La caste des parlementaires

par Michel DROUET
vendredi 10 avril 2009

Lorsqu’il s’agit d’adopter une réforme proposée par le Gouvernement (audiovisuel, carte judiciaire, carte hospitalière, régimes de retraite, etc…) il se trouve toujours une majorité au Parlement pour la voter, quitte à ce que ces mêmes parlementaires, rentrés dans leurs circonscriptions, affirment haut et fort qu’ils sont en désaccord avec l’application de la loi faite par le « ministère » et qu’ils feront tout pour en éviter les conséquences locales.

L’union sacrée contre une réforme
 
S’agissant de la réforme des collectivités locales qui semble nécessaire, tant l’organisation actuelle semble illisible par nos concitoyens, on observait globalement une attitude quasi unanime de défiance des élus contre les propositions de la commission Balladur, chargée de plancher sur une simplification, avant même qu’elles ne soient rendues publiques.
 
Chaque élu, selon le territoire qu’il représente, dispose de son propre argumentaire pour combattre ces propositions. S’il est conseiller régional, il s’élèvera contre l’intégration des départements dans la Région. S’il est conseiller général, il combattra la minimisation du rôle du Département, s’il est conseiller municipal, il refusera le renforcement des intercommunalités au détriment de la commune. Il n’y a guère que les Présidents des intercommunalités qui seraient transformées en métropoles qui voient quelques avantages à cette réforme et ils ne sont pas nombreux à espérer ce nouveau statut.

Qu’est-ce qui fâche nos élus ?
 
Cette proposition de réforme des collectivités locales est-elle si mauvaise qu’une grande partie des élus, quel que soit le parti politique auquel ils adhèrent, ainsi que leurs associations représentatives, la contestent déjà, avant même qu’un projet de loi soit soumis au Parlement ?
 
Si on prend la peine de lire les propositions de la commission Balladur, on constatera qu’elles n’ont rien de révolutionnaire. Elles s’attachent avant tout à diminuer quelques redondances, à vouloir favoriser les regroupements volontaires (on rêve !) de Régions ou de Départements, réduire les effectifs des exécutifs intercommunaux, modifier le régime électoral pour les départements et les Régions, clarifier les compétences entre collectivités et Etat ou bien encore réviser les bases foncières des impôts directs locaux et compenser la suppression de la taxe professionnelle.
 
Pour certaines d’entre elles, ces mesures ne nécessitaient pas de réflexion particulière de la commission. On pense par exemple à la suppression des services de l’Etat intervenant dans le champ de compétences des collectivités locales qui n’est que le constat d’un laisser faire de l’Etat qui aurait pu depuis longtemps redéployer ces services sur d’autres missions. On pense également à la révision des bases foncières, sans cesse repoussée de puis plus de vingt ans par les élus en raison des effets induits sur le corps électoral.
 
On aurait aimé par contre que ces propositions aillent plus loin en envisageant la suppression pure et simple d’un niveau de collectivité, en l’occurrence le département, collectivité coincée entre la Région et les intercommunalités et par conséquent devenue inutile.

La vraie raison d’une colère
 
Mais voilà, ce qui change par rapport au travail législatif habituel, c’est que ces propositions touchent directement les parlementaires à qui on demanderait en quelque sorte de se faire hara kiri, ce qui est pour eux inconcevable.
 
Donc, pas de suppression de collectivité qui aurait nécessité la modification de la constitution par une majorité qualifiée des deux tiers du parlement, introuvable bien entendu, sur ce sujet.
 
L’obstacle de la révision constitutionnelle étant écarté, reste cependant à faire avaler à nos parlementaires l’intégration progressive du Département dans la Région et la suppression des cantons et ce n’est pas gagné, puisqu’on annonce par l’application de cette mesure la suppression d’environ 2000 postes de conseillers généraux.
Là où on comprend tout, c’est que ces élus qui votent la loi sont pour beaucoup d’entre eux juge et partie sur le dossier de la réforme des collectivités locales, c’est-à-dire qu’ils cumulent, pour 86 % des députés et 73 % des sénateurs leur mandat de parlementaire avec un ou plusieurs mandats locaux. Autant dire que le grand soir n’est pas pour demain !
 
La dure vie des cumulards
 
Et ils aiment ça, le cumul, quittent à sacrifier leur vie de famille, comme l’affirment certains. D’autres vantent les mérites du cumul « qui donne un éclairage plus large des réalités ».Un autre indique « avec un seul mandat, l’élu ne dispose que d’une faible influence sur la décision politique et les règles du jeu, ce qui est source de frustration ». Chacun appréciera l’argumentaire…
 
Mais comment font-ils, nos cumulards pour être efficaces partout en même temps ? Certains affirment travailler plus de cent heures par semaine, ce qui doit quand même être une exception, d’autres zappent le travail parlementaire ou leur mandat local et s’en remettent à la sagesse du groupe politique qui trouvera bien quelqu’un à qui donner procuration lors du vote. Le résultat se mesure bien sûr au nombre de fauteuils vides lors des séances au Sénat en particulier, mais aussi à l’Assemblée Nationale ou bien dans les assemblées locales.
 
Au passage, ces chers cumulards, n’oublient pas de percevoir leurs confortables indemnités et avantages divers que leur confèrent leurs statuts et dont ils ne devraient bénéficier, pour le moins, qu’à condition de siéger dans les différentes assemblées dont ils sont les élus.
 
Ces élus multicartes et qui passent une partie de leur temps entre deux trains ou deux avions peuvent-ils vraiment ressentir ce qui se passe sur le terrain en période de crise, lorsqu’un de leur passe-temps favori consiste à assister aux vins d’honneur d’associations locales de pêcheurs à la ligne et à des inaugurations de ronds-points pour être en photo sur le journal local et ainsi assurer leur réélection ? Ont-ils le temps d’ingurgiter et de synthétiser les centaines de pages de textes et de rapports à partir desquels ils pourront voter de manière éclairée dans les différentes assemblées où ils sont élus ? Quelle est leur véritable efficacité sinon celle de leurs assistants parlementaires et de leurs partis politiques qui agissent en coulisse ?

En finir avec la rente de situation qui induit l’immobilisme
 
Le système a généré la situation dans laquelle nous sommes, avec une représentation dégradée du citoyen dans les assemblées pourtant censées porter leurs voix, et un conformisme politique qui est la règle si on veut durer.

Il a non seulement institué le cumul avec ses dérives, mais aussi une professionnalisation (avec régime de retraite spécial) de la vie politique encadrée par les partis, ce qui donne peu de chance au renouvellement. Certains élus d’aujourd’hui étaient déjà titulaires de mandats électoraux alors même que je n’étais pas en âge de voter (dans les années 70.. .). Ils sont la proie, parfois consentante, des lobbies qui font et défont des élections et qui les financent.

La démocratie mérite mieux que cette parodie. Notre pays s’honorerait en interdisant tout cumul de mandat national avec un mandat local et surtout en limitant, pour les parlementaires, leur nombre à deux périodes consécutives. Les élus pourraient ainsi retrouver, entre deux périodes sans mandat, les joies et vicissitudes de la vie professionnelle, de la vie associative et de la vie familiale, tout simplement. Ils n’en seraient que plus légitimes à se présenter pour un nouveau mandat après cette période de réflexion qui les aura fait replonger vers la vraie vie qu’ils ont tendance à oublier.

Ce système éviterait surtout de se retrouver dans des impasses, comme aujourd’hui sur la réforme des collectivités locales.
 

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