La légalisation du suicide assisté à cause de 18 « citoyens » ?

par Sylvain Rakotoarison
mardi 17 décembre 2013

Méthode légère pour Président léger. Le Ministre du Redressement productif va être ravi : François Hollande est sur le point de lancer l’industrie de la mort en France. Un marché d’autant plus juteux qu’il assainirait les comptes publics… Tant pis pour ceux qui croient à la vie et à l’amour, principal sentiment qui fait tenir en vie.



Chaque jour, je manque de m’étouffer à l’écoute des informations, tant sur la manière dont elle sont livrées (leur manque de rigueur, leur bâclage récurrent) que sur le fond, notamment sur la manière de gouverner du Président François Hollande.

C’était donc le cas ce lundi 16 décembre 2013 lorsque l’avis dit "citoyen" (ce mot est un substantif, pas un adjectif) a été rendu sur la fin de vie.

Rappelons la méthode complètement ubuesque adoptée par le pouvoir.


Comment faire semblant de ne pas être à l’origine d’une loi ?

François Hollande voudrait légiférer sur l’euthanasie active et le suicide assisté. La loi Leonetti du 22 avril 2005 n’est pas encore assez connue ni assez appliquée, adoptée à l’unanimité (lui-même ne s’y est pas opposé en tant que député), mais qu’importe, il veut "sa" loi.

Mais il y a un problème. En décembre 2012 puis en juillet 2013, deux rapports largement documentés de plusieurs centaines de pages concluent à la prudence et au statu quo, à savoir, à ne pas bouleverser le cadre législatif actuel, même s’ils pointent des imperfections ponctuelles auxquelles il convient de répondre (notamment sur la sédation en phase terminale).

Qu’à cela ne tienne, et malgré les millions de manifestants contre le mariage gay, François Hollande souhaite quand même persister et passer outre (les lobbies sont toujours très actifs, les propositions de loi sont régulièrement déposées sur le sujet), et pour cela, il remanie de fond en comble la composition du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) en septembre dernier en évinçant tous les responsables religieux et en nommant plusieurs apparatchiks du Parti socialiste, et lui redemande une nouvelle fois une réflexion sur la fin de vie (en oubliant au passage de réfléchir sur l’expérimentation sur les embryons humains déjà votée cet été).


18 "citoyens" pour dicter la loi aux 67 millions d’autres citoyens

Alors, la méthode adoptée est complètement délirante. On enlève l’avis des experts qui eux, s’y connaissent sans doute trop (on ne doit pas confier la défense à un général), et on veut donner la parole aux "citoyens". Sur le principe, cela paraît démocratique, mais sûrement pas dans son application.

Résultat, un panel de 18 personnes (même pas les 30 prévus au départ), oui 18, recrutés par l’institut IFOP, institut choisi sur appel d’offre, ont ainsi consulté durant trois week-ends (et pas quatre comme prévu initialement) quelques personnes "qualifiées" pour se faire une idée et …un "avis".

18 personnes sur les 67 millions d’habitants que compte la France ! C’est complètement loufoque. Ces 18 personnes ne représentent qu’elles-mêmes, aussi estimables, sensibles et sincères soient-elles (et je n’en doute pas), mais en aucun cas, comme l’IFOP le prétend, ce groupe, ce panel ne représente quelque image que ce soit de notre nation.

En effet, l’IFOP affirme : « Le panel a été recruté de manière à refléter au mieux la diversité de la population française et à illustrer la variété des points de vue pouvant exister au sein du public sur le sujet de la fin de vie. ». 18 personnes, alors qu’un sondage de moins d’un millier de sondés ne représente déjà RIEN ! On est en pleine bouffonnerie statistique.

L’IFOP réussit toutefois le tour de force sémantique de se dédouaner de toute accusation de tromperie puisqu’il explique quand même : « [Ce panel] ne prétend pas à la représentativité de la population française et il est impropre de parler d’échantillon représentatif. » : il va donc falloir expliquer à ceux qui vont recevoir cette information quelle est la différence entre "représenter la population" et "refléter la diversité de la population"…


"Les citoyens" ci, "les citoyens" ça

Inutile ensuite de dire que l’esprit rigoureux ne peut qu’être en colère lorsqu’il entend les journalistes présenter ce rapport comme "les citoyens pensent que". Les citoyens ? Les 18 citoyens. Ni plus, ni moins.

Je ne doute pas que ceux des journalistes qui raccourcissent la présentation en parlant de cette expression "les citoyens" (comme si eux-mêmes n’étaient pas citoyens ni leurs auditeurs, lecteurs) n’ont pas forcément une volonté de tromper, je crois plus à une certaine paresse intellectuelle qui est de ne pas approfondir le sujet et de recracher tout crû l’information qu’on leur a livrée, sans aller plus loin, sans lire le document source de référence.


Un rapport bâclé qui ne donne aucune piste vraiment élaborée

Enfin, dernier point sur la méthode affligeante, l’avis "citoyen" n’est composé que de 14 pages, seulement 14 pages (avec beaucoup de blanc parfois), quand on imagine la somme des cas individuels qui recouvre ce sujet essentiel qu’est la fin de vie. 14 pages ! Cela montre l’étendu du sérieux et de la solidité du travail de ce panel, qui n’ont pas fait d’étude pour voir par exemple ce qu’il se passe à l’étranger, puisqu’il y a maintenant un recul suffisamment long pour se faire une idée de l’application de telles légalisations.

Pourtant, le sujet aurait mérité mieux. Le gouvernement souhaite-t-il légiférer pour juin 2014 sur la base de ce misérable rapport de quelques pages ? On croit rêver. On a beaucoup protesté contre la légèreté législative de Nicolas Sarkozy (avec souvent raison), notamment quant il s’agissait de supprimer les juges d’instruction, mais ce pouvoir socialiste semble encore faire nettement mieux au concours de la légèreté et du dogmatisme.

Cependant, venons-en au fond puisque c’est le sujet le plus important.


Le contenu de l’avis du 16 décembre 2013

Le rapport peut être téléchargé à ce lien. Apparemment, il est relativement difficile d’y avoir accès et j’espère que ce n’est qu’une question d’heures ou de jours.


Que dit-il ?

Déjà, une évidence, que la loi Leonetti n’est pas beaucoup appliquée alors qu’elle permet déjà beaucoup, parce qu’elle n’est pas assez connue. Elle existe depuis huit ans mais il est possible que certains milieux médicaux fassent volontairement l’impasse sur ce texte.


La solution radicale

Cette loi évoque les cas de malades qui sont en phase terminale d’une maladie, sans possibilité de guérison, et qui peuvent être conduits à souffrir terriblement. Avec les moyens modernes d’aujourd’hui, il n’est plus acceptable de laisser un malade, qu’il soit mourant ou pas, d’ailleurs, dans la douleur physique.

Or, les lobbies pour le "droit de mourir dans la dignité" considèrent que le meilleur moyen de ne plus souffrir, c’est de tuer ou de se tuer (suivant l’état du malade). Au moins, c’est radical.

Pourtant, ce n’est pas ce qui serait logique, humainement, je veux dire, car pour ce qui est d’une logique comptable, d’une logique économique, plus on encourage l’euthanasie active et le suicide assisté, plus les comptes de la sécurité sociale se porteront bien.

La logique humaine, ce serait simplement de traiter la douleur.


Les soins palliatifs devraient être la priorité de toute politique de fin de vie

Les soins palliatifs sont la solution pour la grande majorité de ceux qui souffrent (pas la totalité, certes), mais ne sont pas assez répandus et très diversement dans le territoire national. C’est cela, le manque cruel, c’est sur ce sujet que l’État doit être présent, qu’il doit s’engager à renforcer les moyens.

Le panel de 18 personnes a donc mis le doigt sur cette carence, à juste titre, en constatant que seulement 20% des personnes nécessitant des soins palliatifs y ont accès et que ces soins sont souvent synonymes, dans le grand public, de mort imminente : « Les soins palliatifs doivent être érigés en cause nationale avec l’objectif affiché d’un accès à tous. Il s’agira d’encourager le développement économique de ces soins, de sécuriser l’ensemble des citoyens sur leurs finalités, à savoir le soulagement de la douleur, et par là, de les démarquer de l’image de la mort annoncée. ».


La dignité ne dépend pas de son état de santé

Autre point très pertinent du rapport, répondant à ceux, nombreux, qui considèrent qu’on perdrait sa dignité avec la douleur : « La personne en fin de vie, quels que soient son âge, sa condition sociale, sa pathologie, son degré de dépendance, son état de conscience, est un être humain à part entière avec une histoire, c’est-à-dire, un passé et un avenir. Pour nous, la fin de vie est une phase de la vie. Ce n’est pas la pathologie qui fait l’identité. La dégradation du corps n’enlève rien à l’identité humaine ni à la dignité. ». J’ai bien souligné la dernière phrase, qui paraît tellement évidente, mais si souvent oubliée dans les réflexions sur la fin de vie. Je connais au moins un "cas", très proche, où cette fin de vie, pourtant très difficile, terrible même, pouvait même renforcer cette "dignité". Et il ne s’agit pas de "courage".

En revanche, les autres propositions de ce panel de quelques personnes me paraissent assez aventureuses et surtout, très légèrement exprimées.


Centraliser les déclarations de principe, au risque de s’enfermer dans un piège

Celle par exemple de centraliser les "directives anticipées" (ce sont les déclarations des personnes sur ce qu’elles souhaitent plus tard en cas de mal incurable) notamment sur la carte vitale.

On voit tout de suite le risque d’abus qu’il pourrait y avoir lorsqu’il y aura par exemple, lors d’un accident, recours à des soins d’urgence : tenterait-on l’impossible si finalement, la personne accidentée avait souhaité renoncer à vivre en état déficient ? Pas sûr. D’autant plus que la logique comptable viendrait en pression sur la réflexion des soignants.


Proposer des conditions incontournables, c’est faire preuve de naïveté

L’élément clef de ce rapport creux, c’est de préconiser sans précision la légalisation du suicide assisté avec une phrase qui aurait mérité de très longs développements : « Cette démarche de suicide médicalement assisté se doit de respecter toute une série de conditions incontournables. ». Il se trouve justement qu’au même titre qu’on ne sécurisera jamais un système informatique, le principe des conditions "incontournables" n’existe pas : tout est contournable.

Ce panel n’a visiblement pas étudié les pratiques en cours en Suisse par exemple, aux bénéfices financiers de quelques officines qui ont littéralement créé un marché de la mort tellement inquiétant que la Confédération helvétique envisage justement de légiférer pour encadrer ou interdire ces pratiques de suicide assisté (cette pratique a pu avoir lieu à cause d’un vide juridique).


Les goûts et couleurs d'un petit groupe

Le petit groupe s’est plutôt prononcé contre le principe de l’euthanasie active (on se croirait sur facebook –j’aime, je n’aime pas) mais se déclare cependant « favorable à une exception d’euthanasie », indiquant qu’elle est « envisageable dans des cas particuliers ne pouvant pas entrer dans le cadre du suicide assisté ».

Là encore, le groupe fait preuve de beaucoup de candeur en oubliant que tous les cas seront de toute façon des cas particuliers. Il suffit aussi de voir les pratiques en Belgique et aux Pays-Bas pour voir à quel point certaines conditions ne sont pas respectées, mais que personne n’en est sanctionné pour autant.


Ouvrir la boîte de Pandore au profit des marchands de la mort

Ce qui est navrant, c’est que ces conclusions ne concluent rien, elles ne sont que des sentiments qui ne se basent sur aucune statistique, aucun fait, aucun cheminement logique, juste des impressions de citoyens, qui, aussi respectables et louables soient-elles, ne peut pas constituer le fondement d’un bouleversement complet de notre droit, en particulier en autorisant le meurtre et l’incitation au meurtre ou au suicide.

Dans tous les cas, ce serait la brèche que veulent tous les marchands de rêves, ceux qui veulent faire "mourir dans la dignité", comme de vulgaires animaux domestiques.


L’importance d’une prise en compte au cas par cas

Le cadre législatif actuel est excellent pour une raison simple, c’est qu’il est consensuel, il permet tout jusqu’à la plus ultime extrémité, sans autoriser tout, sans autoriser la banalisation du meurtre. La loi Leonetti du 22 avril 2005 met d’accord l’ensemble de la nation car elle fait la part des choses, elle prend en compte toutes les considérations, elle est subtile, elle est très riche dans ses applications.

Jamais un soignant ou même non soignant n’a été condamné par la justice pour avoir aidé quelqu’un à mourir. En revanche, il paraît normal qu’une loi ne l’autorise pas de manière générale. Il s’agit de rendre responsables ceux qui agissent et les juges ont toujours été très soucieux du contexte des actes.

Ce regard de la justice qui peut aujourd’hui avoir lieu le cas échéant pour toute aide à mourir est salutaire : il évite les abus qui ne manqueront pas d’exister comme le montre l’expérience des pays qui ont légiféré. Comment condamner un soignant qui aurait volontairement tué des patients si l’euthanasie active était légale ? Comment prouver que les patients auraient été assassinés, dans un tel cas ?


Il faut rentrer dans une logique qui sert avant tout l’humain (et pas l’argent)

On voit bien qu’il y a deux logiques, dans ce débat. Une logique de la mort et, finalement, de la facilité, la facilité financière (réduction de coûts) et la facilité psychologique (les proches vivent un véritable cauchemar dans l’accompagnement d’une personne en fin de vie), face à une logique de vie et d’amour (un être aimé et qui se sent aimé peut-il vouloir mourir ?), qui nécessite en revanche beaucoup de moyens pour en finir avec la douleur inutile : c’est à l’État d’investir massivement dans les soins palliatifs, tant financièrement que moralement (formation des soignants etc.).

C’est d’autant plus dommage que ce débat soit pollué par le lobby de l’euthanasie que les soins palliatifs me paraissent comme l’un des critères clefs d’une société évoluée, au même titre que l’éducation, le logement, l’eau et l’énergie. Ne pas laisser les malades dans la souffrance, ce devrait être le seul mot d’ordre de tous les débats sur la fin de vie.

Et au lieu de ça, le gouvernement veut se déresponsabiliser et se soumettre au dogme des vies à zapper. J’espère que la société, dans sa sagesse, que "les citoyens", dans leur sagesse, s’empareront de ce sujet crucial et refuseront cette loi qui semble se préparer pour l’été.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 décembre 2013)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
L’avis des 18 citoyens désignés par l’IFOP sur la fin de vie publié le 16 décembre 2013 (à télécharger).
Le Comité d’éthique devient-il une succursale du PS ?
Le site officiel du Comité consultatif national d’éthique.
Le CCNE refuse l’euthanasie et le suicide assisté.
François Hollande et le retour à l'esprit de Valence ?

L’avis du CCNE sur la fin de vie à télécharger (1er juillet 2013).
Sur le rapport Sicard (18 décembre 2012).
Rapport de Didier Sicard sur la fin de vie du 18 décembre 2012 (à télécharger).
Rapport de Régis Aubry sur la fin de vie du 14 février 2012 (à télécharger).
Rapport de Jean Leonetti sur la fin de vie du 28 novembre 2008 (à télécharger).
Loi Leonetti du 22 avril 2005 (à télécharger).
Embryons humains cherchent repreneurs et expérimentateurs.
Euthanasie : les leçons de l’étranger.
Euthanasie, le bilan d’un débat.
Ne pas voter Hollande pour des raisons morales.
Alain Minc et le coût des soins des très vieux.
Lettre ouverte à Chantal Sébire.
Allocation de fin de vie.


 


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