La prospective en action
par François Saint-Cast
mardi 20 janvier 2009
La prospective est le nouvel el dorado du penseur contemporain. Son champ couvre l’ensemble des domaines de recherche : l’inerte, le vivant le conscient.
La physique obéit à ses lois. Il faut 700 millions d’années pour qu’une goutte de pétrole existe. Seulement quelques secondes pour la brûler dans une chaudière. Il ne faut pas être grand clerc pour anticiper notre problème !
Maintenant qui et quoi peut survivre ? Notre récente origine et les diverses existences qui nous ont précédé sur la terre plaident pour l’humilité.
Alors quid de la conscience et de son pouvoir créateur ? Quelle est notre responsabilité ? Dans quelle mesure les choses et les règles sont-elles comprises ? L’espèce et l’individu face à l’ignorance, à l’empreinte des origines, à l’ambition de ses espoirs, aux passions en marche[1].
Notre pouvoir dépend des règles et de notre maîtrise de ces dernières.
Compte tenu des impossibles physico-chimiques, nous nous sommes montrés, au fil des générations, capables de comprendre un certains nombre de règles et de les appliquer. Rationnellement nous serons toujours soumis aux possibles de la nature.
Ces lois de la nature ont une portée qui s’étend au vivant, qui se différencie de l’inerte par sa capacité à entretenir une finalité propre, sans doute victime et fort de ses gènes qui lui autorisent une capacité d’adaptation. Il bénéficie d’un phénomène de néguentropie permettant une relative indépendance en construisant des configurations de l’espace temps plus ou moins indépendante de l’environnement. Le vivant vit du vivant, construisant des chaînes alimentaires. Le phœnix suit pour l’instant un principe de métempsychose, il renaît de ses cendres. Même un holocauste nucléaire ne lui serait pas totalement fatal.
Mais qui survivra ? Des plantes, des fourmis, des termites, un monde marin sans doute, mais que deviendra le monde des théories de l’art et des idées[2] ? Et sans parler d’holocauste, demain asphyxiés, exsangues de nos luttes, crevant de chaud, aurons nous plus gagner en conscience et en humanité ? La compréhension du monde et la puissance s’accompagne de richesses et pour l’instant d’innombrables futilités. Devons-nous tous y accéder ? Est-ce possible ? Est-ce souhaitable ?
Maintenant que deviner et dans quelle mesure la divination pourra influencer l’agir de l’humanité et orienter nos devenirs ? Car l’humanité va où la pensée la mène.
De nos jours plusieurs types de Devins coexistent, on peut citer principalement, les mystiques, les technos, les moralistes, les religieux, les « tout est foutu », sans exclure la foultitude de mixtes que la pensée peut produire. « Prospectiver » n’est pas deviner ! Mais cela y ressemble. « Prospectiver » n’est pas prévoir, cela on le sait ! « Prospectiver » c’est naviguer dans les possibles, sachant qu’un seul se réalisera. C’est aussi sentir et décrire les tendances, se promener dans les disciplines du savoir. Réunir et décrire des causalités, rationaliser l’existant et le futur, décrire des avenirs convaincants.
Parmi les devins, les mystiques décrivent un phénomène qui nous dépasse, une révélation les habite. Ils sont ivres des effluves de leur prochain qui témoigne de la puissance du tout. En un mot ils sont dans la main du créateur et architecte de l’univers, et c’est très bien. C’est une divinité technologique pour le techno, qui imprègne l’esprit des hommes, apparaît sans limite, s’immisce dans les cerveaux comme un gaz enivrant. Le focal est d’un autre ordre lorsque le moraliste entre en scène. Sans la règle et l’organisation rien n’est possible. Et c’est vrai ! Mais souvent les règles se trouvent dictées par quelques textes sacrés, dont les versions et les interprétations pullulent et notre moraliste devient religieux, ce qui est bien. Enfin, avec l’âge souvent tout semble perdu, la nostalgie gagne, la jeunesse d’hier envie la jeunesse présente, l’esprit se floute, la raison vacille. « Tout est foutu et le monde ne s’en relèvera pas ! » Pensez-y ! Réagissez ! Nous dit-on en forme d’espoir.
A la fin du siècle dernier on a prêté à André Malraux cette prédiction « le 21ème siècle sera spirituel (religieux) ou ne sera pas ». Bien que l’auteur présumé ne reconnaisse pas la citation elle est restée dans la conscience collective comme une vision fulgurante de vérité d’un homme hors du commun. Lorsqu’il s’est expliqué à ce sujet Malraux précisait :
« Vous savez. On m’a fait dire : "Le 21ème siècle sera religieux". Je n’ai jamais dit cela, bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain : je n’exclus pas la possibilité d’un événement spirituel à l’échelle planétaire. »[3]. « Je pense que si l’humanité du siècle prochain ne trouve nulle part un type exemplaire de l’homme, ça ira mal »[4]
En plein siècle d’essors technologiques, Malraux voyait poindre un besoin de transcendance, d’idéal, de vertu, de beau, de juste… La technologie ne donne aucun sens à la vie.
La première décennie du 21ème siècle s’achève et la question religieuse apparaît centrale. Ciment des minorités du monde, renaissance sur les ruines du communisme, instrument de différenciation des diverses communautés des mégapoles, arme politique et guerrière pour les plus fanatiques. Partout le fait religieux s’impose et supplante les idéaux laïques du siècle passé. Nostalgie ou réel retour de la foi ?
Le rêve d’hier, agir pour qu’apparaisse une humanité de citoyens libres car instruits, égaux en droit, compatissants et respectueux de l’autre, apparaît aujourd’hui pour un grand nombre comme un sinistre cauchemar. Des critiques de plus en plus nombreuses fustigent nos modes de vie, les élites n’inspirent que défiance et mépris. Notre monde ne fait plus envie. On y perçoit trop d’injustices, de misères, d’oppressions et les perspectives sont sinistres. Alors le prêt à penser religieux tranquillise l’esprit des personnes tourmentées. A moindre frais, on peut y habiller son âme d’une aura de vertu, comme les grands magasins habillent nos corps.
Nous sommes loin d’un évènement spirituel à l’échelle planétaire et un type exemplaire de l’homme reste à découvrir.