La face cachée du projet de loi Création & Internet, dite « HADOPI »

par Olivier from Madinina
samedi 2 mai 2009

C’est le feuilleton législatif, tant au niveau national qu’européen, de l’hiver et du printemps 2009. Le projet de loi Création & Internet n’en finit pas d’être ridiculisé, par l’assemblée nationale, par l’assemblée européenne, par les acteurs du net et, de manière générale, par tous ceux qui ne fricotent pas, de près ou de loin, avec les industries musicales et du cinéma ou le gouvernement. Mais là n’est pas le sujet.

Que cette loi soit inapplicable, que l’autorité qui l’accompagne ne voit jamais le jour ou s’avère incapable de répondre aux objectifs fixés (faire baisser le téléchargement illégal et, mécaniquement, relancer la vente de musique et de vidéos), que le financement pour sa mise en œuvre ne soit jamais trouvé ou que les sanctions soient particulièrement impopulaires, le gouvernement n’en a cure. Car, contrairement à la DADVSI qui avait pour seul but de protéger (maladroitement, certes) le droit d’auteur dans un environnement nouveau (internet), le projet de loi HADOPI se fiche bien des intérêts des artistes et autres créateurs ou de priver un internaute de sa connexion. Ca, ce n’est que la partie immergée, celle destinée à faire passer le reste, en catimini.
 
L’HADOPI n’est liée qu’indirectement au droit d’auteur. Les sanctions encourues ne punissent pas le fait de télécharger illégalement un fichier soumis au droit d’auteur ou la possession d’œuvres contrefaites mais la non sécurisation par l’abonné de sa connexion internet, ayant entrainé une utilisation (ou une présomption d’utilisation) délictueuse de cette dernière. Même si la nuance peut paraître légère, elle est néanmoins très importante. Tout simplement par le fait que ce n’est pas le téléchargeur qui est visé, mais le titulaire de la connexion internet qui a permis le téléchargement. A l’heure du WIFI, de la 3G, du BLUETOOTH et de tous les protocoles sans fil plus ou moins bien sécurisés/sécurisables cette distinction est majeure. D’autant plus que ce projet de loi propose d’ériger en tant que preuve irréfutable d’identification de la l’abonné la seule adresse IP, malgré les risques de fraudes et d’usurpation maintes fois soulevés. Il devient alors facile de pointer du doigt un coupable idéal en cas d’infraction (ou de simple présomption) et, surtout, il va devenir très simple de lui imposer (pour se protéger juridiquement de problèmes inévitables) l’installation de logiciels destinés à contrôler l’activité de sa ligne ADSL. Logiciels qui, pour être efficaces, devront être de type « propriétaires » et donc forcément incompatibles avec les OS « libres », tel Linux. et, le plus souvent, payants On entre là dans le vif du sujet, avec un texte qui ne fait rien d’autre que de légaliser le filtrage de l’accès à internet depuis le poste de l’internaute, à des fins autres que sécuritaires, et par des organismes privés.
 
Contrôler la connexion internet des citoyens peut être acceptable en soi. S’il s’agit de sécurité intérieure (terrorisme) ou de protection de l’enfance. Sauf que là, ce n’est pas le cas. Il s’agit de contrôler l’activité de l’internaute dans un domaine directement lié à une activité lucrative privée. Excusez du peu. Et ce n’est pas tout. Le contrôle et la répression éventuelle de l’activité de l’internaute sort de la seule compétence d’un juge pour entrer dans celle (pour la surveillance) de sociétés privées, et (pour la répression) d’une autorité administrative dont la composition est déterminée par le gouvernement. Si l’on ajoute à ça que la CNIL ou l’ARCEP n’ont pas leur mot à dire dans ce système, on voit rapidement ce qu’il sera possible au gouvernement ou aux multinationales de retirer de cette loi ou de ses probables extensions futures à d’autres domaines. Sans parler de la gestion et de l’utilisation des données personnelles non encadrée. Voilà pour la partie filtrage.
 
Mais d’autres cavaliers sont insérés. L’un d’eux est particulièrement instructif. Toujours sous couvert de protection du droit d’auteur et de relance des marchés de la musique et du cinéma, la nouvelle autorité aura le pouvoir de labelliser des sites commerciaux privés et d’imposer aux moteurs de recherche le sur-référencement de ces sites labellisés. Après la mise en œuvre d’un filtrage voilà que l’on s’attaque à la neutralité du net en imposant une mise en avant systématique d’acteurs privés sélectionnés, certes indirectement, par le gouvernement. Imaginons un instant une extension (très simple une fois le principe admis) de cette logique législative aux sites d’information ou aux blogs, … et on se rend compte que l’on est bien loin de la problématique du droit d’auteur, mais plutôt dans celle de la liberté de choix du citoyen.
 
DADVSI était une loi mal ficelée, incohérente, inapplicable et sans les fondements technologiques nécessaires. Mais, au moins, elle disait ce qu’elle était et sa destinée de loi mort-née n’a pas modifié en profondeur notre vie en tant qu’internaute. HADOPI sera, peut-être elle aussi, une loi mort-née, mais nul doute que les brèches qu’elle va ouvrir dans la protection de nos libertés individuelles sur internet se feront ressentir très au-delà de sa simple (non) application. Et tout ça, sans proposer la moindre réflexion sur l’évolution de la méthode de rémunération des artistes dans un environnement totalement dématérialisé. Belle prouesse politique.

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