La citoyenneté ne s’apprend pas
par Orélien Péréol
mercredi 13 avril 2011
La citoyenneté appartient au citoyen. Elle lui donne la loi pour le protéger, la participation au débat politique, l’appartenance à la nation, la participation au système social (qui par ailleurs est donné aux résidents non-citoyens)… La citoyenneté n’est pas un comportement qui pourrait faire problème, problème se corrigeant par un stage. La citoyenneté ne saurait se trouver au bout d’un apprentissage, au bout d’une leçon, avec évaluation… La citoyenneté n’est pas un savoir. Elle ne se soustrait pas à celles et ceux qui n’auraient pas ce savoir.
Nous poursuivons le non-sens initié dans la loi de 2004, sur les signes religieux à l’école. Nous aggravons nos difficultés du vivre-ensemble « avec bonheur », je m’amuse. Ce mouvement de dégradation de la vie publique démarré en 2004 n’est pas fini. Nous en connaissons ces jours une nouvelle étape avec la création de stage à 150€ d’apprentissage de la citoyenneté.
La citoyenneté est un cadeau dans notre pays. C’est un cadeau que la collectivité, via l’Etat, accorde aux humains avant même leur naissance. La citoyenneté d’une petite personne qui vient au monde, dans notre pays, vient toute seule, elle n’a pas à être demandée. Elle est un héritage. Comme les quatre saisons, les plaines, les fleuves et les montagnes… Comme l’écriture, l’électricité, le chauffage en hiver… les congés payés… un humain qui nait hérite de tout cela. Il peut en jouir et cependant, il n’a rien fiat pour le faire advenir et il n’aurait rien pu faire pour empêcher que ce soit là, au cas où cela lui déplairait. Le petit humain va le découvrir peu à peu, se l’approprier. Dans cet héritage, certains « choses » sont des attributs, des chances, des droits, elles sont là même quand on ne pense pas à eux, qu’on ne s’en sert pas. D’autres « choses » s’approprient sans apprentissage, d’autres avec de petits apprentissages, d’autres enfin nécessitent des apprentissages longs et spécialisés. L’écriture nécessite un apprentissage en général fait dans une institution spécialisée, l’école… après on peut aller jusqu’au doctorat pour une appropriation « énorme ». Conduire une voiture, nager… nécessite de courts apprentissages. Allumer les lampes se fait « comme ça », les petits adorent appuyer sur le bouton et voir toute la montée d’escalier s’allumer d’un coup ! Quelle puissance dans un tout petit geste qui ne demande pas une adresse particulière !
La citoyenneté vient vers l’individu, elle l’entoure, le protège. La citoyenneté fait partie de la condition humaine dans notre société. Elle est le résultat de siècles d’histoire, de philosophie et de philosophes, de luttes pour un régime politique qui la porte et la garantit.
Depuis une funeste loi de mars 2004 (dite loi sur le voile à l’école), nous avons inversé, c’est-à-dit perverti, la citoyenneté, en inversant une de ses dimensions : la laïcité. Nous en avons fait une contrainte pour les citoyens et la permission pour l’Etat de nous commander nos façons de nous habiller !
A partir de là, nous avons détruit nos repères. Nous avons rompu avec notre histoire. Nous ne pouvons plus penser notre citoyenneté, nous sommes dans l’absurde, l’imbécillité au sens propre de ce mot. Je ne cherche pas dans l’emploi de ce mot à dire une insulte. L’imbécile est celui qui n’a pas de bâton pour conduire ses pas (bécile correspond à béquille, qui rétablit un bâton pour conduire les pas et bacille : un microbe en forme de bâtonnet). Nous avons cassé le paradigme pour le dire en termes universitaires.
Nous continuons d’employer le mot laïcité, alors que nous parlons en fait d’un athéisme d’Etat qui se comporte comme une religion d’Etat, une non-religion d’Etat. L’action d’un Etat religieux est guidée, pilotée par une religion. Cette religion est transcendante, l’action d’un « citoyen » (ou sujet) d’un Etat religieux est guidée par cette même religion. La transcendance de la religion s’applique conjointement à l’Etat et aux citoyens-sujets. En se servant du mot « laïcité » pour commander un comportement soi-disant laïque aux citoyens nous avons dévoyé la laïcité en un équivalent de religion. Nous avons dévoyé la laïcité en une religion d’Etat, à la fois non-religion (athéisme) et en conflit ouvert avec la religion (une en tout cas). Nous sommes entrés dans un impensable qui se développe en tous sens.
Nous ne pouvons qu’aller vers l’augmentation des heurts entre nous. Cette augmentation se fait par l’apparition de nouveaux objets de conflits (extension) et l’intensification des positions sur les objets de conflits déjà posés.
Nous avons ces jours une extension des problèmes liée à ce renoncement à nos valeurs avec une loi dite sur le voile intégral qui soit disant entre en vigueur. En fait, cette loi n’a aucune force, aucune vigueur. Son application n’est qu’un vaste problème. L’émission de France Inter du 11 avril, le téléphone sonne, porte sur la question de l’application de cette loi. On pourrait penser au roi, dans Le Petit Prince, qui ne donne que des ordres raisonnables, il ne commande pas à ses généraux de se faire abeilles car il ne serait pas obéi.
Une circulaire pour l’application de cette loi, demande à la police de faire de la pédagogie, « faire preuve de persuasion » quand elle rencontre une femme qui dissimule son visage. Les policiers doivent « apprécier avec discernement le contexte général entourant le déroulement du contrôle. » car c’est une loi soumise au contexte général local. Par exception, le contexte général est plus fort que la loi !
Qui décrit le contexte général pour expliquer une certaine application de la loi qui pourrait faire songer à sa non-application ? Les policiers ou gendarmes qui pratiqueront une application modérée, disons, de la loi. Emmanuel Roux, Secrétaire général adjoint du Syndicat des Commissaires de la Police Nationale, sur France-Inter, ce matin (http://sites.radiofrance.fr/franceinter/video/invite.php) : « on rejette sur le policier cette force de persuasion que (…) l’ensemble de la société, partis politiques, assemblée, n’a réussi à trouver jusqu’à maintenant… (…) Les policiers vont éviter la verbalisation parce qu’elle n’est pas très pédagogique. »
On peut noter au passage que la pédagogie qui aurait tué l’école, selon un discours sur l’école ultra-majoritaire, est passée à la police ! Qu’elle va tuer aussi (sourire) ce qui serait plus compréhensible car ce n’est pas son métier.
Dans ce renversement de la laïcité à 180°, quelque chose qui s’appelle la citoyenneté s’apprend dans des stages qui coûtent 150€ (sauf qu’on paie pour ne pas le faire). Ce dévoiement de nos valeurs est panique. Nous avons vendu notre âme (sic) ; de plus, si j’ose dire, celles et ceux qui ne le voient pas ou le veulent ainsi, perdront la guerre qu’ils veulent mener contre une certaine religion.