J’aimerais tant pouvoir continuer à voter !
par Georges Yang
lundi 8 décembre 2008
Quel choix pour un intellectuel qui a encore envie de voter de nos jours ? Je ne serai pas aussi pessimiste que Georges Brassens qui, il y a déjà plus de quarante ans nous chantait : « Quatre-vingt-quinze fois sur cent, la femme s’emmerde en baisant ! ». Non, certes pas 95%, mais au moins 80% des intellectuels d’aujourd’hui s’emmerdent en mettant leur bulletin dans la fente !
Un discours populiste, binaire et simpliste, jadis réservé au Parti Communiste et au Front National, a envahi les tribunes et les plateaux de télévision. Que sont les Faure (Edgar), Barre, Pisani, Delors ou Rocard devenus ! Certes, ils ne devaient pas rédiger l’ensemble de leurs prises de parole et interventions, quoique avec ceux-là c’était fort possible ; mais quand on entend celles du sinistre Henri Guaino, la « plume » de Nicolas Sarkozy, on ne peut que gémir encore une fois et se dire avec le même Brassens : « Mais où sont les « nègres » d’antan ! » dans les deux sens du terme.Le Parti Communiste, celui de Duclos et de Marchais, avec leur complice cégétiste Krasucki, s’adressait à un électorat populaire, issu du monde du travail. A cette époque, l’immigration n’avait pas encore produite des électeurs d’origine étrangère, et leur langage était adapté à un peuple de travailleurs blancs, à des français dits de souche qui pour la plupart avaient arrêté l’école au niveau du Certificat d’Etudes et travaillaient en usine ou en atelier.
Les petites phrases, l’ironie et la gouaille d’un Marchais ou d’un Krasucki galvanisaient une bonne partie de cet électorat populaire qui savourait leurs bons mots et leurs passages épiques à l’écran de l’ORTF. Ce choix était délibéré, résultat d’une stratégie et d’un apprentissage permettant de diffuser la dialectique marxiste avec un maximum d’efficacité. Ceux de mon âge se souviennent de scores nationaux supérieurs à 25% et de résultats atteignant parfois plus de 60% dans des fiefs ouvriers de la Ceinture Rouge autour de Paris.
Le paysage sociologique de la France ayant radicalement changé, il est normal que les résultats du PC soient tombés bien bas, c’est-à-dire insignifiants. Les fils et filles des ouvriers blancs sont aujourd’hui employés du secteur tertiaire ou petits fonctionnaires et ont voulu entendre un autre type de discours. Le langage populaire n’était pas adapté aux nouveaux prolétaires issus de l’immigration en situation de voter car ce mode d’expression ne se rattachait pas à leur vécu et à leur ressenti social et culturel.
La télévision, toujours très présente dans les foyers des classes laborieuses, a aussi changé les manières de s’exprimer et les vieilles ficelles de Georges Marchais sont de nos jours obsolètes.
Jean-Marie le Pen a bien essayé de récupérer cette basse ouvrière désemparée, avec un certain succès de la fin des années 70 jusqu’en 2002, mais cette base n’a jamais dépassé les 25%, sauf dans certaines localités spécifiques où le leader du Front National a accumulé le vote protestataire, sans réellement convaincre au niveau des idées. Même si malgré ses subjonctifs et ses plus-que-parfaits, il ait très vite compris qu’une approche maurassienne aurait nui à sa lisibilité.
Alors se sont engouffrés dans le vide laissé par ces deux partis qui s’adressaient autrefois aux couches sociales les plus défavorisées, les Sarkozy, Royal et Besancenot qui ont ratissé plus large en mordant sur les classes moyennes, celles qui ne lisent ni l’Humanité ou National Hebdo. Ils se sont adressés aux téléspectateurs de TF1, aux lecteurs du Parisien, du Figaro, mais aussi à ceux de Closer et de Voici. Ils ont réussi à séduire ceux qui regardent Julie Lescaut, et la Star Academy.
Le langage s’est modifié avec l’aide de conseillers en communication. Les Séguéla et autres Besnehard se sont instaurés les gourous des nouvelles stars et même Olivier Besancenot a du mettre au placard la vieille dialectique trotskiste si chère à Alain Krivine pour pouvoir se faire entendre et passer à la télévision. Arlette a brusquement pris un coup de vieux et aujourd’hui, elle n’inspirerait plus Alain Souchon.
Mots simples, pour ne dire simplistes, sous-entendus triviaux, personnalisation du discours, mise en avant de soi ont remplacé l’argument politique.
Les interventions de Nicolas Sarkozy, qui utilise à qui mieux mieux les moi-je, les roucoulades de Royal qui après un néologisme rêve tout haut d’un nouveau compagnon, un prince charmant, mettent au second plan toute réflexion politique. On amalgame inflation et coût de la vie et l’on parle de « vie chère » pour faire peuple. On déclare, « c’est tout de même étonnant ! », comme si on prenait un demi au zinc avec des collègues de bureau. Presque de quoi regretter le grain qu’il n’y a plus à moudre et le compte qui n’y est toujours pas de la vieille époque du syndicalisme ouvrier. C’est quand on n’a rien à dire qu’il faut le dire très haut si l’on veut être écouté. Le règne de l’incantation à minima, déclamé sur un ton badin avec des effets d’annonce qui remplacent les décisions, voila ce que l’on nous sert à longueur de journal télévisé.
Que retient l’électeur des passages des deux stars de la politique au « petit écran » qui est devenu un écran plat payé à la sueur des Assedic ? La montre de Sarkozy et la coiffure de Ségolène, les robes de Rachida Dati et le Vélib de Delanoë ! Si Mitterrand et Chirac inspiraient Les Guignols de l’Information, il semble que se soit maintenant les Guignols qui inspirent les personnages politiques du moment. D’ailleurs, Delanoë faisait penser indéniablement à sa marionnette après son échec au congrès socialiste, quand il a boudé avant de rejoindre trop tardivement Martine Aubry. On s’attendait à ce qu’il dise qu’il avait le meilleur dossier, comme après sa déconvenue aux jeux olympiques.
Peut-être pour 2012 aurons-nous droit à une campagne à l’américaine avec ballons de couleurs et majorettes épouses et concubins en guest stars. On a déjà commencé en 2007 avec les grands rassemblements au Zénith, au Palais des Sports avec chanteurs et vedettes. Bientôt les feux d’artifices au Trocadéro avant le résultat final, la Mutualité étant devenue ringarde. Seule la limitation des frais de campagne et le plafond des financements privés peuvent sauver les Français des ridicules et flamboyants meetings si chers (dans les deux sens du mots) au cœur des Américains. Il est désormais plus important de savoir si Johnny Hallyday, Arditi, Cali, Doc Gynéco ou Faudel seront présents que d’analyser la teneur du discours prononcé. Cela dit, vue la platitude et la pauvreté des arguments émis lors de ces grands rassemblements, il est souvent préférable d’écouter une célébrité qui chante faux ou en play-back.
Alors que reste t’il à ceux qui parlent encore un français subtil, qui ont le sens des nuances et de la complexité de la vie politique, qui lisent encore des livres autres que ceux des deux Lévy, Marc et Bernard-Henri, qui croient en l’intelligence au pouvoir ? Il n’y a pas grand-chose pour redonner espoir à ceux qui considéraient Dominique de Villepin ou Strauss-Kahn comme de véritables hommes politiques. Il leur reste Bayrou comme choix de substitution ou la fille de Jacques Delors qui le temps venu risque d’être balayée par les adhérents à vingt euros au profit de la sirène du Poitou.
C’est l’opposition entre la Marseillaise, chant révolutionnaire écrit par un érudit à La Carmagnole et au Ah ! Ca ira chantés par les tricoteuses qui regardaient tomber les têtes sur l’échafaud de la République. Ont ne coupe plus les têtes en France, mais la parole à ceux qui ont encore quelque chose d’intelligible à dire.
Il nous reste tout juste trois ans pour nous ressaisir, revenir aux fondamentaux de la politique, oublier Pimprenelle et le bling-bling. Arrêtons la politique spectacle, les incantations, les vœux pieux et les effets d’annonce. Trois ans c’est court, mais comme dirait Sardou, autre grand analyste politique : « Mais la France c’est aussi un pays où y’a quand même pas cinquante millions d’abrutis ». En 2012, nous serons soixante cinq millions, il en reste donc quinze pour aboutir à un changement, c’est mieux que rien !
« Les pauvres bougres convaincus, du contraire sont des cocus ! » dirait encore Brassens !
Il leur reste l’amertume de vivre à l’écart de la place publique, loin des trompettes de la renommée qui sont de plus en plus mal embouchées.