La démocratie participative, un label convoité par les maires français

par reclus
lundi 19 mai 2008

Nous avons cherché à établir la manière dont les maires français communiquaient numériquement sur la démocratie participative afin de comprendre s’ils endossent volontiers le rôle de maires participatifs. Notre enquête s’est appuyée sur les sites numériques des communes françaises de plus de 5 000 habitants, ce qui correspond à 1 881 cas[1]. L’objectif est de saisir les variables expliquant le fait que certains maires sont plus enclins que d’autres à communiquer sur les instruments de démocratie participative.


[1] La recherche a été menée avec Julien Dewoghélaëre à l’IEP de Bordeaux entre mars et décembre 2006.

Depuis quelques années, la démocratie participative est devenue une référence obligée du discours politique. Censée moderniser les institutions représentatives, la démocratie participative se caractérise avant tout par la mise en place d’instruments de démocratie délibérative tels que les conseils de quartier, les budgets de quartier, les ateliers d’habitants. En France, entre 1992 et 2003, différents instruments participatifs ont été créés comme les conseils de quartier que la loi du 27 février 2002 a rendus obligatoires pour les communes de plus de 80 000 habitants, le conseil municipal des anciens, le conseil municipal des enfants et des commissions urbaines sur l’avenir de la ville. Si les taxinomies diffèrent, la démocratie participative s’appuie essentiellement sur l’idée d’une contribution des habitants à la vie politique locale. Leurs interventions permettent d’aider les élus à prendre des décisions en connaissance de cause. Il est évident qu’en France la démocratie participative ne remet pas en cause le fait électif et qu’elle ne signifie en aucun cas le partage des décisions.

Nous avons cherché à établir la manière dont les maires français communiquaient numériquement sur la démocratie participative afin de comprendre s’ils endossent volontiers le rôle de maires participatifs. Notre enquête s’est appuyée sur les sites numériques des communes françaises de plus de 5 000 habitants, ce qui correspond à 1 881 cas[1]. L’objectif est de saisir les variables expliquant le fait que certains maires sont plus enclins que d’autres à communiquer sur les instruments de démocratie participative. Cette tendance à communiquer sur ces instruments est liée à la diffusion des nouvelles technologies, puisque les sites numériques des communes n’hésitent pas à afficher la modernité de ces outils. Nous avons écarté de notre enquête la communication sur des instruments de participation plus anciens tels que les commissions extra-municipales existant depuis la fin des années 1970 et dont le rôle a été reconnu par la loi du 6 février 1992. Ont été recensés les instruments tels que les ateliers d’habitants, les conseils consultatifs en tout genre permettant aux élus de prendre des décisions pour certaines politiques précises (conseils d’usagers, conseils communaux, etc.).

Notre enquête a été réalisée à partir de la consultation des sites numériques de communes à la fin de l’année 2006. Sachant que les données numériques évoluent et que certaines communes transforment régulièrement leurs sites pour mettre en valeur certains instruments de démocratie participative, nous avons souhaité effectuer une photographie de cette communication numérique à la fin de cette année. Dans notre échantillon, 24,2 % des communes n’ont pas de site numérique visible, c’est-à-dire que le gouvernement local n’y apparaît pas (présentation de l’équipe municipale et des fonctions de chacun des membres). Cela signifie que les trois quarts des communes ont un site numérique présentant un organigramme clair de l’équipe politique et administrative. Parmi les cas recensés, 13,6 % de communes affichent clairement des informations sur un instrument de démocratie participative, 4,6 % sur deux instruments au moins et 3,1 % proposent des techniques de participation très élaborées allant de forums interactifs à des formes régulières de contact avec le maire. Autrement dit, si nous nous référons uniquement à l’affichage numérique de la démocratie participative, près de 20 % des communes proposent des outils de participation aux habitants.

La première remarque que nous avons faite concerne la taille des communes : plus la taille augmente et plus la commune a de ressources et plus elle les investit dans la communication sur les instruments de participation des habitants à la vie locale. Dans les petites villes où la démarche participative effective est généralement plus poussée, la communication est un moyen d’avoir un retour symbolique auprès des électeurs sur des investissements participatifs réalisés. La configuration territoriale influe également sur la propension des maires à communiquer numériquement sur la démocratie participative. Par conséquent, à taille de ville égale, plus le département est urbanisé, plus la communication sur les outils participatifs est importante. Il semble que sur la distinction entre un territoire rural gouverné par un système politique plus hermétique au changement et un environnement urbain favorisant un leadership mayoral plus dynamique et innovateur sur un plan technologique (internet) ou/et institutionnel, la démarche participative conserve une certaine pertinence.

Le facteur intercommunal n’est pas non plus anodin dans la communication des maires, même s’il reste difficile à mesurer du point de vue quantitatif. Pour une petite ville, à taille égale, plus la structure intercommunale dans laquelle elle est intégrée est grande, plus les leaders mayoraux à leur tête communiquent sur la démocratie participative. L’échange d’expériences de politiques publiques et de moyens plus importants dans les plus grosses structures intercommunales facilite donc le recours à ce genre d’outils pour des maires aux budgets d’investissement limités. La communication sur la démocratie participative peut également permettre d’affirmer son rôle d’élu communautaire et de rendre visible l’importance de l’intercommunalité dans le développement des politiques publiques municipales.

Le dernier facteur expliquant l’affichage numérique des communes à profil participatif est celui de la socialisation. Ainsi, ce n’est pas tant l’âge des maires (les maires participatifs ont en moyenne 59 ans) que la date de leur entrée en mairie qui motive les uns à affiner leur discours participatif. En croisant les dates d’entrée en mairie lors des élections officielles avec les données sur les « maires participatifs », nous constatons que plus nous nous éloignons dans le temps des maires élus en 2001, plus la proportion des « maires participatifs » diminue, sauf entre 1983 et 1977. Nous savons que les municipales de 1977 ont été marquées par la victoire des partis de gauche qui promouvaient une idéologie d’autogestion et de démocratie participative. Certains auteurs[2] insistent sur la création de nouveaux moyens de communication de 1977 à 1983, comme l’apparition des télévisions locales, qui auraient permis aux maires de communiquer tout particulièrement sur la démocratie participative. Ce résultat témoigne alors d’une spécificité de la « génération 77 », plus encline à développer des stratégies participatives. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, l’étiquette partisane n’est pas aussi déterminante dans les stratégies de communication des maires français : parmi les maires communiquant sur la démocratie participative, 60 sont sans étiquette, 151 sont de droite et 189 de gauche. Cela prouve encore une fois que la participation est une norme partagée, dont l’héritage tient en grande partie aux associations des années 1960 promouvant la nécessité d’une démocratisation de la vie politique locale et aux tentatives institutionnelles de créer des espaces publics locaux permettant aux élus, aux associations et aux citoyens de se rencontrer.

Il est vraisemblable que la communication numérique des maires français sur la démocratie participative va se renforcer dans les années à venir, d’une part parce que la participation est un label recherché pour attester de la vigueur de la démocratie locale et d’autre part parce que les élus n’hésitent pas à utiliser les nouvelles technologies pour permettre aux citoyens de participer à la vie municipale. Dans le même temps, plusieurs obstacles sont à franchir quant à la communication des maires sur la démocratie participative : soit ces outils permettent seulement d’informer les citoyens qu’il existe des lieux de participation et alors l’aspect technique est limité soit les élus proposent des outils élaborés qui risquent de créer de facto une fracture numérique ayant des effets pervers sur la participation. De ce point de vue, la cyberdémocratie est déjà la sélection d’un public à l’aide de ces nouvelles technologies. Il est à espérer que les maires simplifient la carte des outils participatifs et qu’ils ne les multiplient pas pour faire de la surenchère au moment des élections. Mieux vaut des instruments clairement délimités et susceptibles de faire intervenir des publics différents que des outils créant des professionnels de la participation capables de manier ces instruments et d’entrer dans un dialogue constant avec les pouvoirs locaux. Notre étude s’est limitée à la communication numérique des élus locaux sur les enjeux de démocratie participative. Il est évident qu’il ne suffit pas de communiquer sur la participation pour être réellement dans la participation. En analysant les stratégies numériques de communication sur la démocratie participative, nous avons voulu comprendre la manière dont les maires français mettaient en avant leur rôle participatif. Une nouvelle catégorie est en cours de construction, celle de maire participatif qui vient s’ajouter aux catégories traditionnelles (maire animateur, maire manager)[3].



[1] La recherche a été menée avec Julien Dewoghélaëre à l’IEP de Bordeaux entre mars et décembre 2006.

[2] I. Pailliart, « Démocratie locale et nouvelles techniques », Pouvoirs, n° 73, 1995, pp. 69-78.

[3] Éric Kerrouche, « Les maires français, des managers professionnels ? », dans Gérard Marcou, Hellmut Wollmann (dir.), La Gouvernance territoriale, annuaire 2006 des collectivités locales, Paris, éditions CNRS, p. 91.


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