La Fondation Ostad Elahi et les abus de pouvoirs
par Richard Baudinier
mardi 29 mai 2007
La fondation Ostad Elahi (Ethique et Solidarité Humaine) ainsi que le réseau Anticor font partie des participants à un passionnant débat sur les abus de pouvoir.
En même temps, l’une des caractéristiques de cette période électorale est qu’elle fait apparaître un désir citoyen de plus en plus manifeste : celui d’un assainissement de la vie politique par plus de transparence et d’éthique.
L’exigence, le désir même, d’éthique fut partout : c’est ce désir qui, en un sens, nous a poussés aux urnes, comme pour accomplir un devoir citoyen. J’ai encore à l’esprit ces files d’attente de plusieurs heures aux services élections des mairies dans les derniers jours de décembre 2006... C’est ce désir qui nous fut renvoyé en miroir par les politiques, lorsqu’ils ont esquissé une société où « chaque droit appellerait un devoir », où « ce qui est dit est fait, ce qui est fait et dit », et où « tout travail mérite salaire ».... Ou bien encore lorsqu’ils ont, sous une forme ou une autre, invoqué le changement ou la rupture - sous-entendu avec les compromissions du passé. C’est autour de ce désir, et de la réponse à ce désir, qu’un pacte de confiance a tenté d’être renoué entre les citoyens et les politiques.
On peut se réjouir des intentions exprimées, et du sursaut démocratique qu’elles ont contribué à susciter. Et pourtant... j’ai des doutes. Les exemples sont trop nombreux, trop douloureux, où des personnalités politiques, une fois investies du pouvoir que le peuple leur a délégué, en ont fait usage à des fins personnelles ou partisanes, parfois aux dépens de particuliers ou de personnes morales ayant des moyens de défense réduits - et au final, aux dépens de l’intérêt général qu’ils avaient pourtant la mission de défendre. Ce qui m’amène à une question peu abordée directement dans la campagne et peu abordée en générale : l’éthique des personnels politiques dans l’exercice des fonctions politiques, ce que j’appellerai « l’éthique du politique ».
Sans céder au facile « Tous pourris » , il faut bien réaliser combien les abus existent : abus de confiance, de pouvoir, de moyens publics, violences, manipulations, désinformations... Comme si le pouvoir, plus exactement celui qui l’exerce, portait en lui le germe totalitaire, près à s’exprimer dès que se présente un terrain favorable, pour attaquer parfois en profondeur le tissu démocratique.
Il me semble que le désir d’éthique décelé plus haut appelle une exigence critique : comprendre la mécanique corruptrice à l’œuvre qui transforme un élu en élu dévoyé, pour mieux imaginer des formes nouvelles de protection de la société contre de telles dérives. Avec, au commencement d’une telle démarche, un travail de prise de conscience de la réalité de ces situations douloureuses où des citoyens ont été la victime des prédations de ceux qui étaient censés les représenter ou leur apporter assistance.
Dans cet esprit, je viens de découvrir qu’Anticor a souhaité s’associer à la réflexion qui sera menée dans un colloque qui se tiendra au sein de l’université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne) ce samedi 2 juin sur un thème très peu abordé et pourtant capital car mettant en question les fondements même de la démocratie : le citoyen face aux abus de pouvoirs des politiques (entrée libre). Dans le contexte politique actuel, la problématique de ce colloque me semble fondamentale :
« En un temps où les candidats à la plus haute fonction de la chose publique ont évoqué la nécessité de restaurer la cohésion sociale, l’unité nationale ou le pacte de confiance entre citoyens et politiques, il est peut-être bien venu de s’interroger concrètement sur les mécanismes qui peuvent conduire certains représentants du peuple à bafouer les droits des citoyens, ou à se retourner contre eux. Abus de biens publics, abus de confiance, abus de pouvoir : quelques « affaires » récentes ont démontré que ces pathologies de la politique constituent une menace réelle pour la vie démocratique, non seulement par les torts directs qu’elles peuvent causer, mais plus largement par le climat de méfiance qu’elles contribuent à installer.
Violence, malversation, corruption, lobbying, désinformation, manipulation des services de police, des magistrats, des médias et de l’opinion publique : au mépris du bien commun et de ses engagements, certains abusent du bien public et ne reculent devant aucun moyen pour satisfaire une ambition personnelle, comme s’ils ne devaient jamais être amenés à répondre de leurs actes. La forme la plus « aboutie » de cette dérive semble être l’instrumentalisation : celle de la justice, celle des appareils d’Etat, celle des institutions.
La perte du sens du bien commun et des libertés fondamentales se redouble chez le politicien-voyou d’une forme de cécité morale qui semble proprement liée à l’exercice du pouvoir, à l’infatuation et au sentiment d’immunité qu’il suscite. Il faut s’interroger sur les raisons de ce phénomène. Est-ce le pouvoir lui-même qui conduit naturellement à l’abus, par l’effet de sa propre logique ? Est-on fondé à dire que le pouvoir corrompt, y compris les meilleurs ? Et dans ce cas, comment espérer encore accorder l’idéal de justice aux exigences de la vie politique ? Ou bien faut-il incriminer des personnalités-types, des « profils » de délinquants politiques ? Quelle idée, d’ailleurs, l’élu du peuple se fait-il du pouvoir que nous lui octroyons ? Se voit-il comme un chef ou comme un mandataire ? Comme un entrepreneur ou comme un fonctionnaire ? Le scrupule, en politique, se limite-t-il au sentiment du « risque » encouru ?
« L’ambitieux prend les pouvoirs comme fin, et les adore en tous ses actes », disait le philosophe Alain. Mais si le pouvoir se délègue, la vigilance, elle, ne se délègue jamais. A la responsabilité des politiques répond donc le devoir du citoyen, qui est d’obéir à la loi tout en exerçant une surveillance et un contrôle continus des pouvoirs. Or, dans les faits, quels sont les mécanismes de contre-pouvoir, les leviers de contrôle qui permettent aux citoyens de résister contre les abus de pouvoirs en tout genre, et notamment de la part de ceux qui ont pour devoir de les représenter ou de les administrer ? Face aux lenteurs et imperfections de la justice dont savent jouer les politiques peu scrupuleux, jusqu’à quel point le « quatrième pouvoir », celui des médias, peut-il être envisagé comme un recours, s’il est établi que les politiques y trouvent un relais direct de leur action ? Que peut-on attendre du « cinquième pouvoir », celui de la « blogosphère », ou encore de la constitution de « jurys de citoyens » chargés d’évaluer l’action publique ?
Telles sont quelques-unes des questions qui seront abordées dans ces débats qui procéderont en deux parties - constats et témoignages puis analyses et solutions - et auxquels participeront, sous la baguette experte de Pierre Rancé, chroniqueur judiciaire à Europe I, des personnalités telles Christian Charrière-Bournazel, bâtonnier désigné, Corinne Lepage, ancien ministre, Serge Portelli, vice-président du TGI de Paris, Alexandre Dorna, président de l’Association française de psychologie politique, Frédéric Rollin, professeur de droit, Frédéric Tiberghien, conseiller d’Etat, ou encore Christophe Grébert, blogueur bien connu.
Dans l’espoir que la vie politique ne se réduise pas à un simple rapport de force, et qu’elle ne soit donc pas complètement déconnectée des préoccupations éthiques. »
Plusieurs blogs annoncent le détail de cette matinée qui aura lieu ce samedi 2 juin à La Sorbonne à partir de 9 h 00 (amphithéâtre de Gestion, 17 rue de la Sorbonne, 75005 Paris - entrée libre).