La désobéissance aux lois de la cité peut-elle être acte civique ?
par wieeinstlilimarleen
lundi 10 juillet 2006
Depuis la Seconde Guerre mondiale, il me paraît impossible de proclamer que la stricte application des lois est toujours humainement acceptable (je définis l’humainement acceptable par le truchement de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789). De fait, il n’était pas humainement acceptable de faire appliquer des lois racistes. Depuis lors, la plupart des professions ayant une mission de force publique prévoient que la désobéissance face à une autorité illégitime ou un ordre manifestement illégal est un devoir.
Étant d’un naturel légaliste, je trouve parfois délicat de définir à partir de quel instant la désobéissance revêt une coloration légitime, civique.
A priori, l’insubordination aux lois de la République, votées démocratiquement, signifie l’insubordination à la démocratie, à la souveraineté du pouvoir populaire. De fait, l’attitude est antisociale, elle renie les fondements de la société. Elle conduit au chaos, c’est-à-dire à la loi du plus fort selon laquelle chacun se pose en législateur et décide pour lui quelles règles il reconnaît.
Le régime de Vichy, nommé « l’État français », bien qu’apparu démocratiquement, ne proposait pas un modèle social démocratique. À bien des égards, je pense qu’il était positif pour la France de s’opposer à ce modèle social. Désobéir signifiait donc bien être antisocial, mais face à un social inacceptable. Antisocial mais juste.
La désobéissance peut donc être une forme de civisme lorsqu’on conteste radicalement la cité en tant que telle, qu’on en propose une autre. Mais la désobéissance devient inacceptable lorsqu’elle est le fait d’élus qui décident d’ignorer les lois de la cité qui leur déplaisent, tout en prétendant jouir d’un pouvoir légitime du fait d’un mandat électif de la cité. On ne peut pas se dire démocrate si on ne reconnaît au démos son cratos que tant qu’on partage son avis.
Jusque-là, finalement, le sujet est simple, vous en conviendrez.
Là où cela se corse, c’est dans le cas d’un régime qui est globalement correct, humain, acceptable, mais qui comporte des lois inacceptables humainement. L’association d’extrême-gauche Réseau éducation sans frontière, dont je ne partage pas les vues politiques, évoque avec une certaine pertinence le fait que : « Chacun a en mémoire les épisodes où face à des persécutions insupportables, chacun a dû faire des choix. Et où ne pas choisir était choisir de laisser faire. Et pas seulement dans les périodes de dictature. Rosa Parks, emprisonnée à Atlanta en 1955 pour avoir enfreint les lois ségrégationnistes, aurait-elle dû se soumettre au prétexte que ces lois avaient été "démocratiquement" prises ? » (lien).
Évidemment, je ne saurais m’opposer à ceux qui ont lutté contre la ségrégation raciale en bravant ses lois (lien). Ce qui peut paraître paradoxal. À moins de considérer que les États-Unis furent un pays aux fondements civiques contestables (ce qui peut se défendre, vu que le droit de vote n’était pas une évidence pour les noirs), de fait, suivant mon propos tenu plus haut, je devrais considérer cet acte comme inacceptable.
C’est donc que mon critère stipulé plus haut est parfois pertinent mais pas nécessairement. Je l’ai dit précédemment, la désobéissance est toujours antisociale - mais parfois, l’antisocial est positif, lorsque le social est humainement douteux. Dans quel cas le social est-il douteux ? Lorsque l’organisation sociale est anti-démocratique, bien sûr. Ou plus simplement lorsque l’organisation sociale nie tout ou partie de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Mon critère stipulé plus haut est donc trop restrictif : de fait, il pourrait être acceptable, même dans une démocratie, de donner dans l’antisocial, dans la désobéissance. Mais seulement si les lois que l’on conteste constituent une grave entorse faite à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Seulement si des lois anti-constitutionnelles sont votées (la Déclaration faisant partie intégrante du bloc de constitutionnalité). Il s’agirait de s’opposer à la société lorsque ses institutions ont conduit à renier gravement ses fondements.
Là est le scandale : la désobéissance civique est brandie par divers immodérés, néanmoins ces derniers n’ont jamais démontré l’anticonstitutionnalité des lois qu’ils contestent. Il n’a pas été prouvé que ce soit un droit de l’homme de pouvoir se marier avec tout être vivant existant sur terre, il n’a pas été prouvé que ce soit un droit de l’homme de pouvoir vivre dans n’importe quel pays sur terre. Ce n’est pas un droit primordial et vital pour un homme d’en marier un autre, ce n’est pas un droit primordial et vital pour un étranger de vivre en France. Ce sont des choix de sociétés. Et la seule manière légitime d’influer sur des choix de société dans une démocratie, c’est la législation, donc le respect strict de la loi, incarnation de la volonté du peuple.
En lisant pareille conclusion, peut-être vous direz-vous que l’éléphant accouche d’une souris. Néanmoins, je tenais à signaler l’écueil auquel je me suis moi-même heurté, consistant à croire qu’il suffit de caractériser un régime pour savoir s’il est juste d’ignorer ses lois. Non, le critère de fond, ce n’est pas l’organisation sociale en général, mais le respect des droits fondamentaux et vitaux des hommes, qui s’incarnent pour moi dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Pour autant, il ne s’agit pas de prendre cette déclaration comme un fourre-tout passe-partout, il convient d’en faire une lecture stricte et rigoureuse, pas du détournement militant.