La Turquie a-t-elle toujours envie d’entrer dans l’Europe ?

par nietzsche
mercredi 13 décembre 2006

L’Union européenne exige de la Turquie qu’elle ne ralentisse pas le rythme de ses réformes. Où, quand, par qui et de quel droit le rythme des réformes a-t-il jamais été fixé ? Depuis quand la vitesse est-elle un critère de Copenhague ? Est-ce pour mieux la faire trébucher que l’Union pinaille avec la Turquie ?

La Commission européenne a rendu public son reproche sur un ralentissement des réformes turques. Il se peut qu’il y ait du vrai. Mais d’une manière générale, il semble que ce ne soit pas dans ce domaine-là que les reproches sont faits, mais plutôt sur le dossier de Chypre. Évidemment, la question des droits de l’homme occupe une place importante.

S’il y a un ralentissement, il y a trois raisons. La première est que, depuis 2002, un certain nombre de réformes ont été faites. Force est de reconnaître que la Turquie a fait un effort. Il est difficile de poursuivre sur ce même élan. La deuxième chose, il ne faut pas forcément adopter des lois au Parlement, mais contrôler des pratiques. Il y a des domaines comme la torture, les crimes d’honneur, où les pratiques ne peuvent pas cesser d’un coup. La troisième raison, c’est que la Turquie entre dans une période électorale, ce qui n’est pas une période pour engager des réformes. Ce serait dommage (dans le cas où !) pour l’UE de se priver d’un partenaire qui représente un certain poids sur le plan géopolitique et économique. Il y a toujours des échappatoires, mais je ne pense pas qu’après avoir fait un choix en direction de l’Occident depuis la fin de l’Empire ottoman, la Turquie aille chercher des alliances ailleurs - lesquelles seraient contre nature. C’est vers les Etats-Unis que le rapprochement risque d’être plus fort, en cas d’éloignement de l’UE.

Je crois que la question qui se pose aujourd’hui, c’est Chypre. Les Européens demandent à la Turquie d’ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions chypriotes grecs. Mais la Turquie veut au préalable que l’embargo qui s’exerce dans le nord de Chypre cesse, et qu’il y ait une aide accrue aux Chypriotes turcs. La question est compliquée. Elle pourrait connaître un développement s’il y a des concessions réciproques. Sinon, il risque d’y avoir un blocage d’ici au 15 décembre, puisque la CE fera de nouvelles recommandations concernant la question chypriote. Mais je ne pense pas que la Turquie aille jusqu’à reconnaître la République de Chypre sans reconnaître quelque chose pour le Nord de l’île.

Le début de la crise date de 1974, les Turcs ont fait usage de leur droit d’intervention, et la situation s’est bloquée. Toutes les négociations menées sous l’égide de l’Onu n’ont abouti à rien depuis trente ans. Alors qu’on attendait un vote chypriote grec pour l’unification et un vote chypriote turc contre l’unification lors du référendum il y a deux ans, c’est l’inverse qui s’est produit. Il y a une forme de dissymétrie maintenant : deux membres dans l’UE, la Grèce et Chypre, et aucun membre turc dans l’UE.

Les relations entre l’UE et la Turquie sont caractérisées par une incertitude quant à l’avenir. C’est là-dessus qu’il faut mettre l’accent, car d’une manière générale et historiquement, l’opinion publique turque est pro-européenne. C’est ancré dans la culture et dans l’histoire, mais il faut rappeler que la question traîne depuis trop longtemps, et que les Turcs ont le sentiment que les Européens dressent de plus en plus d’obstacles devant l’adhésion, d’où un affaiblissement du sentiment pro-européen.

L’une des vraies causes probables est certainement la question de l’appartenance d’une majorité de la population à la religion musulmane, mais elle n’est pas encore suffisamment explicite. Le fait que la Turquie soit musulmane représente-t-il un problème pour l’UE ? Les réticences ne viennent-elles pas plutôt dans ce registre-là ? Normalement non, puisqu’on a failli, puis renoncé à cela, grâce à la France d’ailleurs, mettre dans la Constitution européenne la référence aux racines culturelles, en entendant par là les racines religieuses de l’Europe. Mais il est vrai, même s’il n’y a pas une unanimité sur la question, qu’il y a dans l’UE une réticence manifeste, un certain rejet d’une adhésion turque en raison de l’appartenance religieuse du pays.

Ainsi, le fait que l’UE ait un regard négatif sur la Turquie pour des raisons culturelles, et aussi le fait que la Turquie soit un poids lourd (géographiquement, démographiquement, économiquement, etc.), ce que ne sont pas forcément la Bulgarie et la Roumanie, sont pesants. Et les Européens oublient leurs retards par rapport à la Turquie, faut-il le rappeler...


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