L’État au service de la classe dominante

par Robert Bibeau
samedi 6 août 2016

L’objectif de Tom Thomas dans ce volume « Étatisme contre libéralisme ? » (1) est de combattre l’utopie étatique. Une utopie largement sacralisée par la droite et par la gauche bourgeoise à travers les luttes électorales auxquelles elles convient les militants et les prolétaires dans le triste espoir d’accéder à la direction de l’État-major de la bourgeoisie et de devenir des affidés des oligarques financiers.

Tom Thomas y démontre que l’État ne peut être le moyen d’une solution à la crise économique systémique du capitalisme et à ses effets catastrophiques, « pour la raison qu’il ne peut pas être autre chose que l’organisateur essentiel de la reproduction du capitalisme (c.-à-d. des rapports sociaux capitalistes) et de plus en plus essentiel au fur et à mesure de son développement historique ». Le livre démontre que, pire encore, « tout renforcement du rôle de l’État bourgeois ne peut être qu’un renforcement de la dépossession des travailleurs des moyens de leur vie, un renforcement de la domination sur eux du capital (éventuellement étatisé) et de ses représentants, les bourgeois (appelée par Marx « les fonctionnaires du capital » parce qu’ils ne font qu’en exécuter les lois). Cela quelles que soient les promesses de démocratie « participative », « citoyenne », « républicaine », ou autres qualificatifs qu’on y adjoint comme pour admettre qu’elle n’est rien ! » (2)

Le volume démontre que cet étatisme capitaliste contemporain « n’est pas un fait du hasard, un choix parmi d’autres, mais qu’il manifeste une tendance au totalitarisme inhérente à l’essence même de l’État et dont le plein développement accompagne nécessairement celui du capital arrivant à son âge sénile », arrivant dirons-nous à son stade ultime – impérialiste – qui exige, comme on l’a vu à maintes reprises dans l’histoire, un appareil de gouvernance totalitaire pour ne pas se défaire et s’écrouler.

L’État n’a pas été créé spécifiquement pour favoriser certains individus, pas même une classe sociale en particulier, mais parce que nécessaire pour reproduire une société dans son ensemble (au nom du soi-disant intérêt général) ; société dans laquelle une classe est dominante parce que propriétaire des moyens de production, d’échanges et de communication. C’est en s’attachant à reproduire ce qui fonde cette société que l’État fait valoir les intérêts de la propriété privée sur le capital, et crée les conditions de la destruction de ce mode de production en le collectivisant à travers une classe sociale minoritaire, l’aristocratie financière capitaliste, de laquelle sont exclus toutes les autres classes et fractions de classes y compris la petite bourgeoisie rejetée et paupérisée, d’où sa frustration et ses protestations.

C’est en ce sens que l’État est «  la forme par laquelle les individus d’une classe dominante font valoir leurs intérêts communs et dans laquelle se résume toute la société civile d’une époque » (3). Mais cette forme provient elle-même de ce que les individus bourgeois ne peuvent administrer et gouverner eux-mêmes, directement. C’est par et dans l’État que les individus bourgeois s’organisent en classe dominante, unifiant leurs différentes fractions, et garantissent leurs intérêts essentiels – le capital et sa reproduction élargie – finalité du développement de ce mode de production (4). Ils doivent passer par cette forme singulière, donner à ces intérêts particuliers une forme politique extérieure à eux comme individu – mais jamais en tant que classe – (même si, évidemment, ils l’influencent fortement par toutes les ressources qu’ils détiennent), devant apparaitre formellement comme la volonté sociale générale et, pour cela, se légitimer aussi auprès des classes dominées «  C’est justement cette contradiction entre l’intérêt particulier et l’intérêt général qui amène l’intérêt collectif à prendre, en qualité d’État, une forme indépendante, séparée des intérêts réels de l’individu et de l’ensemble et à faire en même temps figure de communauté illusoire… Précisément parce que les individus ne cherchent que leur intérêt particulier qui ne coïncide pas pour eux avec leur intérêt collectif… cet intérêt est présenté comme un intérêt qui leur est étranger, qui est indépendant d’eux… » (5).

Ce qui frappe le plus dans cette évolution de l’État vers des formes qui tendent à le faire apparaitre comme le représentant des intérêts de toute la société civile (sic), comme au-dessus des classes, des fractions de classes, et des intérêts particuliers, ce sont deux choses : Premièrement cette évolution fut inéluctable. L’État bourgeois n’est donc pas le fruit de circonstances particulières et momentanées, il est surtout, bien au-delà du cas concret particulier du totalitarisme, le fruit incontournable d’une évolution en profondeur du mode de production capitaliste lui-même, ce qui fait que non seulement cette domination de l’État sur les individus et sur les intérêts particuliers n’a cessé de s’affirmer, mais une évolution similaire s’est produite ailleurs, avec la même transformation du mode de production capitaliste, indépendamment de circonstances historiques régionales. Deuxièmement, concernant le procès de construction de l’État bourgeois de sa forme démocratique bourgeoise à sa forme totalitaire bourgeoise, ce n’est pas le fait qu’un dictateur y exerce un pouvoir despotique qui est le plus significatif, mais justement, au contraire et contrairement à ce que propagent les médias à la solde, que la personnalité de ces despotes n’a aucune importance. Hitler, Staline, Mussolini, Franco ou Hirohito, l’État joue son rôle normal dans le développement « normal » de la société bourgeoise dans un capitalisme en crise systémique sur laquelle il n’a aucun pouvoir en définitive. Comme l’observe judicieusement Marx, avec ses millions de fonctionnaires l’État bourgeois forme « un effroyable corps parasite qui recouvre comme d’une membrane le corps de la société française et en bouche tous les pores » (6). Cet énorme appareil bureaucratique, si imposant aujourd’hui – jusqu’à faire penser à un mystique « État providence » égérie de la petite bourgeoisie – fonctionne par lui-même comme une machine automate, et pourvu qu’on le nourrisse copieusement d’impôts, avec ses appareils, son langage, ses règles, ses automatismes aveugles, et son monopole de la violence légale. Il fait ce pour quoi il a été construit : organiser la reproduction de la société capitaliste, et particulièrement assurer la reproduction de la force de travail source de la plus-value et du capital, de sorte que n’importe quel gouvernement – président – Premier ministre – peut se trouver à sa tête, la machine marchera plus ou moins bien, mais produira à peu près toujours les mêmes résultats. N’importe quel polichinelle peut faire l’affaire ! Georges Bush, Barack Obama, Hilary Clinton ou Donald Trump, peu importe puisque maintenant l’État est un appareil indépendant des individus et des factions qu’il gouverne, et même aussi de ceux, les élus, qui le gouvernent. « Semble, car répétons-le, indépendant des individus ne veut pas dire indépendant de la société capitaliste, donc des intérêts de la classe qui en est la bénéficiaire et y domine en réalité. L’État est bien responsable de la reproduction du capitalisme, c’est même sa seule fonction (et c’est bien pourquoi ce sont les exigences générales du capital qui gouvernent les gouvernants, du moins dans la mesure de ce qu’ils en comprennent, de l’influence plus particulière de tel ou tel secteur capitaliste à tel ou tel moment, etc.) Indépendant, cela veut dire aussi que ce ne sont pas nécessairement les capitalistes eux-mêmes qui « règnent » au sommet de l’État, qui joue son rôle par lui-même, indépendamment des hommes qui se succèdent à sa tête et des formes plus ou moins démocratiques ou despotiques qu’il revêt » (7).

« En Allemagne, la construction de l’État-nation intervint plus tard avec Bismarck (qui avait pris des leçons de Napoléon III, qu’il admirait, comme ambassadeur à Paris). Compte tenu du retard du capitalisme allemand, donc de la faiblesse de sa bourgeoisie relativement à la survivance de forces aristocratiques (propriété foncière), et de divisions territoriales relativement forte, il dut l’effectuer « par le haut », le pouvoir monarchique organisant lui-même l’accouchement d’une société capitaliste et de l’État correspondant, sur le gouvernement duquel l’empereur gardait de ce fait une forte emprise. L’alliance avec la classe ouvrière fut là aussi nécessaire pour briser les résistances des aristocrates et des forces conservatrices, mais elle ne surgit pas du « bas », dans l’insurrection. C’est l’État qui l’organisa à sa façon (cf. par exemple le Kulturkampf 1873-1879). C’est l’aristocrate et autocrate Bismarck qui fit voter les premières lois sociales en faveur des ouvriers d’industrie : assurance maladie (1878), assurance contre les pertes d’emploi dues aux accidents du travail (1884), assurance vieillesse invalidité (1889). Par ces lois sociales, il voulait organiser l’intégration pacifique, mais aussi entièrement disciplinée et soumise, du prolétariat (…) En Angleterre, la bourgeoisie, déjà ancienne et puissante, crée d’abord par elle-même des sociétés de secours mutuel pour ses ouvriers (plus de 4 millions de membres vers 1870), et des sociétés philanthropiques pour les pauvres. Mais la charité bourgeoise étant tout à fait insuffisante à entretenir une force de travail nombreuse et surexploitée, c’est l’État qui là aussi devra prendre progressivement en charge cette fonction (comme il avait d’ailleurs commencé à le faire par les Poor Laws de 1642 et 1834). Finalement, dans tous les pays capitalistes à partir de la fin du 19e siècle, «  l’Etat va peu à peu supplanter les groupements privés dans la sphère de la reproduction sociale… », avec toutes sortes de nuances « mais le plus souvent sur le modèle des assurances sociales « inventées » par l’Allemagne de Bismarck » (8).

C’est l’État, plus que le mouvement ouvrier, qui avait l’initiative. «  Dans quasiment aucun pays, durant cette période, le mouvement ouvrier n’a joué un rôle en tant qu’initiateur et supporteur actif et enthousiaste des assurances sociales » (9). C’est que nombre d’ouvriers voient encore l’État comme purement répressif, exclusivement au service des bourgeois, un ennemi dont il ne peut ni ne doit rien attendre (sinon le pire comme l’avait démontré l’écrasement de la Commune de Paris). L’autre motif pour expliquer la suspicion ouvrière vis-à-vis ces plans d’assurances et d’assistance sociales c’est que les travailleurs actifs (en emplois) savent pertinemment que ce sont eux qui défraieront ces programmes par leurs cotisations. Récemment, aux États-Unis, un programme d’assurance maladie a été boudé par les ouvriers – surtout ceux que l’on appelle les « poors workers » – qui peinent à survivre avec leurs salaires de misère, ce que la gauche bourgeoise a dénoncé, se portant ainsi au secours du Président américain « charitable ». Pendant ce temps, l’État bourgeois est tenu d’assurer les conditions de reproduction élargie du capital. La première de ces conditions, en phase montante du développement capitaliste – à son stade ultime impérialiste – juste avant le grand basculement – c’est de reproduire le capital variable – vivant – prolétarien, sinon aucune plus-value ne sera produite et aucun capital ne sera valoriser, ni ne pourra être distribué et réinvesti. L’État providence n’est que la réponse particulière que les rapports de production capitalistes ont engendrée pour assurer la reproduction élargie du capital. L’État providence, éphémère, n’est pas une conquête de la classe ouvrière comme le laisse entendre la gauche bourgeoise qui aujourd’hui tente de mobiliser les prolétaires pour qu’ils se battent pour maintenir ces « privilèges » temporairement accordés, les emplois syndicaux, les emplois en ONG subventionnés et les jobs des clercs gestionnaires de ces programmes d’assurance et d’assistance publics.

À partir du moment où le capital variable – vivant – ouvrier – est devenu trop abondant par rapport aux besoins du capital constant à valoriser, dans le monde entier l'État bourgeois a changé de politique pour s’orienter vers le « néolibéralisme » comme l’appel la gauche déjantée, il est devenu l’État du rationnement et de l’austérité. En effet, pourquoi assurer la reproduction élargie d’un capital vivant surabondant ? On perçoit ici toute la fumisterie des protestations gauchistes visant à conquérir de nouveaux « droits sociaux », à maintenir les « droits acquis » et à conserver les « conquêtes ouvrières » des périodes de prospérité. Sous la crise économique systémique du capitalisme il n’y a plus de pseudo « droits acquis » qui tiennent, sauf le droit acquis du capital d’assurer ses profits à tout prix.

Préoccupé par nature de son seul profit immédiat, et d’ailleurs obligé de le faire par la concurrence immanente, le capitaliste individuel ne s’occupe que de consommer le plus de travail salarié au moindre cout, et il ne s’inquiète pas de sa reproduction, persuadé qu’il trouvera toujours les bras dont il a besoin pour « profiter ». Il a fallu longtemps aux plus lucides d’entre eux pour comprendre que les conditions de misère et d’avilissement épouvantables des ouvriers des débuts du capitalisme étaient un frein, un danger mortel, pour le système capitaliste lui-même, et que le capital avait besoin d’une force de travail apte, en bonne santé, éduqué et former pour performer avec forte productivité. Chaque capitaliste ne pouvant affronter seul l’organisation militante du prolétariat ce qui oblige à des réponses au niveau de l’État comme l’ont prouvée les montés de fièvre ouvrière insurrectionnelle. Bref, l’État doit intervenir de plus en plus pour réunir les conditions de valorisation du capital, aussi bien en prenant en charge divers investissements lourds (chemins de fer, ports, oléoducs, aéroports, réseau électrique) que la reproduction de la force de travail (éducation, santé, sport, loisirs) et la gestion de la lutte des classes (formule rand, comités paritaires et subventions aux organisations syndicales et associatives).

Tom Thomas signale qu’« avec les lois sociales, l’État devient petit à petit un gestionnaire du rapport salarial qui s’impose comme le rapport social dominant. Ce qui était naguère soi-disant des contrats purement privés entre individus réputés « égaux » devient ainsi contrat social étatisé. L’État produit et impose par la loi le contrat social et salarial, de sorte qu’il semble que l’État joue le rôle d’une puissance arbitrale, qui pourrait décider de favoriser les salariés pour peu que les résultats électoraux portent leurs représentants au pouvoir. En réalité, il ne fait, par ces lois, que leur redistribuer une petite partie des richesses qu’ils ont produites et qu’il a confisquées (…), mais après s’être lui-même copieusement servi au passage. Il ne fait qu’organiser une mutualisation des risques entre les travailleurs, mais sans eux. L’ouvrier accidenté, malade ou chômeur ne demandera plus justice… en descendant dans la rue. Il fera valoir ses droits auprès d’instances administratives… Mais cela (ces droits) ne lui donne aucun pouvoir sur la direction de l’entreprise ou sur l’État  » (10). Pire, dirons-nous, même si, à la faveur d’une élection, un parti soi-disant ouvrier décroche le pouvoir d’État bourgeois, il ne pourra qu’appliquer la politique capitaliste qui s’impose compte tenu de la conjoncture économique de crise. S’il ne le fait pas, ce parti sera battu aux élections suivantes dans un État en faillite et au milieu d’un « backlash » politique catastrophique. Le mode de production capitaliste a ses lois qui ne souffrent aucun passe-droit.  

Certes, le capitaliste peut geindre que ces prélèvements de cotisations sociales par « l’État providence » (sic) est un cout salarial qui vient réduire la part de surtravail qu’il pourrait convertir en profit pour lui. « Il peut protester que l’État se fait payer fort cher pour assurer ce service, que la productivité de sa bureaucratie est très faible. Mais c’est une part qu’il doit accepter de lui laisser, malgré qu’il la convoite, pour prix de son incapacité à organiser par lui-même la reproduction de la force de travail et du rapport salarial. Il peut pester contre l’État, vociférer comme Harpagon après sa cassette et crier comme lui qu’on l’assassine, la socialisation étatisée des risques (accidents du travail, maladie, santé, etc.) lui permet de pouvoir puiser, dans le vivier de force de travail ainsi entretenue, celle dont il aura besoin à tel ou tel moment, qu’il trouvera ainsi, grâce à l’État qu’il maudit, disponible, apte, en état. Cette étatisation de la reproduction de la force de travail est une utilité pour le capital, quoi qu’en dise le capitaliste particulier qui en discute âprement le prix. Elle lui assure non seulement ce vivier sans lequel il ne pourrait pas produire de plus-value, et dans des conditions égalisées de concurrence, mais aussi l’entretien par les ouvriers eux-mêmes de « l’armée de réserve » des chômeurs si essentielle pour maintenir les salaires le plus bas possible. L’ouvrier quant à lui est assuré d’un certain revenu en cas d’aléa, ce qui est évidemment un mieux  » (11), mais dont certains travailleurs, moins conscients, ont tendance à gratifier l’État qui l’organise alors que c’est l’ouvrier qui le finance en totalité, ce qui est un des facteurs qui amène, bureaucrates syndicaux et petits bourgeois de gauche, à réclamer toujours plus d’État bourgeois. Ce que ne font pas les ouvriers plus conscients qui se désintéressent de l’État, de son parlementarisme, de sa gouvernance et de l’électoralisme, ce qui est un signe de maturité politique de la conscience de classe prolétarienne contre lequel s’échine la gauche moyenne.

Ce mouvement d’étatisation s’est consolidé au cours du 19e siècle, pour s’affiner par la suite, poussé par tout ce que les pays occidentaux comptaient de socialistes, de communistes, et de gauchistes. En prenant en charge de plus en plus de fonctions, et notamment la gestion du rapport salarial, et même l’activité de grève (loi antiscab, règlementation des activités de grève, injonction et judiciarisation des luttes syndicales, droit du travail) « l’État apparait en même temps comme une puissance indépendante arbitrale au-dessus de tous les individus (hors classe sociales) et décidant pour eux, pour le mieux pour chacune des « parties ». En même temps, cela exige le développement d’un appareil spécialisé énorme, formellement à part, qui ne se présente plus ni comme l’association des citoyens, ni même comme simple appendice patronal. À la racine de ce mouvement, il y a la croissance industrielle, le développement de la machinerie et la concentration du capital que cela implique, la propriété privée devenant propriété capitaliste collective (sociétés par actions). Le capital s’affirme comme rapport de classes : moyens du travail socialisés, mais dans une propriété capitaliste elle-même collectivisée aux mains d’une classe privilégiée. De sorte que l’ensemble des conditions de la production se socialisant, échappant à toute maitrise individuelle bien que soit toujours affirmée la fiction de l’individu privé et de la production privée, elles doivent aussi être de plus en plus prises en charge socialement. Donc par l’État puisqu’il est le représentant de la société, de la puissance sociale que ne peuvent avoir les individus privés » (12).

L’essence du rapport que l’État entretien avec la société civile se confirme dans leurs transformations réciproques puisque l’État, en se développant, contribue à vider les individus de la société civile bourgeoise de leur puissance et de leurs responsabilités. Certes, on pourra toujours observer, comme preuve apparente de ce que l’État est aux mains de la bourgeoisie, que le personnel dirigeant de l’État est en général issu, à peu près exclusivement, des rangs bourgeois. Certes, car les connaissances, l’argent, l’enseignement, les idées et les modes de penser dominants, les relations, sont la propriété des bourgeois. Ils affirment dans l’État aussi ces divisions sociales. Mais d’une part, cela n’est pas toujours le cas, et il arrivera à la bourgeoisie de devoir « prêter » son pouvoir afin de conserver la société capitaliste dans son intégralité. On comprendra que les luttes que mena la gauche – toutes les gauches – pour maintenir le pouvoir bourgeois dans ses formes « démocratique-parlementaires » contre les formes autoritaires totalitaires (corporatisme, fascisme, militarisme, national-socialisme, stalinisme, colonialisme, etc.) fut une bataille d’arrière gardes dans lesquelles ils appelèrent au sacrifice suprême des milliers d’ouvriers en pure perte pour la révolution prolétarienne. La démobilisation des résistants de gauche à la fin des hostilités était inscrite dans les motifs de leur mobilisation. Il en sera de même aujourd’hui que l’on cherche à mobiliser les ouvriers pour contrer le terrorisme, contrer la Russie « postsoviétique », contrer le péril chinois, lançant le prolétariat d’Occident contre les prolétariats de ces contrées excentrées. 

Les fonctions de l’État bourgeois s’élargissent inexorablement, au détriment de la société civile, de ses organisations qui deviennent ses appendices subventionnés, entravés, des rapports privés qui sont de plus en plus régis par les lois et règlements de l’État de droit du profit, et qui en redemandent, étant ainsi graduellement dépossédées de tout pouvoir sur les conditions de leur existence. Ce que Marx voyait très bien dès 1852 quand il écrivait que l’accroissement «  (…) de la division du travail à l’intérieur de la société bourgeoise créait de nouveaux groupes d’intérêts, donc de la matière nouvelle pour l’administration de l’État. Chaque intérêt commun fut immédiatement distrait de la société, pour lui être opposé comme intérêt supérieur, général, arraché à l’activité autonome des membres de la société pour être l’objet de l’activité gouvernementale, depuis le pont, la maison d’école, la propriété communale d’une commune rurale, jusqu’aux chemins de fer, aux biens nationaux et à l’Université de France » (13). 

L’État de droit bourgeois est un monstre aux mains de la bourgeoisie cupide, et de serviteurs stipendiés du capital, ce qui ne signifie surtout pas que l’État pourrait être un instrument de développement aux mains d’hommes vertueux, dévoués, « de gauche » ou « de La gauche véritable ». L’État bourgeois, et c’est le seul état possible de l’État sous le mode de production capitaliste (même dans ses formes « socialistes » ou totalitaires) est par nature un rapport de dépossession, une forme particulière de domination, de répression et d’aliénation de classe, l’ultime aliénation. Cela d’autant plus qu’il absorbe progressivement une puissance sociale dont sont dépouillés, corrélativement, les individus et leurs associations.

Les prolétaires révolutionnaires ne doivent en aucun cas batailler pour prendre le contrôle d’une portion quelconque, d’une instance quelconque de la gouvernance bourgeoise, ce qui comprend les syndicats, les ONG et autres organisations de la société civile subventionnée stipendiée par l’État embourgeoisé. La révolution prolétarienne aura pour première tâche de détruire l’État bourgeois et ses dépendances.

 

 

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(1) Tom Thomas (2011). Étatisme contre libéralisme ? Démystification éditeur. Paris. 200 pages. Source URL : http://www.demystification.fr/les-livres-de-tom-thomas-2/etatisme-contre-liberalisme/

(2) Dans l’histoire, chaque mode de production s’est d’abord développé sous une gouvernance libérale, pour ensuite évolué – réagissant aux contradictions antagonistes mettant aux prises les forces productives et les rapports de production trop étroits – vers un mode de gouvernance autoritaire dans une veine tentative de réguler ces contradictions et de maintenir les anciens rapports de production de domination. Ainsi, le mode de production féodale a produit le régime royal aristocratique par cooptation seigneuriale jusqu’à l’imposture dynastique héréditaire de droit divin (sic). Ainsi, le mode de production capitaliste a produit le démocratisme électoraliste bourgeois jusqu’au totalitarisme fasciste et ses variantes de l’Ère de l’Impérialisme déclinant. 

(3) Karl Marx (1968). L’idéologie allemande. Éditions sociales. Paris. Page 74.

(4) Robert Bibeau (2016). La finalité du mode de production capitaliste. http://www.les7duquebec.com/7-au-front/217913/

(5) Karl Marx (1968). L’idéologie allemande. Éditions sociales. Paris. Page 31.

(6) Karl Marx (1969). Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Éditions sociales. Paris.

(7) Tom Thomas (2011). Étatisme contre libéralisme ? Démystification éditeur. Paris. 200 pages. Source URL : http://www.demystification.fr/les-livres-de-tom-thomas-2/etatisme-contre-liberalisme/

(8) Tom Thomas (2011). Étatisme contre libéralisme ? Démystification éditeur. Paris. 200 pages. Source URL : http://www.demystification.fr/les-livres-de-tom-thomas-2/etatisme-contre-liberalisme/

(9) François Xavier Merrien (2000). L’État providence. Que sais-je ? PUF. Page 14.

(10) Tom Thomas (2011). Étatisme contre libéralisme ? Démystification éditeur. Paris. 200 pages. Source URL : http://www.demystification.fr/les-livres-de-tom-thomas-2/etatisme-contre-liberalisme/

(11) Karl Marx (1969). Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte. Éditions sociales. Paris.

(12) Tom Thomas (2011). Étatisme contre libéralisme ? Démystification éditeur. Paris. 200 pages. Source URL : http://www.demystification.fr/les-livres-de-tom-thomas-2/etatisme-contre-liberalisme/

(13) Tom Thomas (2011). Étatisme contre libéralisme ? Démystification éditeur. Paris. 200 pages. Source URL : http://www.demystification.fr/les-livres-de-tom-thomas-2/etatisme-contre-liberalisme/

 


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