La laïcité en France, un principe républicain à portée universelle
par San Kukai
jeudi 18 décembre 2008
Les fondements de la laïcité en France sont contenus dans les principes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits […] Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi. Ces deux principes révolutionnaires, la liberté de conscience et l’égalité républicaine, associés à la loi commune, forment le triptyque de la laïcité.
L’affirmation de la laïcité par la République française s’est faite la fin de la Seconde Guerre mondiale (Constitution de 1946) ; l’article premier de notre Constitution actuelle affirme que : La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances.
Au nom de la liberté de conscience, la République respecte donc toutes les croyances ; bien entendu, il faut entendre par croyances toutes les options spirituelles et philosophiques : l’agnosticisme, l’athéisme, la libre-pensée, ainsi que les diverses convictions religieuses. Chaque citoyen est ainsi libre d’adhérer à tout ou partie d’une croyance, de les conjuguer, d’en changer, etc. La liberté de conscience s’accompagne de la liberté d’expression : chacun peut publiquement affirmer sa foi (pas de délit d’opinion en république) ou nier le surnaturel (pas de délit de blasphème en république), tant que cette expression d’inscrit dans les limites imposées par la loi.
Au nom de l’égalité républicaine, l’État et les services publics doivent être neutres, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent afficher ou privilégier aucune option politique, spirituelle ou philosophique. Il leur est aussi interdit de privilégier ou de dénigrer tout citoyen à cause de ses opinions philosophiques ou spirituelles.
Pour ce qui concerne les religions en particulier, l’État a dû légiférer à plusieurs reprises devant la résistance des religions à ces principes, notamment en 1880-1883 (lois Jules Ferry sur l’école laïque), en 1905 (loi de séparation des Églises et de l’État) et en 2004 (loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics). C’est la raison pour laquelle la laïcité a pu être perçue dans un sens historique et de façon réductrice comme la République se protégeant de l’ingérence des religions et par le renvoi dos-à-dos des sphères privée et publique. Mais la laïcité ne se résume pas à une conquête séculière qui viendrait priver l’une ou l’autre religion de prérogatives anciennes.
La loi commune laïque permet de protéger la liberté de conscience de chaque citoyen, indépendamment de toute considération pour ce qui fonde sa croyance ; elle permet en outre d’affirmer le principe d’égalité comme prévalant sur les intérêts particuliers, fussent-ils des dogmes religieux ou des doctrines athées.
La liberté de conscience (individuelle) peut s’étendre à la liberté de culte (collective), toujours dans les limites de la loi : la République garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées […] dans l’intérêt de l’ordre public. C’est le premier article de la loi de 1905, qui rappelle aussi que la République assure la liberté de conscience. Ici, loin d’être étouffante, la loi se veut protectrice de la liberté pour les croyants de telle ou telle confession d’exprimer collectivement une foi commune. Afin de permettre que l’exercice des cultes se fasse dans le respect des règles (hygiène, sécurité, ordre public…), l’État se donne des interlocuteurs institutionnels, au moins pour les religions les plus importantes.
Le principe d’égalité s’impose notamment aux élèves dans les établissements scolaires publics, la loi de 2004 ayant précisé la règle s’agissant des signes et tenues religieux : Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Cette loi est un complément de la règle constitutionnelle qui affirme la laïcité de l’enseignement public : L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. L’école laïque demande à l’élève non pas d’abandonner sa culture, la religion de ses parents ou son identité, mais de se placer lorsqu’il s’agit de sciences, d’histoire ou de politique, du point de vue de l’universel, forcément abstrait, défini par la raison et l’intérêt général.
L’égalité s’impose aussi à tous les usagers des services publics (hôpitaux, prisons, équipements sportifs, etc.). Ici, des textes législatifs et des chartes précisent l’adaptabilité des services : globalement, toute manifestation cultuelle (prière, tenue vestimentaire, régime alimentaire, choix des personnels…) qui ne troublerait pas la bonne marche du service est autorisée. Plus le séjour des usagers dans le service est long et contraint (comme les prisons), plus des facilités pour suivre les impératifs des cultes sont offertes ; à l’inverse, les services publics dont la fréquentation est occasionnelle et volontaire (cantines, piscines…) s’en tiennent au principe d’égalité.
Dans un sens contemporain, la laïcité peut donc se comprendre comme l’affirmation par l’État, dans le fonctionnement de ses institutions ou dans la règle de droit, des principes de liberté de conscience et d’égalité républicaine, chaque fois que des sectateurs zélés ou des pourfendeurs de religions voudraient imposer une norme exclusive des principes de la République.
Bien entendu, comme pour toute règle, certaines exceptions héritées de l’histoire y font entorse : concordat en Alsace-Moselle, propriété et entretien par la puissance publique de lieux de culte édifiés avant 1905, aumôneries dans les écoles, etc. Ces cas doivent s’interpréter dans une lecture historique, s’agissant d’aménagements pris pour assurer une transition ou apaiser les tensions à une époque donnée. Ces exceptions historiques ne peuvent néanmoins être généralisées ou se muer en règles — certaines d’entre elles sont par ailleurs appelées à disparaître si l’on s’en tient aux termes de la loi de 1905, notamment l’article 2 qui dispose que la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte et l’article 19, qui précise que les associations cultuelles ne pourront, sous quelque forme que ce soit, recevoir des subventions de l’État, des départements ou des communes.
Voilà ce qu’est la laïcité en France : un ensemble de règles communes basées sur les principes républicains de liberté de conscience et d’égalité, dont les contours juridiques et sociaux se précisent depuis la Révolution et s’adaptent à l’évolution des opinions spirituelles et philosophiques des citoyens.
Prise dans son sens philosophique, la laïcité est l’idéal qui rassemble le laos, le peuple, c’est le dénominateur commun qui unit les personnes par-delà les clivages des croyances individuelles et les revendications des groupes et des communautés. Cet idéal, né des droits de l’homme, a comme eux une portée universelle et pacificatrice.
Pour aller plus loin
- Catherine Kintzler, Qu’est-ce que la laïcité ?, Vrin, coll. « Chemins philosophiques », 2007, 128 p.
- Henri Pena-Ruiz, Histoire de la laïcité, genèse d’un idéal, Gallimard coll. « Découvertes / Culture et société », 2005, 144 p.
- Henri Pena-Ruiz, Qu’est-ce que la laïcité ?, Gallimard, coll. « Folio / Actuel inédit », 2003, 347 p.
- Collectif, sous la direction de Jacques Myard, La Laïcité au cœur de la République, L’Harmattan, 2003