La France n’est pas antisémite
par Claude Tencer
lundi 27 février 2006
L’antisémitisme est un terme inventé en 1879 par un journaliste allemand de Hambourg, Wilhelm Marr, dans son pamphlet : « La victoire du judaïsme sur le germanisme ». On entend par antisémitisme une attitude d’hostilité à l’égard des juifs, et non envers les sémites, comme certains tentent de le faire croire pour leur défense. La mort d’Ilan Halimi relance un débat tendu sur la motivation du geste : un acte crapuleux, l’assassinat d’un être parce qu’il est juif ?
L’antisémitisme ne se cantonne plus aux seules hautes sphères intellectuelles et n’a rien de ce que la France a connu dans les années 1930. Toutefois, sa banalisation et son instrumentalisation permettent de diaboliser le juif et de le rendre responsable de tous les maux du monde. Évoquer aujourd’hui l’hypothèse que la France est antisémite conduirait sans doute à une vision un peu trop globale, mais nous pouvons aisément affirmer que la France comporte des éléments racistes, antijuifs sinon antisémites, qui ne cachent plus leurs opinions et génèrent une haine anti-tout, souvent en propageant une rumeur, en toute ignorance des graves conséquences induites.
Le président J. Chirac a bien démasqué ceux qui partagent encore une opinion altérée, pour M Chirac : « L’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est une perversion ». Aussi l’antisémitisme n’est-il pas que « de mots et de plume », il est désormais descendu dans la rue pour devenir agressif. On peut s’étonner, sinon être choqué, d’entendre à l’école des jeunes user aussi banalement entre eux de termes péjoratifs comme : « Passe-moi un euro, ne sois pas feuj (juif) ». Il semble bien que le terme « feuj » soit devenu aussi banal que le terme « couillon » à Marseille, sauf que « couillon » n’a jamais fait partie d’un « plan d’extermination ».
Des protagonistes d’origine arabe avancent la thèse qu’ils ne peuvent être antisémites "car ils sont sémites"... un faux usage d’une prétendue « honnêteté intellectuelle », qu’il convient de réparer, car un antisémite est un raciste animé par l’antisémitisme - une attitude hostile contre les juifs. Or, n’est-il pas aussi simpliste d’assimiler cette thèse à celui qui soutient plus que jamais qu’il n’est pas antisémite : " Je n’ai rien contre les juifs, j’ai même un bon ami qui a un copain juif..."
Cette banalisation des propos antisémites laisse dans certains esprits un goût de « tout est permis pour rigoler ». Pourquoi, dans ce cadre, ne pas incendier une école, une synagogue ou simplement tabasser un « feuj » ? Certes, le gouvernement est déterminé à combattre toute forme de racisme et d’antisémitisme, mais les citoyens français de confession juive ne sont que peu rassurés. N’ont-ils pas encore en mémoire certaines phrases qui sonnent un peu comme des faux accords ? « Le gouvernement désapprouve l’antisémitisme, et tant qu’il restera au pouvoir, les droits des juifs seront sauvegardés », déclarait Planck, secrétaire d’État d’Allemagne, juste avant la campagne électorale du 31 juillet 1932.
Semer la confusion dans des esprits ignorants, peu ou pas initiés à des réalités historiques, devient un outil de taille pour propager des « vérités », des rumeurs. Présenter un fait invraisemblable et sans nuance à un public égaré, et démuni de toute capacité de jugement, permet de le faire adhérer à des "idées chocs" primaires qui s’imposent comme des vérités premières. Lorsque certains "français éminents", auréolés d’un certain prestige, simplifient l’antisémitisme pour le rendre accessible à tous, beaucoup le considèrent alors comme naturel, normal. Périodiquement, des voix nous expliquent que l’antisémitisme est fondé sur l’ignorance et l’incompréhension de l’autre. Des utopies naissent alors, avec elles des rumeurs, "les juifs sont riches", "les juifs sont intelligents", "les Juifs sont partout", etc. Leur propagation engendre chez des naïfs influençables une "onde de choc" psychologique, un sentiment "d’anti" contre ceux qu’ils ne connaissent même pas. Ajoutons pour la France une nouvelle vague de "formatage" de jeunes d’origine "maghrébine"[1] par un islamisme radical et fondamentaliste, et nous trouvons tous les ingrédients d’une nouvelle forme d’antijudaïsme et du racisme en France. « L’État idéal, disait André Maurois, est celui où un peuple conserve un amour suffisant de la discipline pour rester digne de la liberté. »
Aujourd’hui, le gouvernement exprime sa volonté et sa détermination à lutter contre le racisme sous toutes ses formes. Le ministre de la justice, Dominique Perben, a assuré pour sa part que le gouvernement avait "déclaré la guerre au racisme, à tous les racismes". Désormais, on n’a peur de rien, normal, les juifs de France ne sont pas agressifs physiquement, ils ne déposent pas de bombes et ils n’égorgent pas d’innocents. Il est sans doute naturellement autorisé de diaboliser le juif, d’incendier des synagogues, de profaner des tombes ou de tabasser des personnes pour l’unique raison qu’elles sont juives. Arrêtons les déclarations, et soyons plus perspicaces dans les ordres et dans les actes.
En sachant qu’en diplomatie nous n’avons ni amis ni ennemis, mais seulement des intérêts, on pourrait imaginer que nous soyons face à une pensée unique qui justifie tout. Face à des intérêts politiques, on s’autorise parfois de sérieuses polémiques qui engendrent des dérapages démesurés d’actes racistes. Au nom de la liberté de parole, si chère à la France, il est aisé de se fabriquer l’image d’un défenseur d’éléphants d’Afrique afin de mieux s’autoriser à assimiler le sionisme au nazisme, pour toucher la sensibilité des Français de confession juive.
Sauf que dans l’histoire de France, il n’est pas aisé de trouver un cas où un juif tue un autre homme pour des raisons d’appartenance à une religion, de couleur de peau ou d’ethnie. Nous devons arrêter la marginalisation des actes pour leur affecter un adjectif ou un qualificatif. Un seul qualificatif suffit pour exprimer notre indignation et notre exaspération face à des actes odieux et ignobles, et peu importe leur motif. Les associations doivent aussi utiliser le « la » comme note d’accord, et arrêter de s’approprier les malheurs des uns pour les relativiser avec un certain « bonheur des autres ». Manifester contre des actes abjects et ignobles, ce n’est pas du communautarisme, terme à la mode utilisé à tout va pour minimiser le mal et expliquer pourquoi certains ont le droit de faire du mal aux autres. Un homme politique disait déjà au XIXe siècle : « Si vous enviez les juifs, faites comme eux, travaillez ». Tandis que la majorité travaille, d’autres dealent et rendent la société entière responsable de leur pauvreté.
Toutefois, nul n’a guère le droit de chercher des nuances entre la mort du gendarme à Saint Martin et la mort d’Ilan. La mort du gendarme est un cauchemar pour sa femme et sa famille, la mort d’Ilan est le cauchemar de tout parent aimant. Oui, les instances ne parlent pas du gendarme Klein comme d’Ilan, deux poids deux mesures ? Oui. Probablement la différence réside-t-elle dans l’indifférence de ceux qui trouvent une jouissance à voir l’autre mourir parce qu’il est simplement différent, blanc, noir, arabe ou juif. D’autres tuent deux fois plus par leur silence, lorsqu’ils ferment les yeux et tournent la tête pour ne rien voir, car voir, c’est s’engager dans le vrai et contre le mal. Nous sommes tous coupables de vouloir expliquer le mal et attribuer des circonstances atténuantes, au lieu de mieux expliquer le juste, le bon, afin d’anéantir le mal sous toutes ses formes.
Sur France-Inter le 26 août 2004, Michel Barnier affirme : "Je veux dire extrêmement clairement que la protection et la sécurité des citoyens français, quelles que soient leur religion, leur confession, leur croyance, c’est l’affaire du gouvernement français". Certes une attitude rassurante, mais nul ne peut négliger pour autant la vigilance... A quand la lutte effective du gouvernement, à l’exemple de la lutte pour la sécurité routière, afin de réprimander sévèrement tout acte raciste contre une « personne », parce qu’elle est un « être humain » ? Ne doit-il pas passer à l’action par des actions sévères, afin d’éradiquer en France toute forme d’insulte raciste primaire, comme « sale juif », « sale Arabe », « sale black », etc. Conjointement, il faudrait une autorité audacieuse, une volonté intrépide pour affronter ce fléau national, et non une politique de partis visant la conquête des adhérents et du pouvoir.
Certes, il faut beaucoup d’imagination pour rester objectif, cependant, la docilité est trop souvent complice de l’absurde.
[1] Des jeunes issus de l’immigration, comme certains les qualifient pour ne pas tomber sous la loi contre la diffamation.