La loi, c’est moi !

par Sylvain Reboul
lundi 25 février 2008

Le président de la République, théoriquement garant des institutions et donc en tout premier lieu de la Constitution, fondement de l’état de droit, vient de déclarer qu’il va demander à la Cour de cassation de contourner, c’est-à-dire de contredire, la décision du Conseil constitutionnel interdisant que la loi de rétention de sûreté s’applique rétroactivement aux condamnés déjà jugés ou des inculpés en cours de jugement pour des faits antérieurs à la loi (lire la note 1).

Considérant du haut de sa fonction que ses décisions ont valeur absolue, il n’hésite pas à aller sur les traces des monarques absolus et à prétendre que la loi ne doit être autre que sa volonté souveraine.

L’article 62 de notre Constitution stipule, en effet, sans ambiguïté, qu’une disposition du Conseil constitutionnel déclarée inconstitutionnelle est sans appel et ne peut être ni promulguée ni mise en application (lire la note 2).

Or, semble croire le président, puisque la loi a été déclarée constitutionnelle, même sous condition d’une non-rétroactivité de son application, cela permettrait, selon lui, de l’appliquer quand même en tant que constitutionnelle, y compris en ce qui concerne la rétroactivité. Mais c’est oublier que cette interdiction de la rétroactivité déclarée inconstitutionnelle est non pas une loi, mais une disposition, ce qui correspond précisément au libellé de l’article 62.


Ce faisant, la demande du président est donc anticonstitutionnelle et il est douteux que la Cour de cassation s’y soumette, sauf à se dresser elle-même contre la Constitution, ce qui ruinerait instantanément toute légalité à un éventuel jugement ou avis de sa part contredisant l’interdiction par le Conseil constitutionnel de l’application rétroactive de la loi de rétention de sûreté

Je fais crédit à Nicolas Sarkozy, avocat de profession, et à ses conseillers de le savoir, comment alors comprendre ces propos ?

Une seule réponse est possible : tenter de jouer l’opinion contre la Constitution pour instaurer un pouvoir personnel qui prétendrait, au nom du suffrage universel, outrepasser toute limite constitutionnelle, garante de nos libertés fondamentales. Il s’agit, à un premier niveau d’analyse, de jouer le besoin de sûreté dans l’opinion, c’est-à-dire la peur, contre nos libertés, à quelques jours des élections municipales

Mais, plus profondément, ce qui est en cause dans cette manœuvre, me semble être une conception de la démocratie comme état de non-droit, à savoir une tyrannie majoritaire incarnée par un président disposant du pouvoir absolu de décider de la loi et de son application selon son bon plaisir.

Un Etat despotique disait déjà Kant, après Montesquieu, est un Etat qui refuse la séparation constitutionnelle des pouvoirs, y compris et peut-être surtout lorsque cet Etat repose sur le suffrage universel. Nous y sommes, au moins en parole et il faut tout mettre en œuvre pour qu’elle ne reste que verbale.

Note 1 : décision de Conseil constitutionnel :

"Considérant, toutefois, que la rétention de sûreté, eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu’elle est prononcée après une condamnation par une juridiction, ne saurait être appliquée à des personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l’objet d’une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement."

Note 2 : article 62 de la Constitution :

Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application.

Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.


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