de Dieudonné, prise par préfecture de Loire-Atlantique sur instruction du Ministère de l’Intérieur, dans un premier temps suspendue par le Tribunal administratif, vient d’être confirmée par le Conseil d’Etat. A l’heure où j’écris ces lignes, conscient du danger d’une provocation débouchant sur une violence qui lui serait imputée, Dieudonné appelle ses fans à rentrer chez eux paisiblement, en chantant la Marseillaise…

La première réaction qui me vient est le dégoût, et la honte pour mon pauvre pays. En France, en 2014, l’Etat peut donc faire interdire le spectacle d’un humoriste. En France, en 2014, l’Etat peut donner raison à tous les inquisiteurs de la bien-pensance qui veulent limiter la liberté d’expression parce qu’elle peut parfois leur déplaire. En France, en 2014, l’Etat peut faire taire un homme par la force administrative, contre la volonté de la grande majorité des français (je ne veux pas dire par là que la majorité des français trouve Dieudonné drôle, ou adhère à sa démarche ; je veux dire par là que la majorité des français sont contre l’interdiction de ses spectacles, tous les sondages, enquêtes, commentaires d’internautes le montrent).

En 2014, l’Etat français peut commanditer une justice d’exception (car il s’agit bien d’une justice d’exception : une décision du Conseil d’Etat, rendue dans l’heure qui a suivi l’arrêté du Tribunal administratif - !! - par un seul homme, Bernard Stirn, juge des référés - !!! -,) pour priver un citoyen français de ses droits, parce que celui-ci dérange une minorité de gens qui s’estiment offensés.

En 2014, en France, un Etat aux abois sur le plan de l’économie (chômage, désindustrialisation...), réduit à appliquer servilement les décisions de Bruxelles, à signer des traités transatlantiques catastrophiques pour ses citoyens, à s’humilier devant des Etats aussi démocratiques qu’Israël et l’Arabie Saoudite, soumis au dictat de lobbys communautaires de plus en plus extrémistes (hier les LGBT, aujourd’hui les juifs sionistes), souffrant d’une impopularité jamais vue et objet de tous les quolibets de la populace indocile, vient d’interdire l’expression d’une pensée humoristique insoumise et dissidente, certes provocante, certes parfois de mauvais goût, certes tombant parfois sous le coup de la loi, mais que l’on croyait protégée par le principe de liberté d’expression et d’opinion.

Dans le même temps, pourtant, sur LCP, l’avocat de SOS Racisme, Patrick Klugman, ancien Président de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et conseil de l'ancien PDG d’Elf Loïk Le Floch-Prigent, déclare défendre les FEMEN lorsque celles-ci se livrent à des actes de profanation sur des lieux de cultes chrétiens, déclarant à un Louis Aliot outré : « elles ne s’en prennent pas aux chrétiens, ça n’a rien à voir, c’est de la confusion ». Ainsi pour les chantres juifs de l’antiracisme et leurs soutiens omniprésents au sein de la classe politique, médiatique et intellectuelle, pisser dans une église, ce n’est pas attenter à la dignité des chrétiens ; mais pisser devant une synagogue ou un mémorial à la Shoah (ou faire un bras d’honneur quenellique, ce qui est encore moins vulgaire), c’est attenter à la dignité des juifs et appeler à la haine ? Et après on veut nous faire croire qu’il n’y a pas deux poids, deux mesures ?

Dans le même temps, il y a peu, la même gauche libérale-libertaire brandissait le drapeau de la Liberté d’expression pour justifier les caricatures de Mahomet publiées notamment dans Charlie Hebdo. J’avais moi-même soutenu la publication de ces caricatures, bien que les trouvant parfois de mauvais goût et inutilement provocantes, au nom de la liberté d’expression. Et après on veut nous faire croire qu’il n’y a pas deux poids, deux mesures ?

Aujourd’hui, je refuse de faire une discrimination entre les juifs, les musulmans et les chrétiens, d’avoir des valeurs à géométrie variable, de défendre des principes soumis à condition. Si Dieudonné doit être interdit, qu’il en soit de même des FEMEN et de Charlie Hebdo, qu’on assume le fait de vivre en dictature et tout ira bien : comme l’écrit Camus dans l’Homme révolté, « l’injustice généralisée est aussi satisfaisante pour l’homme que la justice totale ». Ce qui est insupportable, c’est la justice à deux vitesses, la justice qui donne droit à certains mais pas à d’autres, qui tolère une offense quand elle vise ou émane de certains, mais la réprime quand elle émane ou vise d’autres.

Dans le même temps, en Suisse et en Belgique, la Justice autorise les spectacles de Dieudonné. La Suisse a estimé qu’on ne pouvait juger par anticipation des propos qui n’avaient pas encore été tenus. La justice belge a affirmé quant à elle qu’ils n’étaient ni antisémites, pas plus qu’ils n’incitaient à la haine raciale. Sont-ce des pays nazis, antisémites, haineux, ou simplement de meilleures démocraties, de meilleurs états de droits, que la France de 2014 ?

Rappelons que l’argument invoqué par le Ministre de l’Intérieur est celui de l’ « atteinte à la dignité humaine ». Un obscur article de loi utilisé une seule fois à propos du fameux spectacle de lancer de nain (Conseil d’Etat en assemblée 27 octobre 1995 arrêt commune de Morsang-sur-Orge). Alors même que personne ne s’était plaint de ce spectacle et que le nain en question, Manuel Wackenheim, ne demandait, lui, qu’à continuer ces acrobaties qui lui permettaient d’éviter la misère d’une minable « allocation handicapé » ! Lorsque l’Etat décide de protéger le citoyen contre lui-même, de corriger une conduite librement consentie au nom de normes morales qu’il a lui-même édictées, forçant la population à s’y plier « pour leur propre bien » quand bien même le peuple ne les partageraient pas (mais le peuple est ignorant, on le sait depuis les Philosophes des Lumières comme Rousseau et Voltaire), c’est le monde totalitaire d’Orwell qui se profile…

Je m’interroge bien entendu sur le bien-fondé juridique de la décision du Conseil d’Etat. Attendons que des analystes compétents en la matière décortiquent cette décision – je pense notamment à Maître Eolas, qui, s’il s’est laissé aller à quelques divagations convenues sur la quenelle, supposée inspirée du salut nazi péniblement réfréné du Docteur Folamour de Kubrick (sans doute la thèse la plus grotesque sur la genèse de ce geste initialement potache), reste néanmoins rigoureux sur le plan du droit et s’était sportivement opposé à l’interdiction des spectacles de Dieudonné. Je me bornerai pour l’instant à relever que les droits de la défense n’ont a priori pas été respectés (le temps matériel n’étant pas laissé à l’avocat de Dieudonné, présent à Nantes, de se rendre à Paris pour l’audience du Conseil d’Etat ; la défense étant représentée par un commis d’office qui n’a donc eu qu’un temps ridicule pour préparer sa plaidoirie), et qu’il est pour le moins étonnant que, dans une affaire aussi complexe, médiatisée et attisant les passions, une décision aussi lourde de conséquences, supposée rendue eu nom du Peuple français, ait été laissée à la seule discrétion d’un unique fonctionnaire, employé de l’Etat nommé par le Président de la République (en l’occurrence Chirac en 2006) : c’est-à-dire tout, sauf un juge ou un magistrat indépendant garant de la séparation des pouvoirs si chère à Montesquieu. Je ne reprendrai par contre pas à mon compte les accusations des fans de Dieudonné selon lesquels la décision du juge des référés, Bernard Stirn, « Arrière-petit-neveu d'Alfred Dreyfus, de confession juive » selon sa fiche Wikipedia, aurait pu prendre une décision influencée par ses propres attachements communautaires, car cela serait trop grave pour la confiance qu’il me reste encore dans l’impartialité et la neutralité de notre gouvernement et de notre justice.

Je terminerai en citant cette dépêche du Président de la Ligue des Droits de l’Homme (officine de la haine réputée pour son attachement au IIIe Reich), Pierre Tartakowsky : « Le juge n'a pas fait prévaloir la liberté d'expression sur l'interdit et c'est une décision qui est lourde de périls ».

Certes, le fascisme de droite ne passera pas ; mais le fascisme de gauche non plus.

Source de la photo : https://www.facebook.com/dieudonneofficiel


Lire l'article complet, et les commentaires