La mythologie citoyenne

par didier
mardi 14 mars 2006

A mesure que la classe politique et les médias traditionnels d’information sont de plus en plus discrédités, le citoyen, par un étrange phénomène de vase communicant, devient un être merveilleux, paré des plus beaux atouts. Ce nouveau mythe, légitime enfant d’une ère individualiste et narcissique, contient pourtant les germes d’une dérive intellectuelle dangereuse, qui ne sépare plus le concept de l’objet, le puissant désir d’élévation et l’imparfaite nature humaine.

Il serait fastidieux de relever toutes les expressions incluant le terme citoyen, que ce soit dans les discours, articles ou analyses véhiculés par les médias. A ce titre, AgoraVox, le média citoyen, ne fait pas exception à la règle. Mais ce mot tant prononcé n’est plus pensé. Il est maintenant usé, vidé de son sens, accroché à toutes les langues de bois officielles.

Pourtant, avant d’être paré d’une auréole illusoire, un citoyen était tout simplement une personne civique, possédant le droit de cité, c’est-à-dire le droit de vote. A ce titre, les immigrés, les prisonniers et les enfants ne sont pas des citoyens. Mais la grande majorité des Français sont donc des citoyens, sans distinction. dans ce cas, qui composent nos institutions, nos entreprises, notre classe politique ? Qui sont les bâtisseurs de cette société tant décriée ? Qui sont nos élites ? Des citoyens, bien sûr.

Un renversement s’est donc opéré, insidieusement. On voit la logique du raisonnement, parfaitement calqué sur le système idéologique dominant, qui voit l’avènement du règne de Narcisse. Chacun d’entre nous, désireux d’être entendu, considéré, aimé, se voit ainsi caressé dans le sens du poil. Ce processus de personnalisation a été complètement assimilé par la classe politique et par les médias, qui valorisent le journalisme d’accompagnement - Comment se raser le matin ? Comment perdre trois kilos en trois jours ? Comment séduire ? - . On pourra ainsi lire six pages sur la mode vestimentaire dans Libération, ou feuilleter le supplément du Parisien " La Parisienne ", dont le sommaire laisse pantois.

Mais lorsqu’il fait rage, le débat, les langues se délient, et les pensées secrètes montrent le bout de leur nez. Le référendum sur le oui au traité constitutionnel en fut un extraordinaire exemple. Le oui était le camp du savoir, de l’intelligence, de la raison, le non, tout le contraire. Les déclarations, de gauche comme de droite, ont été d’une violence inouïe contre les partisans du non. Madame de Panafieu estimant par exemple, qu’à bac + 4, on ne pouvait voter non. Le mythe citoyen en a alors pris un coup, mais puisque la nouveauté, la vitesse et le changement sont les nouveaux paradigmes de nos sociétés occidentales, la page a vite été tournée.

Ce terme de citoyen nous individualise en éradiquant le mot peuple, trop connoté, se subtitue avantageusement à l’inquiétant individu, et efface la personne, puisque tout le monde veut être quelqu’un. Dans la mesure où le débat contradictoire et argumenté est banni, et toute pensée discordante vilipendée ou tournée en dérision, on ne pouvait trouver de terme plus consensuel... et plus évidé. N’était-ce pas le but recherché ?


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